Le 2 juillet 2014, la Cour supérieure du Québec a statué sur une requête en autorisation d'exercer un recours collectif contre Fido Solutions Inc., Rogers Communications Partnership, Bell Mobility Inc. et Telus Communications Company (les « Intimées »). L'honorable juge Michel Yergeau a statué que la requête en autorisation (la « Requête ») ne répondait pas aux critères requis en vertu de l'article 1003 du Code de procédure civile du Québec (le « C.p.c. ») aux fins de l'autorisation d'un recours collectif. Plus particulièrement, la Cour a conclu ce qui suit : 1) les faits allégués ne paraissaient pas justifier les conclusions recherchées (art. 1003b)); et 2) la requérante représentante, Inga Sibiga, n'était pas en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres du groupe proposé (art. 1003d)).
Cette décision fait suite aux récentes décisions de la Cour suprême dans les causes Infineon Technologies AG c. Option consommateurs[1] et Vivendi Canada Inc. c. Dell'Aniello[2], qui, de l'avis de certains, auraient assoupli les conditions à satisfaire aux fins de l'autorisation d'un recours collectif au Québec. En effet, la cause Infineon est venue de nouveau confirmer que le fardeau de la preuve prévu à l'article 1003 du C.p.c. est peu élevé et que, à l'étape de l'autorisation, le tribunal n'exerce qu'un rôle de filtrage et ne devrait pas transformer cette procédure en un procès sur le fond[3]. Toutefois, la décision du juge Yergeau, qui cite avec approbation les causes Vivendi et Infenion, démontre que bien que le fardeau soit peu élevé au stade de l'autorisation, les critères énoncés à l'article 1003 du C.p.c. doivent tout de même être remplis. Plus précisément, la Cour doit néanmoins s'assurer que la requérante représentante a rempli le critère requis permettant de démontrer que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées et que la requérante représentante est en mesure d'assurer une représentation adéquate du groupe proposé – des exigences qui sont énoncées aux art. 1003 b) et d) du C.p.c.
Contexte
La Requête présentée par Mme Sibiga contre les Intimées visait à obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif pour le compte d'un groupe comprenant tous les consommateurs résidant au Québec pour lesquels des frais de données en itinérance internationale ont été facturés par les Intimées à un taux supérieur à 5,00 $ par mégaoctet après le 8 janvier 2010.
Les faits peuvent être résumés ainsi :
Mme Sibiga avait conclu un contrat de service sans fil avec Fido. Elle n'a jamais conclu un contrat de service sans fil avec un autre fournisseur de services.
Entre les 7 et 14 septembre 2012, Mme Sibiga accède au service Google Maps à plusieurs reprises pour retrouver son chemin alors qu'elle voyage aux États-Unis. Elle choisit de ne pas acheter un forfait voyage à tarif réduit pour l'utilisation de données en itinérance internationale ni avant de quitter le Québec pour partir en voyage, ni après avoir reçu un message texte l'avisant des frais d'itinérance internationale et lui donnant la possibilité d'acheter un forfait voyage directement par son téléphone. Les tarifs normaux d'utilisation à la pièce de 6,14 $ par mégaoctet de données à l'international utilisées ont ainsi été facturés à Mme Sibiga. Elle acquitte sa facture sans protester.
Le 17 décembre 2012, Mme Sibiga a pris connaissance d'un courriel de sollicitation générale provenant du cabinet d'avocats Trudel & Johnston dont l'objet était de trouver une personne pouvant agir en qualité de requérant d'un groupe proposé. Malgré qu'elle ne se soit jamais plainte ni qu'elle ait entrepris des recherches à cet égard, Mme Sibiga s'est portée volontaire pour agir comme requérante représentante pour l'ensemble des membres du groupe proposé.
Moins d'un mois plus tard, soit le 8 janvier 2013, et en se fondant sur les résultats d'une recherche menée par les avocats de Mme Sibiga et principalement selon le rapport sur l'itinérance des données de l'Organisation de coopération et de développement économique (le « Rapport de l'OCDE »), la Requête a été déposée, indiquant que Mme Sibiga avait été désignée comme représentante. Sur la base de cette recherche, Mme Sibiga a fait valoir que les frais de données en itinérance internationale facturés par les Intimées étaient disproportionnés au sens de l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur (« LPC ») et abusifs au sens de l'article 1437 du Code civil du Québec (« CCQ »).
Décision de la Cour supérieure
1. Absence d'intérêt juridique
En refusant d'accueillir la Requête, la Cour a d'abord réitéré le principe établi dans la décision de la Cour d'appel dans l'arrêt de principe Bouchard[4], qui a fait jurisprudence et qui énonce la nécessité pour un requérant représentant, à l'étape de l'autorisation, d'établir une cause d'action contre chacun des intimés nommés dans le recours collectif. Bien que la Cour reconnaît qu'il existe des cas pour lesquels un requérant représentant n'est pas tenu de justifier une cause d'action contre des intimés multiples, par exemple dans des cas de complicité ou de complot orchestré entre les intimés ou lorsqu'une cause d'action intentée contre chaque intimé peut être présentée sans distinction importante (Regroupement des CHSLD Christ-Roy (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades, 2007 QCCA 1068; Banque de Montréal c. Marcotte, 2012 QCCA 1396), cela ne veut pas dire qu'un requérant représentant n'a plus à prouver une cause d'action contre chaque intimé. La Cour a clairement précisé que chaque cause doit être étudiée en fonction des faits qui lui sont propres. Dans la cause qui nous occupe, aucun élément ne justifie le fait de ne pas tenir compte de la règle générale établie par la Cour d'appel dans l'affaire Bouchard. La Cour a ainsi statué que Mme Sibiga ne disposait pas d'un intérêt juridique suffisant pour exercer le recours collectif proposé contre Bell ou Telus, étant donné qu'elle n'avait jamais conclu un contrat avec l'une ou l'autre, ni qu'elle ne connaissait les services d'itinérance internationale offerts par ces sociétés.
