Aperçu
Dans l’affaire Adams Lake Indian Band v. British Columbia, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (la « Cour suprême ») a conclu que la Province n’avait pas consulté adéquatement la requérante, la Bande indienne d’Adams Lake, avant de créer par décret la municipalité de Sun Peaks Mountain Resort. La Cour suprême a déclaré que la Province n’avait pas respecté son obligation de consulter la requérante relativement à l’incorporation de la municipalité et a ordonné à la Province de tenir une consultation approfondie avec la requérante au sujet de la décision d’incorporer la municipalité. La Cour suprême a décidé qu’il n’était pas approprié de dicter le cadre de référence pour la consultation approfondie.
Le 9 août 2012, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour d’appel ») a accueilli l’appel de la décision de la Cour suprême et a rejeté la requête, jugeant que la Province avait respecté toutes les obligations de consulter qu’elle avait envers la Bande indienne d’Adams Lake relativement à l’incorporation de la municipalité de Sun Peaks Resort. La Cour d’appel a également soutenu que les autres questions dont la juge de la Cour suprême avait tenu compte relativement à la conduite passée et actuelle de la Couronne n’étaient pas des questions dont il fallait tenir compte dans le cadre de la requête.
Les faits
La requérante, la Bande indienne d’Adams Lake, est membre de la Nation Secwepemc, qui revendique des territoires d’une superficie d’environ 180 000 kilomètres carrés. La station de ski de Sun Peaks est située à 40 km au nord de Kamloops, dans un territoire revendiqué par la Nation Secwepemc.
Sun Peaks était une petite station de ski connue sous le nom de Tod Mountain jusque dans les années 90. En 1993, le gouvernement provincial a conclu avec la société Tod Mountain Development Ltd. (aujourd’hui Sun Peaks Resort Corporation) une entente cadre de développement qui prévoyait l’agrandissement par étapes de la station de ski en y aménageant des installations de villégiature et d’autres installations récréatives. Ce développement a facilité la croissance rapide de la station de ski et a causé des différends avec la Nation Secwepemc et ses membres. C’est dans ce contexte que les résidents de Sun Peaks ont demandé le statut de municipalité incorporée.
Le processus d’incorporation a débuté en 2005 quand des bénévoles de la communauté ont préparé une étude de faisabilité. La Province est intervenue pour la première fois dans le processus d’incorporation en décembre 2006 quand elle a accordé un prêt pour couvrir les coûts de l’étude de faisabilité et des assemblées publiques relatives à l’incorporation.
En janvier 2007, un membre de la Nation Secwepemc a écrit au district régional et à la société Sun Peaks Resort Corporation pour faire part de son opposition à l’incorporation et a demandé qu’une assemblée soit convoquée pour discuter de cette question. À partir de ce moment, les parties ont tenu des consultations au sujet de l’incorporation et de questions connexes, comme l’entente cadre de développement de Sun Peaks.
En juillet 2009, la Province a informé certains membres de la Nation Secwepemc qu’à son avis la consultation était terminée, car des réponses avaient été données à toutes les questions posées par les bandes. La Province était d’avis que toutes les questions soulevées par les bandes avaient trouvé leur réponse par la création d’un Comité consultatif des Premières nations au niveau municipal et par l’exigence selon laquelle le plan et les règlements régissant l’aménagement des terrains de la municipalité devaient être approuvés par la Province. La Province a insisté sur le fait que le principal sujet de préoccupation qui lui avait été mentionné par les bandes était le développement de la station de ski de Sun Peaks, et que cette question serait examinée dans le cadre du processus de consultation en cours au sujet de l’entente cadre de développement. La Nation Secwepemc a rejeté cette position. La Cour suprême a conclu qu’après juillet 2009, la Province ne faisait que suivre la procédure requise pour compléter la consultation, sans réel effort de sa part, et que les Premières nations qui participaient à ce processus ont naturellement perdu tout intérêt pour ce processus.
Le décret incorporant la municipalité a été signé le 25 mars 2010.
