Des procédures judiciaires présentement en cours devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique soulèvent d’importantes questions concernant la constitutionalité des restrictions imposées sur la capacité des Canadiens de payer pour des services de santé médicalement nécessaires. Deux établissements privés de soins de santé situés à Vancouver (Colombie-Britannique), le Cambie Surgery Center et le Specialist Referral Clinic (Vancouver) Inc., sont dans la ligne de mire du gouvernement provincial pour avoir adopté des pratiques qui, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, contreviennent aux restrictions prévues dans la législation provinciale en matière de soins de santé quant à la capacité de payer pour des services de soins de santé. Une affaire récente (présentée ci‑après) suggère que cette question pourrait en être à son point culminant.
La règlementation des soins de santé en Colombie-Britannique
Pour offrir un peu de contexte, rappelons que la loi régissant les soins de santé en Colombie‑Britannique, la Medicare Protection Act (la « MPA »)[1], prévoit un régime public d’assurance‑santé et que ce régime, le Medical Services Plan (« MSP »), est géré par la Medical Services Commission of British Columbia (la « Commission »). Les résidents de la Colombie‑Britannique qui participent au MSP en sont les « bénéficiaires ». Les professionnels de la santé et les médecins praticiens peuvent s’inscrire au MSP et, une fois inscrits, ils facturent alors le MSP pour les services médicaux qu’ils fournissent aux bénéficiaires. Un barème des honoraires prévoit le montant qu’un médecin praticien peut facturer au MSP pour tout acte médical posé.
La plupart des médecins praticiens de la Colombie-Britannique sont inscrits au MSP et facturent directement celui‑ci. Certains médecins praticiens ont choisi, en vertu de l’article 14 de la MPA, de facturer directement leurs patients, dans lequel cas le patient doit alors soumettre une demande de remboursement auprès du MSP. D’autres ont choisi de ne pas s’inscrire du tout au MSP. En vertu de l’article 17 de la MPA, seuls les médecins praticiens qui ont fait un choix en vertu de l’article 14 ou qui ne sont pas inscrits au MSP sont autorisés à facturer directement leurs patients.
L’article 18 de la MPA interdit la « surfacturation », laquelle consiste à facturer à un patient qui est un bénéficiaire un montant supérieur à celui que le MSP paierait pour le service en question. L’interdiction vise tous les frais accessoires au service, tels les frais d’établissement. La seule exception : le médecin praticien qui n’est pas inscrit au MSP peut facturer davantage pour la prestation de services, pourvu que ces services ne sont pas fournis dans un hôpital. En vertu de la législation de la Colombie-Britannique, une clinique de chirurgie privée est considérée comme étant un hôpital.
Premier recours intenté par Cambie Surgeries Corp.
Cambie Surgeries Corp. (« Cambie ») est propriétaire du Cambie Surgery Center (« CSC »), un établissement privé de soins de santé qu’elle exploite à Vancouver (Colombie-Britannique). Au CSC, les patients reçoivent des services de chirurgie et de diagnostic dans divers domaines de spécialité, notamment la chirurgie orthopédique, la chirurgie oculaire et la chirurgie plastique. Le CSC est affilié à un autre établissement privé de soins de santé, le Specialist Referral Clinic (Vancouver) Inc. (le « SRC »), qui fournit principalement des services de consultation ou d’évaluation médicale.
Le CSC et le SRC (les « Établissements ») reconnaissent que la façon dont ils facturent les bénéficiaires pour la prestation de services médicaux contrevient aux dispositions de la MPA. Comme il est indiqué ci‑dessus, la MPA interdit aux médecins praticiens qui sont inscrits au MSP, et qui n’ont pas fait un choix en vertu de l’article 14, de facturer directement les bénéficiaires pour des services couverts par le MSP, et elle interdit toute surfacturation, y compris les frais d’établissement, à l’égard de services médicaux fournis dans un hôpital. Même si la plupart des praticiens du CSC sont inscrits au MSP, les patients doivent payer des « frais d’établissement » qui servent à couvrir le coût des fournitures et des soins infirmiers et les coûts indirects (alors que les honoraires du médecin sont facturés à l’assureur, qui, dans certains cas, est le MSP). De façon similaire, le SRC facture dans certains cas directement à des patients les frais liés aux services fournis, et lorsqu’une consultation concerne une chirurgie prévue ultérieurement au CSC, le SRC, plutôt que le CSC, facture des frais d’établissement à ces patients[2].
En avril 2008, la Commission a exigé que les Établissements se soumettent à un audit à la suite de plaintes de bénéficiaires à qui on avait facturé des frais pour des services médicaux reçus aux Établissements[3]. Les Établissements ont pris la position que la loi donnant lieu à l’audit, la MPA, était inconstitutionnelle et, par conséquent, que l’audit ne pouvait avoir lieu.
En janvier 2009, Cambie[4] a intenté une poursuite contre le gouvernement, alléguant que les articles 14, 17, 18 et 45 de la MPA (les « Dispositions ») contreviennent aux articles 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne) et 15 (droit à l’égalité) de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme il est indiqué ci‑dessus, les articles 14, 17 et 18 concernent la facturation directe et la surfacturation, et l’article 45 interdit de souscrire une assurance privée pour des soins médicaux couverts par le MSP.
Cambie a demandé au tribunal de déclarer que les Dispositions « [Traduction] ont pour effet d’empêcher ou de limiter sérieusement le développement et la disponibilité des soins de santé privés aux gens ordinaires de la Colombie-Britannique…lorsque le système public de soins de santé ne peut garantir des services de soins de santé raisonnables dans un délai raisonnable… ». Cambie demande au tribunal de rendre inopérantes les Dispositions, immédiatement ou dans les six mois suivant l’ordonnance (afin de donner au gouvernement le temps de modifier les Dispositions contrevenantes)[5].
L’injonction demandée par la Medical Services Commission de la Colombie-Britannique
Après quelques escarmouches juridiques sur la question, la Commission a commencé son audit des Établissements en janvier 2011, et a produit son rapport en juin 2012. Les conclusions de cet audit ont confirmé que Cambie avait adopté des pratiques irrégulières de facturation directe et de surfacturation. Par conséquent, le 18 juillet 2012, la Commission a ordonné aux Établissements de mettre fin à leurs pratiques dans les 30 jours suivant l’ordonnance, à défaut de quoi elle solliciterait une injonction. Les Établissements ne se sont pas conformés aux demandes de la Commission. Celle‑ci a donc intenté des procédures en injonction le 22 août[6]. La demande d’injonction devrait être entendue du 19 au 21 novembre 2012.
[1]RSBC 1996 Ch. 286
[2]Ministère de la santé, Programme d’intégrité de la facturation, Division des enquêtes et de l’audit, “Specialist Referral Clinic (Vancouver) Inc. and Cambie Surgeries Corporation – Audit Report”, juin 2012 aux pages 18-20 (le « rapport d’audit »).
[3]Ibid à la page 12.
[4]La requête de la poursuite civile a été récemment modifiée pour ajouter quatre patients du CSC et/ou du SRC en tant que demandeurs.
[5]Amended Notice of Civil Claim, déposée le 7 septembre 2012, par. 80-84
[6]Aleksandra Sagan, “Injunction sought against private clinic operating in Vancouver” The Globe and Mail (20 août 2012), en ligne : http://www.theglobeandmail.com/news/british-columbia/injunction-sought-against-private-clinic-operating-in-vancouver/article4490999/