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La signification de bénéficiaire effectif : Le Canada et le projet révisé pour commentaires de l’OCDE

Fasken
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Bulletin Fiscalité

Le 19 octobre 2012, l'Organisation de coopération et de développement économiques (« OCDE ») a publié un projet révisé pour commentaires (« projet révisé pour commentaires ») sur la signification de l'expression « bénéficiaire effectif » dans les articles 10 (Dividendes), 11 (Intérêts) et 12 (Redevances) du Modèle OCDE de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de 1977 (« Modèle de Convention fiscale »). Le projet révisé pour commentaires suit de près le projet pour commentaires publié par l'OCDE le 29 avril 2011 (« projet pour commentaires de 2011 »), auquel la communauté fiscale reproche de porter à confusion et d'avoir une application trop large. Le commentaire révisé de l'OCDE constitue une avancée importante pour les multinationales qui sont préoccupées par l'imposition des versements internationaux de dividendes, d'intérêts et de redevances.

Contexte

Aux termes du paragraphe 212 (1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), une retenue d'impôt de 25 pourcent s'applique sur divers types de revenu (incluant les dividendes, certains types d'intérêts et les redevances) qu'une personne résidant au Canada paie ou porte au crédit, ou est réputée payer ou porter au crédit d'une personne non-résidente. Si une convention fiscale bilatérale a été conclue entre le Canada et le pays de résidence du non-résident, la retenue d'impôt de 25 pourcent pourrait être réduit ou éliminé.

Les conventions fiscales bilatérales du Canada sont fondées sur le Modèle de Convention fiscale.  Le Modèle de Convention fiscale prévoit un taux de retenue d'impôt moins élevé sur un paiement effectué par le résident d'un pays à un résident d'un autre pays si le récipiendaire est le « bénéficiaire effectif » des dividendes, des intérêts ou des redevances. Toutefois, l'expression « bénéficiaire effectif » n'est pas définie dans le Modèle de Convention fiscale ni dans les conventions fiscales bilatérales du Canada. En outre, le Modèle de Convention fiscale ne précise pas si un pays devrait utiliser ses propres lois internes dans le cadre de l'interprétation de cette l'expression. Cette ambiguïté a donné lieu à diverses interprétations par les tribunaux et les administrations fiscales, ce qui peut avoir une incidence sur l'efficacité fiscale de certaines opérations.

Projets pour commentaires de l'OCDE

Le 29 avril 2011, l'OCDE a publié un projet pour commentaires du public sur la signification de l'expression « bénéficiaire effectif » dans les articles 10, 11 et 12 du Modèle de Convention fiscale. Dans le projet pour commentaires de 2011, l'OCDE énonce que le récipiendaire d'un dividende[1] est le « bénéficiaire effectif » de ce dividende s'il a « pleinement le droit d'utiliser le dividende qu'il perçoit et d'en jouir sans être tenu par une obligation contractuelle ou légale de transférer le paiement reçu à une tierce personne ». Il énonce également que cette obligation est généralement tirée de la documentation juridique applicable mais les faits et les circonstances peuvent aussi être pertinents pour démontrer que le récipiendaire n'a clairement pas pleinement le droit d'utiliser le revenu et d'en jouir. Les critiques émises à l'égard du projet pour commentaires de 2011 lui reprochent d'être lourd de conséquences et d'ajouter de la confusion et de la subjectivité à l'interprétation du concept de bénéficiaire effectif.

Pour tenter de répondre aux préoccupations soulevées en réponse au projet pour commentaires de 2011, l'OCDE a publié un projet révisé pour commentaires le 19 octobre 2012.

La plupart des commentaires transmis à l'OCDE à l'égard du projet pour commentaires de 2011 portaient sur la formulation utilisée par l'OCDE (citée ci-dessus) selon laquelle le destinataire d'un dividende[2] est le bénéficiaire effectif de ce dividende s'il a « pleinement le droit de l'utiliser et d'en jouir ». Bon nombre de commentateurs ont souligné que la phrase pouvait s'appliquer à un certain nombre de situations légitimes, notamment le recours à des sociétés de portefeuille, le versement par une filiale d'un dividende à sa société mère, l'affectation du revenu reçu au paiement d'intérêts à un créancier et à divers produits financiers (c.-à-d., des opérations de rachat ou de mise en pension de titres et de dérivés de crédit, y compris des swaps sur défaillance).