Décision de la Cour suprême
Décrets et obligation de consulter
La Cour suprême a jugé que l’obligation de consulter s’applique à l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi (comme l’incorporation d’une municipalité au moyen d’un décret). La Cour suprême a conclu que toutes les étapes menant à la décision d’incorporer une municipalité engageaient l’honneur de la Couronne et que le décret ne pouvait être soustrait à l’obligation de consulter au motif que le décret avait un caractère législatif.
Évaluation par la Couronne des effets préjudiciables et de la force des revendications
La Cour suprême a conclu que la Province n’avait pas procédé à une évaluation préliminaire de la force de la revendication de la requérante et qu’en conséquence la Province n’avait pas complété adéquatement la première étape du processus de consultation.
Quant à l’évaluation des effets préjudiciables, la Province était d’avis que l’incorporation n’avait pas d’effet préjudiciable important car elle maintenait le statu quo et que la véritable préoccupation de la requérante était le développement de la station de ski. La Cour suprême a conclu que la Province se méprenait sur les effets préjudiciables de l’incorporation sur les droits et titres de la requérante. La Cour suprême a notamment conclu que, par suite de son incorporation, la municipalité exerçait un contrôle sur plusieurs aspects de l’administration locale qui auraient été assujettis à une obligation de consulter les Premières nations si ce contrôle avait été exercé par la Couronne, mais que la municipalité n’avait pas d’obligation de consulter.
Caractère adéquat de la consultation
La Cour suprême a conclu que la requérante avait une revendication solidement établie, que l’incorporation pourrait avoir un effet préjudiciable très important sur la requérante et qu’en conséquence une obligation de « consultation approfondie » s’appliquait à l’égard de la requérante.
En guise d’accommodement relativement aux préoccupations mentionnées par la requérante, la Province avait requis que la municipalité établisse un Comité consultatif des Premières nations. La Cour suprême a conclu que cet accommodement ne constituait pas une solution aux préoccupations formulées par la requérante. La Cour suprême a notamment fait remarquer que la municipalité n’est pas obligée de consulter le Comité consultatif, et que ce dernier ne faisait pas grand-chose pour rétablir l’équilibre de pouvoir et d’influence entre les Premières nations et la société Sun Peaks Resort Corporation.
En conséquence, la Cour suprême a conclu que la requérante n’avait pas été consultée adéquatement relativement à la décision d’incorporer la municipalité.
Réparation
La Cour suprême a déclaré que la Province n’avait pas rempli son obligation de consulter la requérante relativement à l’incorporation de la municipalité et elle a ordonné à la Province de mener une consultation approfondie avec la requérante au sujet de la décision d’incorporer. La Cour suprême a jugé qu’il n’était pas approprié d’imposer un cadre de référence pour la consultation approfondie au-delà de ce qui était expressément mentionné dans les motifs de la décision.
Décision de la Cour d’appel
Décrets et obligation de consulter
La Cour d’appel n’est pas revenue sur la décision de la juge de la Cour suprême selon laquelle la Province avait une obligation de consulter la requérante relativement à l’incorporation.
Évaluation par la Couronne des effets préjudiciables et de la force des revendications
La Cour d’appel a décidé que, vu la conclusion de la juge de la Cour suprême à l’effet que :
… [TRADUCTION] le passage d’une forme de gouvernance fondée sur un district régional et un district en voie d’organisation à une municipalité incorporée n’a pas, à première vue, occasionné de détérioration de la situation de la Bande,
la Province n’était pas tenue de fournir une évaluation de la force de la revendication. La Cour d’appel a déclaré :
… [TRADUCTION] que dans ce cas, ni le ministère des Services sociaux (Ministry of Community) ni le tribunal n’étaient tenus de faire une analyse de la force de la revendication des droits et titres ancestraux. Il apparaîtra clairement que l’effet préjudiciable de l’incorporation de la municipalité n’a eu et ne continue d’avoir qu’un effet préjudiciable minime sur la revendication des droits des bandes, et cela, indépendamment de la force de la revendication qu’aurait révélée une analyse de la force de la revendication.
