Les sanctions commerciales, financières et sur les opérations du Canada contre les incursions de la Russie en Ukraine, de modestes qu’elles étaient au début, ont pris de l’ampleur en ratissant plus large dans le genre d’ententes et d’opérations qu’elles visent et vis-à-vis les sociétés, les banques et les personnes qu’elles sanctionnent. Travaillant en coordination avec les États-Unis et l’Union européenne, le gouvernement canadien a décidé au début de mars 2014 que les nombreuses mesures prises par la Russie relativement à l’Ukraine constituaient une atteinte grave à la paix et la sécurité internationales qui ont eu pour effet de provoquer une crise internationale inquiétante. Cette situation a donné lieu à l’adoption du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie (« Règlement sur la Russie » ou « Règlement »). Consulter notre précédent bulletin sur cette affaire.
Même si le gouvernement canadien coordonne sa politique sur les sanctions avec les États-Unis et l’Union européenne, il n’en demeure pas moins que ses dispositions législatives sur les sanctions ne correspondent pas à celles adoptées par les États-Unis ou l’Union européenne. Le présent article examine le cœur des sanctions canadiennes et les importants nouveaux développements quant à leur portée légale.
Sanctions de base
La liste prévue au Règlement sanctionnait les sociétés et les personnes physiques, appelées les « personnes désignées », qui sont sanctionnées parce que le Canada considère qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles sont liées au conflit en Ukraine. La liste, comprise à l’annexe 1 du Règlement, constitue un éventail de banques, de sociétés de placement, de sociétés technologiques et de fabricants, tels que Bank Rossiya, ExpoBank, RosEnergoBank, Volga Group, Radio-Electronic Technologies et United Shipbuilding Corporation, pour en nommer quelques-uns.
Le Règlement sur la Russie interdit à toute personne au Canada ou à tout canadien à l’extérieur du Canada de traiter avec ces personnes sanctionnées, notamment (i) d’effectuer une opération portant sur un bien, indépendamment de la situation de celui-ci, détenu par une personne désignée ou en son nom; (ii) de fournir des services financiers ou des services reliés à toute personne désignée à l’annexe 1 ou pour son bénéfice.
Ces interdictions générales sont assorties d’un nombre limité d’exceptions, notamment les ententes nécessaires à un Canadien pour transférer à une banque non sanctionnée tout compte, fonds ou investissement détenu par une banque sanctionnée.
Élargissement de la portée des sanctions
Tout dernièrement, le filet constituant ces activités sanctionnées a été élargi pour couvrir une gamme supplémentaire d’opérations et de sociétés et de banques sanctionnées. Ces personnes sanctionnées, énumérées aux nouvelles annexes 2 et 3, se composent de différentes banques et sociétés, notamment la Gazprombank, la VTB Bank et Novatek, le plus grand producteur de gaz non étatique de la Russie. En vertu de ce nouveau Règlementet, si la personne sanctionnée est énumérée à l’annexe 2 ou 3, il est interdit à toute personne au Canada ou à tout Canadien à l’étranger d’effectuer une transaction portant sur un emprunt, une obligation ou une débenture dont la durée dépasse 30 ou 90 jours, si la transaction a trait : (i) à une personne désignée; (ii) aux biens d’une personne désignée; et (iii) aux intérêts d’une personne désignée, à moins que le prêt ou l’obligation ou la débenture n’ait été émis avant que la personne désignée ne devienne une entité sanctionnée. Des interdictions semblables s’appliquent au financement par actions (acquisition d’actions) relativement à une telle personne désignée ou à ses biens ou intérêts, à moins que le financement par actions ne se soit produit avant l’inscription de la personne désignée sur la liste visée par les sanctions. La portée de ces interdictions est vaste.
Une conformité rigoureuse est essentielle pour éviter une application vigoureuse
La règlementation canadienne sur les sanctions est appliquée par la Gendarmerie Royale du Canada (« GRC ») et l’Agence des services frontaliers du Canada. Chaque personne qui contrevient délibérément à ce Règlement peut être passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou à des amendes d’un montant à la discrétion du tribunal. Le Règlement n’interdit pas uniquement les transactions directes, mais elle interdit également à quiconque au Canada ou à des Canadiens à l’extérieur du Canada de faire quoi que ce soit qui occasionne, facilite ou favorise la réalisation de toute opération interdite, ou qui vise à le faire. À première vue, cette formulation est large, mais elle est importante parce que les activités de poursuite dernièrement par la GRC indiquent que le gouvernement canadien est disposé à enquêter et poursuivre vigoureusement ceux qui agissent en violation du droit canadien sur les sanctions.
Même si la formulation des sanctions canadiennes est semblable à celle des sanctions américaines qui s’appliquent à la Russie, elle n’est néanmoins pas la même, et cela a des conséquences juridiques en termes de portée et d’application. De plus, le Canada ajoute fréquemment des personnes et des entités à ces trois annexes qui pourraient ne pas correspondre aux sanctions des États-Unis ou de l’Union européenne. D’autre part, si la situation en Ukraine devait se détériorer encore plus, il se pourrait que le Canada, contrairement aux États-Unis ou à l’Union européenne, modifie le Règlement sur la Russie pour ne pas uniquement augmenter le nombre de personnes énumérées aux trois annexes, mais pour interdire des activités, telles que des investissements dans certains secteurs, peu importe si une personne désignée est associée à l’activité.
Par conséquent, nous conseillons fortement aux banques, aux sociétés d’assurance et aux autres sociétés de ne pas présumer que l’on peut se conformer au Règlement sur la Russie du Canada en se contentant de se conformer aux sanctions des États‑Unis et de l’Union européenne. Il existe d’importantes différences quant à leur portée. Les autorités canadiennes ont été très vigilantes en usant de leur compétence et en appliquant leur pouvoir d’application. Il est donc conseillé d’être très attentif à la formulation des sanctions canadiennes afin de comprendre leur champ d’application qui devient de plus en plus complexe.