Le projet révisé pour commentaires tente de répondre à certaines préoccupations soulevées en réponse au projet pour commentaires de 2011. Par exemple, le critère selon lequel le destinataire doit avoir « pleinement le droit d'utiliser et de jouir » a été modifié et est plutôt devenu un « droit d'utiliser et de jouir », étant donné qu'il a été proposé que l'utilisation du mot « pleinement » comportait une incertitude. Cependant, l'OCDE a conservé la disposition selon laquelle le destinataire n'est pas un bénéficiaire effectif s'il est « tenu par une obligation contractuelle ou légale de transférer le paiement reçu à une tierce personne ». L'OCDE a ajouté qu'une obligation contractuelle ou légale de transférer le paiement reçu à une tierce personne doit être reliée au paiement reçu et que, par conséquent, elle n'inclut pas les obligations contractuelles ou légales qui ne sont pas reliées au paiement, notamment les obligations qu'un récipiendaire peut avoir à titre de débiteur ou à titre de partie à une opération financière, ou les obligations de distribution habituelles dans le cadre de régimes de retraite et d'organismes de placement collectif donnant droit aux avantages au titre de conventions fiscales.

La formulation utilisée par l'OCDE selon laquelle une obligation peut découler de « faits et de circonstances » qui attestent que, « en substance », le récipiendaire ne dispose pas du plein droit d'utiliser le revenu et d'en jouir est également demeurée dans le projet révisé pour commentaires.

Enfin, le projet révisé pour commentaires traite de la formulation utilisée par l'OCDE dans le projet pour commentaires de 2011 selon laquelle l'expression « bénéficiaire effectif » devrait avoir une signification prévue par un traité autonome (c'est-à-dire qu'elle ne devrait pas renvoyer à une signification technique qu'elle pourrait avoir en vertu de la législation nationale d'un pays donné). Dans le projet pour commentaires de 2011, il est noté que le fait d'avoir une signification prévue par un traité autonome ne veut pas dire que la signification donnée à l'expression « bénéficiaire effectif » par la législation nationale soit automatiquement à exclure pour l'interprétation de cette expression. Cette contradiction apparente a créé de la confusion et, dans certains cas, la perception que le commentaire pourrait être interprété comme permettant au contribuable de choisir entre l'interprétation de la législation nationale et l'interprétation de l'OCDE. Dans son projet révisé pour commentaires, l'OCDE reconnaît que cette contradiction apparente a créé une confusion et elle retire l'énoncé à l'effet que la signification attribuée à l'expression « bénéficiaire effectif » en vertu de la législation nationale d'un État en particulier pourrait être examinée.

Jurisprudence canadienne sur le « bénéficiaire effectif »

La jurisprudence canadienne récente sur la signification de « bénéficiaire effectif » fournit un encadrement sur la façon dont les tribunaux canadiens ont interprété ce concept. Ces décisions sont importantes du fait qu'elles fournissent une clarification additionnelle sur les circonstances dans lesquelles les contribuables peuvent prendre des dispositions pour que des paiements soient versés à une société établie dans un territoire visé par un traité, sans perdre l'allègement prévu par la convention fiscale dans le cas de paiements de source canadienne.

Dans l'affaire La Reine c. Prévost Car Inc.[3] (« Prévost Car »), l'Agence du revenu du Canada (« ARC ») a contesté la capacité d'une société de portefeuille des Pays-Bas (« Holdco ») de réclamer des avantages conférés par des traités en faisant valoir que Holdco n'était pas le « bénéficiaire effectif » des dividendes reçus d'une société canadienne, ce qui autorisait l'ARC à exiger une retenue d'impôt à un taux de 25 % plutôt qu'un taux de 5 % prévu dans la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume des Pays‑Bas.