2. Les faits allégués ne paraissaient pas justifier les conclusions recherchées (art. 1003b))
À cet égard, la Cour a statué que la Requête fait défaut d'énoncer les faits essentiels justifiant les conclusions recherchées. La cause d'action invoquée par la requérante, selon laquelle tous les frais de données en itinérance supérieurs à 5,00 $ par mégaoctet sont disproportionnés au sens de l'article 8 de la LPC et sont abusifs au sens de l'article 1437 du CCQ, a été jugée comme ne constituant pas une preuve en fonction des faits allégués et de la preuve présentée. D'abord, Mme Sibiga a fait défaut de présenter son contrat de service sans fil conclu avec Fido, rendant toute démonstration d'une disproportion ou d'un abus entre les obligations respectives des parties impossible à établir ou même à considérer. De plus, la Cour a statué que la preuve présentée et, particulièrement, les conclusions du rapport de l'OCDE sur les frais de données en itinérance internationale ne se comparaient pas à la cause de Mme Sibiga. La Cour a soutenu que les conclusions qui en sont tirées ne représentent que de simples inférences et hypothèses. La Cour a conclu que si elle accordait l'autorisation d'exercer ce recours collectif, elle transformerait le recours en commission d'enquête visant l'intégralité du secteur des télécommunications – un recours collectif ne peut tout simplement pas être exercé en ce sens. En d'autres termes, la Cour a indiqué que les faits allégués ne justifiaient ni le groupe proposé ni les conclusions recherchées dans la Requête et qu'ainsi, ils faisaient défaut de répondre au critère établi par l'article 1003b) du C.p.c.
3. Mme Sibiga n'était pas en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres (art. 1003d))
Alors que la Requête aurait pu être rejetée uniquement sur les conclusions de la Cour en vertu du paragraphe 1003 b) du C.p.c., la Cour a également conclu que Mme Sibiga n'était pas une représentante adéquate du groupe proposé en vertu de l'art. 1003 d) du C.p.c.. En effet, la Cour était grandement préoccupée du fait que Mme Sibiga ait été nommée requérante représentante vu son manque de connaissance concernant le recours collectif proposé. Bien que la Cour ait encore une fois réitéré le fait que le fardeau de preuve est peu élevé au stade de l'analyse du caractère approprié du représentant, dans la présente cause, la Cour a soutenu que le rôle de Mme Sibiga à titre de représentante du groupe n'était que le résultat d'une réflexion après coup, et qu'elle ne s'était fondée que sur un courriel de sollicitation de la part de conseillers juridiques alors que l'ensemble de la recherche entourant les frais d'itinérance internationale avait déjà été menée par ses avocats. En ce sens, Mme Sibiga a fait défaut de démontrer les compétences minimales requises pour aider ses avocats dans les procédures entourant le recours collectif et pour représenter tous les membres du groupe proposé de manière adéquate. La Cour a ainsi conclu que le recours collectif proposé était mené par les avocats et que la participation de Mme Sibiga n'était que minimale. La Cour a donc refusé de permettre la tenue d'un tel recours collectif mené par les avocats, concluant que le critère requis en vertu de l'art. 1003 d) du C.p.c. n'était pas satisfait.
Conclusion
Il s'agit là d'une importante décision pour toutes les sociétés faisant affaire au Québec, particulièrement à la lumière des récentes décisions rendues par la Cour suprême du Canada. Elle confirme que l'autorisation demeure une étape essentielle du recours collectif et qu'elle est nécessaire en vue de protéger les intimés d'être injustement nommés parties à un litige complexe et coûteux qui ne répond pas aux exigences de l'article 1003 du C.p.c. En fait, par suite des décisions Infineon et Vivendi, cette décision nous rappelle que, même si le fardeau de la preuve du requérant est peu élevé à l'étape de l'autorisation, le requérant représentant doit néanmoins convaincre la Cour que sa cause d'action s'appuie sur des allégations de faits nécessaires et qu'il est en mesure de représenter adéquatement le groupe proposé.
Les parties défenderesses au Québec et leurs conseillers juridiques ne devraient pas être totalement pessimistes sur la possibilité qu'un recours collectif proposé soit rejeté à l'étape de l'autorisation. Comme cette cause l'indique, l'audition de l'autorisation peut être une occasion inestimable de mettre fin à un recours collectif avant que ne soient entamés des procès sur le fond souvent longs et coûteux.
Il y a lieu de mentionner que la requérante a toujours le droit d'interjeter appel de cette décision.
*Pierre Lefebvre, Eleni Yiannakis et Noah Boudreau de Fasken Martineau ont représenté Fido Solutions Inc. et Rogers Communications Partnership.
[1] 2013 CSC 59.
[2] 2014 CSC 1.
[3] Infineon, supra note 1 aux paras 57-61.
[4] Bouchard, 2006 QCCA 1342.