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Appel dans l’affaire du bassin hydrographique de la rivière Peel : Retour à la case départ

Fasken
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Bulletin Affaires autochtones

Le 4 novembre 2015, dans l’affaire The First Nation of Nacho Nyak Dun v. Yukon, 2015 YKCA 18 (la « décision en appel »), la Cour d’appel du Yukon a autorisé à l’unanimité la requête du gouvernement du Yukon, mais seulement en partie. La Cour a confirmé les conclusions du juge de première instance en concluant que le gouvernement du Yukon n’avait pas agi conformément à ses obligations issues de traités, prévues dans les dispositions de l’Accord-cadre définitif entre le gouvernement du Canada, le conseil des indiens du Yukon et le gouvernement du Yukon (l’« Accord-cadre définitif ») portant sur les processus d’aménagement du territoire prévus dans l’Accord-cadre définitif. Par conséquent, le Yukon n’a pas le pouvoir d’adopter unilatéralement un plan d’aménagement du territoire pour le bassin hydrographique de la rivière Peel (le « Bassin Peel »). Toutefois, la Cour d’appel a jugé que le recours en common law accordé par le juge de première instance était inadéquat. Le processus d’adoption du plan d’aménagement du territoire pour le Bassin Peel est donc renvoyé à l’étape de planification qui précédait le plan recommandé définitif de la Commission d’aménagement du Bassin Peel (la « Commission ») (le « Plan recommandé définitif »), plutôt qu’à l’étape de l’analyse du Plan recommandé définitif.

Contexte

Le Bassin Peel est situé au Yukon, dans une région éloignée et relativement peu développée d’une superficie d’environ 67 431 kilomètres carrés. Le gouvernement du Yukon (le « Yukon ») est responsable de la gestion de 97,3 % du Bassin Peel, lequel fait partie des terres de la Couronne. Les gouvernements de quatre Premières Nations, les Premières Nations de Na-Cho Nyak Dun, de Tetlit Gwich’in, de Tr’ondëk Hwëch’in et de Vuntut Gwitchi, ont des territoires traditionnels dans cette région et sont propriétaires et gestionnaires de la portion restante de 2.7 % du Bassin Peel.

Le Yukon a conclu plusieurs ententes définitives (les « ententes définitives ») avec différentes Premières Nations du Yukon. Ces ententes définitives reprennent des dispositions de l’Accord-cadre définitif et sont considérées comme des « accords sur des revendications territoriales » au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le chapitre 11 de l’Accord-cadre définitif établit les principes du processus d’aménagement du territoire et exige que l’on tienne compte des intérêts du Yukon et des intérêts des Premières Nations. Les Premières Nations sont l’autorité responsable des terres visées par règlement, tandis que le Yukon est l’autorité responsable des terres non visées par un règlement. L’Accord-cadre définitif établit également la Commission. La Commission a le mandat d’élaborer des plans d’aménagement du territoire relativement au Bassin Peel, lesquels sont dès lors susceptibles d’être approuvés, rejetés ou modifiés par le Yukon et/ou par les gouvernements des Premières Nations.

En juillet 2011, après plusieurs années de consultation avec le Yukon et les gouvernements des Premières Nations, la Commission a produit le Plan recommandé définitif relativement aux terres non visées par un règlement situées dans le Bassin Peel. Le Plan recommandé définitif prévoyait que 55 % de la région seraient entièrement protégés à titre de zones spéciales de gestion, 25 % seraient désignés comme réserves intégrales, et 20 % seraient destinés à encourager les occasions de développement industriel et d’accès, sous réserve des principes généraux en matière de gestion environnementale et d’aménagement du territoire, y compris, lorsque requis, une consultation accrue de la communauté.

En 2014, le Yukon a exercé son pouvoir de « modifier » le plan en vertu de l’Accord-cadre définitif et a déposé un plan d’aménagement du territoire révisé : le plan régional d’aménagement du bassin hydrographique de la rivière Peel (le « Plan approuvé par le gouvernement »). Le Plan approuvé par le gouvernement est très différent du Plan recommandé définitif. Il offre une protection relativement à 30 % du Bassin Peel et permet le développement de 70 % des terres non visées par un règlement, sous réserve de certaines restrictions.

Décision de première instance

Dans l’affaire The First Nation of Nacho Nyak Dun v. Yukon (Government of), 2014 YKSC 69 (la « décision de première instance »), certaines Premières Nations et certains groupes environnementaux (collectivement, les « Demandeurs ») ont intenté une poursuite contre le Yukon alléguant que le Plan approuvé par le gouvernement violerait les obligations du Yukon en matière d’aménagement du territoire en vertu de l’Accord-cadre définitif. Les Demandeurs souhaitaient faire annuler le Plan approuvé par le gouvernement et forcer la reprise de la consultation finale en fonction des directives du tribunal limitant la capacité du Yukon de modifier le Plan recommandé définitif. Le Yukon a d’abord soutenu que le Plan approuvé par le gouvernement était valide. De manière subsidiaire, le Yukon a soutenu que si le Plan approuvé par le gouvernement n’était pas valide, l’approche à privilégier en l’espèce était de reprendre le processus à partir de la consultation initiale qui avait précédé le dépôt du Plan recommandé définitif (l’« autre argument du Yukon »).

Le 2 décembre 2014, en première instance, le juge Veale a rendu sa décision, acceptant la position des Demandeurs. La décision rendue ne portait pas sur l’aménagement approprié du territoire où est situé le Bassin Peel, mais plutôt sur l’interprétation appropriée du pouvoir des parties d’approuver, de rejeter ou de modifier les plans d’aménagement du territoire préparé conformément à l’Accord-cadre définitif.

