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La Cour d'appel de la Colombie Britannique juge qu’il incombe au législateur de traiter de la question du « vote vide »

Fasken
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Le 12 octobre 2012, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a infirmé la décision du tribunal de première instance qui avait conclu à l’invalidité de la demande de convocation d’une assemblée générale des actionnaires de TELUS Corporation (« TELUS ») présentée par Mason Capital Management LLC (« Mason ») par l’intermédiaire de CDS & Co. (« CDS ») pour le motif que cette demande ne respectait pas les exigences prévues par la loi de la Colombie-Britannique intitulée Business Corporations Act (la « BCBCA ») et que les résolutions proposées ne respectaient pas quant à elles les statuts de TELUS. De plus, la Cour d’appel a reconnu que la question du « vote vide » (empty voting) soulevait des préoccupations, mais a souligné que cette question devait être traitée au moyen de modifications aux lois et aux règlements pertinents et non pas par la Cour.

Contexte

Le juge de première instance a noté dans sa décision que TELUS dispose d’une structure actionnariale à deux volets comportant des actions ordinaires et des actions sans droit de vote. Les actions sans droit de vote sont d’ailleurs souvent négociées à un léger escompte par rapport aux actions ordinaires. En février 2012, TELUS a annoncé qu’elle proposait de convertir toutes les actions sans droit de vote en actions ordinaires, à raison d’une action sans droit de vote pour chaque action ordinaire. Cette annonce a entraîné un rétrécissement de l’écart de prix entre les deux catégories d’actions.

Tel qu’il a été noté dans la décision, Mason a conclu une opération d’arbitrage après l’annonce, aux termes de laquelle Mason a acquis des actions ordinaires de TELUS pour ses fonds et couvert sa position en vendant à découvert des actions ordinaires et des actions sans droit de vote. À l’issue de cette opération, bien que Mason contrôlait près de 20 % des droits de vote, elle n’avait en fait qu’une très faible participation économique. Mason comptait voter contre l’arrangement, et ainsi tirer parti de la résurgence de l’écart de prix entre les deux catégories d’actions qui ne manquerait pas de se produire lorsque l’arrangement serait rejeté ou retiré. D’ailleurs, TELUS a par la suite retiré sa proposition initiale.

Le 1er août 2012, CDS a émis une demande de convocation d’assemblée générale des actionnaires de TELUS, en énonçant qu’elle était propriétaire inscrite de plus de 1/20 des actions avec droit de vote émises de TELUS, et qu’elle agissait selon les instructions du propriétaire véritable de 10 000 000 d’actions ordinaires. Comme le juge l’a indiqué dans la décision, la demande de convocation ne faisait pas mention du nom du propriétaire véritable des actions, bien que l’on ait compris que la demande émanait de Mason. La demande faisait état de quatre résolutions que Mason désirait soumettre aux actionnaires en vue de forcer TELUS à s’assurer que toute future conversion des actions sans droit de vote en actions ordinaires soit faite selon certains ratios de conversion.

Le 21 août 2012, TELUS a fait savoir à CDS qu’elle estimait que la demande de convocation était entachée de vices et qu’elle refusait donc de convoquer l’assemblée demandée. Un peu plus tôt le 21 août 2012, TELUS avait obtenu une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique lui accordant l’autorisation de tenir sa propre assemblée le 17 octobre 2012 afin de tenir un scrutin sur un deuxième arrangement proposé qui permettrait d’échanger les actions sans droit de vote contre des actions avec droit de vote à raison d’une action sans droit de vote contre une action avec droit de vote.

Décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique

La Cour suprême s’est d’abord penchée sur la question de savoir si CDS avait dûment demandé la convocation de l’assemblée. CDS avait inscrit son propre nom à titre d’actionnaire faisant la demande. TELUS prétendait que CDS n’avait pas soumis la demande conformément aux règles et que seuls les actionnaires inscrits ayant une participation véritable pouvaient demander la convocation d’une assemblée. De plus, TELUS soutenait qu’une demande de convocation ne pouvait être accordée que si le propriétaire véritable renonçait à détenir ses actions par l’intermédiaire de CDS et les faisait immatriculer à son propre nom. Selon TELUS, l’exigence imposée à un propriétaire véritable d’inscrire ses actions à son propre nom permettait de mettre en place un certain nombre de balises importantes.

La Cour suprême a expliqué dans son jugement que l’expression « actionnaires » (shareholders), définie au paragraphe 1(1) de la BCBCA, désigne les actionnaires inscrits (registered shareholders), et que les seuls actionnaires inscrits qui peuvent demander la tenue d’une assemblée générale sont ceux décrits au paragraphe 167(2) de la BCBCA, soit ceux qui [Traduction] « détiennent au total au moins 1/20 des actions émises de la société comportant le droit de voter lors des assemblées générales ».

La Cour suprême a conclu que la demande de convocation devait comprendre le nom et l’adresse de l’actionnaire faisant la demande. Les administrateurs ne sont tenus de convoquer une assemblée générale que lorsque les critères des paragraphes 167(2) et (3) sont remplis; or, en l’espèce, les administrateurs ne pouvaient déterminer si le seuil requis était atteint uniquement à la lumière d’une demande de convocation qui ne faisait état que de CDS comme actionnaire. De plus, pour déterminer si la demande a pour objet de faire valoir une réclamation ou une plainte personnelle, l’identité de l’actionnaire faisant la demande doit être divulguée. La Cour suprême a donc établi que la demande de convocation, qui ne nommait que CDS, était viciée puisqu’elle ne permettait pas d’identifier le propriétaire véritable qui présentait réellement la demande de convocation.