La Cour canadienne de l'impôt (« CCI ») et la Cour d'appel fédérale (« CAF ») ont statué en faveur du contribuable, et elles ont conclu que Holdco était le bénéficiaire effectif des dividendes. La CCI a énoncé que le bénéficiaire effectif des dividendes est la personne qui reçoit le dividende pour son propre usage et sa propre jouissance, qui assume les risques liés au dividende et qui dispose en maître du dividende. En outre, la CCI a statué qu'il n'y a pas lieu de soulever le voile corporatif, à moins que la société ne serve de relais pour une autre personne et qu'elle n'ait absolument aucune latitude quant à l'usage ou à l'affectation des fonds qui passent par elle en sa qualité de relais.

La CCI a conclu que bien que Holdco n'avait aucun bureau ni employé, il ne s'agissait pas d'un relais et qu'elle n'était pas en position de n'avoir absolument aucune latitude quant à l'usage des fonds. Lorsqu'elle a confirmé la décision de la CCI, la CAF a noté l'importance d'utiliser les commentaires de l'OCDE comme directive d'interprétation. Cependant, bien que la CAF ait examiné la signification de bénéficiaire effectif dans le Commentaire de l'OCDE 2003, la CAF a noté que les Commentaires de l'OCDE ultérieurs ne devraient pas être utilisés s'ils entrent clairement en conflit avec le Commentaire de l'OCDE en vigueur au moment de la négociation ou de la ratification de la Convention.

L'ARC n'a certainement pas été dissuadée par la décision rendue dans l'affaire Prévost Car et elle a décidé d'utiliser une argumentation semblable dans l'affaire Velcro Canada Inc. c. La Reine[4] (« Velcro »). Dans l'affaire Velcro, l'ARC a contesté le fait que la société de portefeuille néerlandaise (« VHBV ») était le bénéficiaire effectif des redevances versées par une société canadienne, Velcro Canada Inc. (« Velcro Canada »). Une société néerlandaise (« VIBV ») avait cédé à VHBV le droit d'octroyer des licences à Velcro Canada visant de la propriété intellectuelle appartenant à VIBV immédiatement avant que VIBV ne devienne un résident des Antilles néerlandaises. Le point litigieux en cause consistait à savoir si VHBV avait le droit de bénéficier du taux de retenue d'impôt réduit aux termes de la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume des Pays‑Bas.

Lors du procès, la CCI a renvoyé à la signification de « bénéficiaire effectif » du revenu qui a été adopté par les tribunaux dans l'affaire Prévost Car, c'est-à-dire la personne qui le reçoit pour son propre usage et sa propre jouissance, qui assume les risques liés au revenu et qui dispose en maître du revenu.  La CCI a étudié quatre éléments de l'affaire Prévost Car pour déterminer la propriété effective : a) la possession; b) l'usage; c) le risque; et d) la maîtrise. La CCI a également invoqué les commentaires figurant dans Prévost Car selon lesquels il n'y a pas lieu de soulever le voile de la personnalité juridique, à moins que la société n'ait « absolument aucune latitude » quant à l'usage ou à l'affectation des fonds.

La CCI a conclu que le contribuable avait démontré qu'il était le bénéficiaire effectif des redevances en ce qui concerne chacun des quatre éléments. La CCI a pris en considération les facteurs suivants pertinents dans le cadre de sa décision : les fonds versés à titre de redevances par Velcro Canada ont été déposés dans un compte détenu par VHBV, dont elle avait la possession et la maîtrise exclusives; VHBV avait le droit de recevoir les redevances de Velcro Canada; les fonds étaient intégrés avec d'autres sommes dans les comptes de VHBV; VHBV a converti les fonds à l'origine en dollars canadiens, en dollars américains pour payer VIBV; l'argent  rapportait des intérêts pour VHBV; VHBV n'avait pas à demander d'instructions dans le cadre de l'affectation des fonds; et le montant des paiements de redevances reçus par Velcro Canada différait du montant payé par VHBV à VIBV.  La CCI a appliqué les dispositions des interprétations du Modèle de Convention fiscale, puis elle a examiné si VHBV a agi comme un mandataire, un prête‑nom ou un relais en ce qui concerne les redevances de Velcro Canada. La CCI a conclu que VHBV n'avait pas la capacité d'influer sur la situation juridique de VIBV et elle n'était donc pas un mandataire.