Dans son analyse, le juge Veale a évalué les actes du Yukon en fonction de la norme de la décision correcte. Selon lui, les dispositions de l’Accord-cadre définitif relatives à l’aménagement du territoire auxquelles il est fait référence dans les ententes définitives applicables justifient une interprétation large, libérale et contextuelle qui favorise l’atteinte de l’objectif de réconciliation et préserve l’honneur de la Couronne, comme le prévoient les arrêts phares Haida Nation v. BC (Minister of Forests) (2004 SCC 73) et Manitoba Metis Federation Inc. v. Canada (2013 SCC 14). Le juge Veale a également déterminé que l’objet de l’Accord-cadre définitif impose une approche collaborative et consultative dans l’élaboration des plans d’aménagement du territoire relatifs aux terres visées par un règlement et aux terres non visées par un règlement situées sur les territoires traditionnels des Premières Nations.

Finalement, la Cour a conclu que les mesures prises précédemment par le Yukon, y compris avant le dépôt du Plan recommandé définitif, comprenaient une consultation véritable entre les parties, alors qu’une telle consultation n’a pas été menée à l’étape finale, immédiatement après le dépôt du Plan recommandé définitif. À cette étape, le Yukon n’a pas consulté les Premières Nations ni tenu compte de leurs commentaires avant de soumettre ses modifications, ce qui va à l’encontre de l’esprit de l’Accord-cadre définitif. La Cour a aussi conclu que le Yukon a fait défaut de consulter la Commission au sujet des modifications proposées et de fournir suffisamment de précisions pour expliquer comment les modifications proposées seraient mises en œuvre. De plus, les huit principes fondamentaux énoncés par le Yukon comme ayant guidé la préparation du plan d’aménagement du territoire où est situé le Bassin Peel ont été jugés insuffisants et trop vagues.

En autorisant le recours intenté par les Demandeurs, la Cour a annulé le Plan approuvé par le gouvernement. La Cour a ensuite rejeté l’autre argument du Yukon et a soutenu que le processus devait être repris à partir de l’étape de la consultation relative au Plan recommandé définitif de la Commission.

Décision en appel

Le Yukon a fait appel de la décision de première instance, soutenant à nouveau que le Plan approuvé par le gouvernement était valide et que le Yukon avait rempli ses obligations de consulter en vertu de l’Accord-cadre définitif. Le Yukon a également fait valoir à nouveau l’autre argument du Yukon. Les Premières Nations et les groupes environnementaux intimés ont de nouveau fait valoir que les négociations devaient être reprises à partir de l’étape du Plan recommandé définitif conformément à la décision de première instance.

Au nom de la Cour, le juge en chef Bauman a conclu que le Yukon a fait défaut de respecter l’esprit et la lettre de ses obligations issues de traités, comme l’exigent les dispositions de l’Accord-cadre définitif relatives à l’aménagement du territoire prévues dans les ententes finales conclues avec les Premières Nations. Plus précisément, le Yukon a fait défaut de révéler à la Commission et aux Premières Nations concernées les modifications importantes apportées au plan telles qu’elles figuraient dans le Plan approuvé par le gouvernement. Le Yukon a également fait défaut de fournir des justifications et des précisions suffisantes au soutien de ses commentaires généraux sur les modifications. La Cour a conclu que ces manquements de la part du Yukon ont miné la capacité de la Commission de jouer un rôle important et de faire avancer le processus.

Le juge en chef Bauman a également réitéré que les ententes finales prévoient un processus de consultation et de collaboration entre le gouvernement et les Premières Nations et a confirmé que le Yukon, en adoptant unilatéralement le Plan approuvé par le gouvernement, avait fait dérailler le dialogue véritable essentiel à une entente entre le gouvernement et les Premières Nations. Ce déraillement causé par l’adoption unilatérale du Plan approuvé par le gouvernement a encore une fois été considéré comme l’élément ayant miné le processus de consultation, ce qui a empêché la Commission de s’acquitter de ses obligations en vertu de l’Accord-cadre définitif en ce qu’elle n’a pas pu établir adéquatement un plan d’aménagement du territoire pour le Bassin Peel.

Cependant, la Cour a accueilli l’appel en partie, acceptant l’autre argument du Yukon. Ce faisant, la Cour d’appel a conclu que le processus devait reprendre à partir du moment où il a déraillé, plus tôt que ne l’indiquait la décision de première instance, soit à une étape antérieure à celle de la mise en œuvre du Plan recommandé définitif de la Commission. À la grande déception des Premières Nations et des groupes environnementaux, cela signifie que le Plan recommandé définitif de la Commission n’est pas applicable et qu’il ne sera pas nécessairement mis en œuvre.

Résumé

Bien que cette décision puisse être jugée avantageuse pour les deux parties, elle représente un pas en arrière pour le processus de négociation et de consultation relatif à l’aménagement du territoire où est situé le Bassin Peel. Cette décision précise que le pouvoir du Yukon de modifier un plan d’aménagement du territoire est limité par son obligation constitutionnelle de consulter les Premières Nations pendant toute la durée du processus d’établissement d’un plan d’aménagement du territoire.

Les consultations relatives au Bassin Peel Peel reprendront donc au point où, selon la Cour, le Yukon a cessé d’engager un dialogue et une consultation véritables avec les Premières Nations, soit avant l’adoption du Plan recommandé définitif, lequel avait la faveur des Demandeurs. Le Yukon a maintenant la possibilité de consulter et de faire part de ses commentaires relativement au Plan recommandé de la Commission. Reste à savoir si les parties décideront de reprendre cette consultation ou de porter cette décision en appel devant la Cour suprême du Canada. 

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