La Cour suprême a également conclu que les résolutions proposées par Mason étaient contraires aux statuts de TELUS et à la BCBCA puisque ces résolutions proposées, si elles étaient adoptées, modifieraient l’article 27 des statuts de TELUS sans respecter les exigences prévues dans cet article.

Au chapitre de la stratégie de « négociation vide » (empty trading), la Cour suprême s’est montrée très critique à l’endroit de Mason. En effet, selon la Cour, les intérêts de Mason n’étaient pas alignés avec ceux des autres porteurs d’actions ordinaires. La Cour a souligné que bien que la question des ratios de conversion revêtait une importance légitime pour tous les porteurs d’actions ordinaires, cette question n’était « prépondérante » que pour Mason, puisque cette dernière avait beaucoup à gagner si l’écart gonflait entre le cours des actions ordinaires et celui des actions sans droit de vote. Le fait que Mason partage certains intérêts avec les autres porteurs d’actions ordinaires ne signifiait pas pour autant que ses intérêts correspondaient à ceux des actionnaires en général. Cependant, malgré sa critique à l’endroit de Mason, la Cour suprême n’a pas fondé sa décision sur l’argument de TELUS en matière de « vote vide ».

Décision de la Cour d’appel

Dans sa décision, la Cour d’appel a conclu que les exigences prévues à l’alinéa 167(3)(b) de la BCBCA sont [Traduction] « claires et sans équivoque : une demande de convocation doit être signée par un actionnaire inscrit et comporter l’adresse de l’actionnaire inscrit ». La Cour estime que « l’alinéa en question ne prévoit pas l’exigence de fournir le nom des porteurs véritables des actions et que le juge en chambre a erré en y voyant une telle exigence ». Selon la Cour d’appel, CDS est le porteur inscrit des actions ayant permis de soumettre la demande de convocation d’assemblée. À moins que des motifs impérieux permettent d’en venir à une autre conclusion, le libellé simple et clair de la loi prévoit que CDS est en droit de demander la convocation d’une assemblée. De plus, l’alinéa 167(3)(b) de la BCBCA ne prévoit nullement qu’un actionnaire faisant la demande de convocation doive être le propriétaire véritable des actions ni que la demande doive divulguer l’identité du propriétaire véritable.

Quant aux résolutions proposées, la Cour d’appel a conclu que ces résolutions n’étaient pas incompatibles avec les modalités de l’article 27 des statuts de TELUS.

En ce qui concerne les préoccupations entourant le « vote vide », la Cour d’appel a souligné que bien que les intérêts de Mason n’étaient pas compatibles avec la santé financière de TELUS, rien n’indique que Mason s’est adonnée à quelque activité illégale que ce soit dans sa négociation des actions.

La Cour d’appel a reconnu que bien que la jurisprudence et la doctrine font état de la problématique du « vote vide », les tribunaux ne sont habiletés à intervenir en la matière que lorsque les lois leur permettent expressément de le faire. Plus précisément, la Cour d’appel a déclaré que [Traduction] « le fait que Mason ait couvert sa position dans la mesure où elle l’a fait soulève des préoccupations. Il y a lieu, à tout le moins, de s’inquiéter vivement du fait que les intérêts de Mason ne sont pas conformes à l’objectif de favoriser la santé financière de la société. Ceci étant dit, rien ne permet de croire que Mason contrevenait aux lois, et il n’existe aucune disposition légale qui permettrait à cette Cour d’intervenir pour des motifs d’équité générale. Si l’on postule que le « vote vide » nuit aux objectifs de la démocratie actionnariale, il appartient au législateur d’apporter les modifications qui s’imposent ».

Situation actuelle

Selon le communiqué de presse diffusé par TELUS le 15 octobre 2012, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a ordonné la tenue d’une assemblée conjointe des actionnaires le 17 octobre 2012 en vue d’examiner la proposition de TELUS en matière d’échange d’actions et les résolutions connexes de Mason. La Cour suprême a conclu qu’il était approprié de permettre à TELUS d’exercer les droits de votes conférés par les procurations qu’elle a reçues des porteurs d’actions ordinaires au sujet des résolutions de Mason. Par conséquent, les procurations accordant à la direction de TELUS l’autorisation de voter en faveur de la proposition de TELUS pourraient être exercées à l’encontre des résolutions de Mason et, de même, les procurations accordées en vue de voter contre la proposition de TELUS pourraient être exercées en faveur des résolutions de Mason. À la suite de l’assemblée du 17 octobre 2012, TELUS a fait connaître les résultats du scrutin : les actionnaires de TELUS ont voté très largement en faveur de la proposition de TELUS. Mason a fait savoir qu’elle porterait en appel les ordonnances rendues par la Cour suprême. Aucune des résolutions de Mason n’a reçu le niveau d’appui exigé des porteurs d’actions ordinaires pour son adoption. Une audience sur l’ordonnance définitive visant l’approbation de l’opération d’échange est prévue pour le 5 novembre 2012.

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