Commentaire de Fasken Martineau

La publication du projet révisé pour commentaires de l'OCDE constitue une avancée importante dont les sociétés multinationales devraient prendre connaissance. Étant donné que toutes les conventions fiscales du Canada limitent l'accès au taux de retenue d'impôt réduit sur les dividendes, les intérêts et les redevances aux termes d'une convention fiscale, au bénéficiaire effectif de tels paiements, le projet révisé pour commentaires pourrait avoir une incidence sur le calcul du taux de retenue d'impôt approprié sur le paiement de dividendes, d'intérêts et de redevances transfrontaliers.

Malheureusement, l'OCDE n'a pas fourni suffisamment de clarifications sur le type d'obligations qui feraient en sorte que le récipiendaire d'un paiement ne serait pas considéré comme un bénéficiaire effectif du paiement.

La formulation utilisée par l'OCDE selon laquelle le récipiendaire n'est pas un bénéficiaire effectif s'il est « tenu par une obligation contractuelle ou légale de transférer le paiement reçu à une tierce personne » a été conservée dans le projet révisé pour commentaires. Cet énoncé pourrait, par exemple, avoir une incidence sur l'imposition des ententes en matière de prêts de titres, ce qui comporte, d'une part, le transfert explicite de la propriété des titres à l'emprunteur mais, d'autre part, une obligation pour l'emprunteur de remettre un montant équivalent du même type de titres au prêteur (avec une rémunération au titre du rendement généré par les titres).

En outre, l'OCDE a maintenu l'énoncé selon lequel une obligation de céder le paiement à une autre personne peut découler non seulement des documents juridique applicables mais également des « faits et des circonstances » qui démontrent que le récipiendaire n'a clairement pas pleinement le droit d'utiliser le paiement et d'en jouir. En affirmant qu'il faut tenir compte des « faits et circonstances », le projet pour commentaires diverge de la compréhension générale et de la conclusion des tribunaux canadiens dans les affaires Prévost Car et Velcro, selon laquelle la société qui est le récipiendaire et propriétaire du paiement est également le bénéficiaire effectif des dividendes, sauf si elle est un mandataire, un prête‑nom ou un relais. Cette interprétation plus large et subjective pourrait faire en sorte que les autorités fiscales utilisent la signification de propriété effective comme outil pour combattre l'évasion fiscale, ce qui leur permettrait d'attaquer les sociétés de portefeuille internationales dans des circonstances qui semblent abusives et, par conséquent, semer une incertitude importante chez les sociétés multinationales.

Enfin, la nouvelle formulation proposée crée davantage de confusion en présentant le concept de paiements reliés et non reliés sans l'expliquer. Bien que l'OCDE fournisse quelques exemples d'un paiement non relié, le projet révisé pour commentaires ne fournit aucune explication sur la signification d'un paiement relié ou non relié. Les entreprises internationales auraient intérêt à obtenir des directives plus précises sur la signification d'un paiement relié ou non relié pour pouvoir structurer leurs opérations avec confiance et assurance.

L'OCDE a invité le public à soumettre ses commentaires sur le projet pour commentaires avant le 15 décembre 2012. Ceux-ci seront étudiés en février 2013. L'OCDE déclare cependant qu'elle ne souhaite pas obtenir de commentaires sur la substance de ses propositions, mais plutôt sur les questions liées à la rédaction. Autrement dit, tout changement futur qui sera apporté à la suite de la consultation sera relativement mineur.


[1] Les modifications proposées initialement dans le projet pour commentaires de 2011 étaient pratiquement identiques pour les articles 10 (Dividendes), 11 (Intérêts) et 12 (Redevances).

[2] Le projet révisé pour commentaires met l'accent sur les propositions visant l'article 10 étant donné que les modifications initialement proposées dans le projet pour commentaires de 2011 étaient presque identiques pour les articles 10, 11 et 12.

[3] 2008 CCI 231, confirmé par 2009 CAF 57.

[4] 2012 CCI 57.

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Auteur

  • Christopher Steeves, Associé | Fiscalité, Toronto, ON, +1 416 868 3401, csteeves@fasken.com

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