La Cour d’appel a également confirmé que la seule conduite de la Couronne devant être prise en considération relativement au devoir de consulter était l’incorporation de la municipalité. En ce qui a trait aux présumés manquements, passés et présents, à l’obligation de consulter, la Cour d’appel a fait les déclarations suivantes :
[69] [TRADUCTION] Ces passages et d’autres passages montrent que, dans son analyse, la juge en chambre a tenu compte des problèmes d’utilisation des terres à ce jour et des problèmes invoqués par les bandes quant à l’aménagement antérieur de Sun Peaks. Les problèmes à ce jour peuvent être réglés par des modifications proposées à l’entente cadre de développement et des changements proposés à la supervision des ressources ligneuses, lesquels font actuellement l’objet de consultations. Les problèmes liés à l’effet préjudiciable de travaux de développement antérieurs doivent faire l’objet d’une décision définitive, qu’elle soit judiciaire ou négociée, quant à la revendication des droits autochtones (voir Rio Tinto, paragraphe 49).
Caractère adéquat de la consultation
La décision de la Cour d’appel quant au caractère adéquat de la consultation a été succincte :
[78] [TRADUCTION] À mon avis, il s’ensuit que la consultation relative à l’incorporation de la municipalité, telle qu’elle est décrite plus haut, était adéquate. Le ministère des Affaires sociales (Ministry of Community) a fourni des informations au sujet de la structure du projet de station de ski et des conséquences juridiques de l’incorporation. Il a également fourni aux bandes des occasions plus que suffisantes de réagir. Le processus de consultation a été aussi exhaustif et aussi approfondi que les circonstances le demandaient. Je suis en désaccord avec les conclusions de la juge en chambre qui indiquaient le contraire. Ces conclusions tenaient compte de facteurs plus nombreux qu’il n’était nécessaire ou approprié. La juge a erré en n’évaluant pas le caractère adéquat de la consultation en fonction uniquement de la question de l’incorporation.
[79] [TRADUCTION] Je considère également que l’accommodement fait par la Province était raisonnable. Comme la juge en chambre l’a fait remarquer, la municipalité a dû former un Comité consultatif des Premières nations qui, au moins jusqu’à la fin de 2014, permet à ces dernières de jouer un rôle qui n’existait pas en vertu de la forme de gouvernance locale.
Recours
La Cour d’appel a accueilli l’appel et a rejeté la requête.
Conséquences
Les tribunaux de l’Alberta et ceux de la Colombie-Britannique ne sont toujours pas d’accord sur la question de savoir si l’obligation de consulter s’applique à un acte législatif comme la publication d’un décret. La Cour suprême du Canada a refusé de trancher la question dans l’affaire Rio Tinto, mais il faudra qu’elle la tranche tôt ou tard.
La Cour d’appel a précisé les points suivants :
1. Les allégations de conduite passée ou présente de la Couronne à l’égard de laquelle la consultation était ou est prétendument inadéquate ne sont pas pertinentes pour décider du caractère adéquat de la consultation relativement à la conduite contestée de la Couronne.
2. Lorsque l’effet préjudiciable de la conduite de la Couronne sur les droits revendiqués est minime, la Couronne ou le tribunal n’est pas tenu de prendre en considération la force de la revendication de la Première nation; et
3. « [63] … [TRADUCTION] Ce n’est généralement pas le rôle du tribunal de superviser les consultations en cours et de fournir des indications sur la façon dont elles doivent se dérouler. Ce n’est que lorsqu’il y a un manquement par le gouvernement à l’obligation de consulter qu’un recours judiciaire peut être exercé, généralement au moyen d’une requête visant à faire suspendre ou annuler l’initiative gouvernementale. Les actes de procédure définissent le cadre du différend, et l’analyse faite par le tribunal doit s’en tenir à ce cadre. Le tribunal doit éviter d’intervenir dans des consultations en cours. »
Pour consulter la décision, veuillez cliquer sur le lien suivant (en anglais seulement) : Adams Lake Indian Band v. Lieutenant Governor in Council, 2012 BCCA 333