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La langue d’affichage : la clarté de la Charte est confirmée. Une marque de commerce n’est pas un nom d’entreprise

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Bulletin Propriété intellectuelle

Suite à la réception de mises en demeure et préavis de suspension de leur certificat de francisation envoyés par l'Office québécois de la langue française (l'« OQLF »), divers titulaires des marques de commerce[1] se sont regroupés pour demander à la Cour supérieure de déclarer leur interprétation de la Charte de la langue française[2] (la « Charte ») et du Règlement sur la langue du commerce et des affaires[3] (le « Règlement ») valide.

L'OQLF leur avait reproché d'afficher sur leurs devantures une marque de commerce dans une langue autre que le français, sans toutefois accompagner la marque de commerce de termes génériques en français, ceci ayant pour résultat que l'affichage était entièrement dans une langue autre que le français. Les compagnies titulaires de ces marques de commerce étaient d'avis qu'un tel affichage est conforme à la Charte et au Règlement.

Position de l'OQLF

L'OQLF prétend que l'usage d'une marque de commerce sur la devanture d'un commerce doit être assimilé à l'affichage d'un nom d'entreprise et doit par conséquent être accompagné d'un générique en français, tel qu'exigé par l'article 27 du Règlement. Selon l'OQLF, afficher publiquement une marque de commerce sur la devanture d'un commerce équivaut à afficher un nom d'entreprise, d'où l'obligation d'adjoindre un terme générique en français pour répondre aux exigences de l'article 63 de la Charte, lequel prévoit que le nom d'une entreprise doit être en français.

Position des titulaires de marques de commerce

La prétention des titulaires de marques de commerce est simple et concise. Ceux-ci argumentent que la Charte et le Règlement permettent l'affichage public dans une langue autre que le français dans la mesure où l'affichage consiste en une marque de commerce enregistrée dans une langue autre que le français et non enregistrée en français.

Décision du tribunal

Le tribunal confirme l'argument des titulaires de marques voulant que les termes « nom d'entreprise » et « nom » auxquels réfèrent les articles 58 et 68 de la Charte visent les noms d'entreprise au sens de la Loi sur la publicité légale des entreprises[4] et ne comprennent pas les marques de commerce. Ainsi, le tribunal rappelle qu'il ne faut pas confondre l'emploi d'une marque de commerce avec l'emploi d'un nom commercial. À titre d'exemple, la marque de commerce CURVES est utilisée par diverses franchisées dont 9226-9794 Québec inc. Le nom d'entreprise est 9226-9794 Québec inc. alors que la marque de commerce est CURVES.

Le tribunal souligne qu'une marque de commerce est un concept juridique distinct de celui de nom commercial ou de nom d'entreprise et est régie par ses propres règles. Rappelons que les marques de commerce sont de compétence fédérale et sont régies par la Loi sur les marques de commerce[5] et divers traités internationaux, lesquels n'ont aucun lien avec les noms d'entreprise régis par les lois provinciales.

Il convient de souligner que les compagnies étaient toutes titulaires de marques de commerce enregistrées sans qu'une version française de la marque ne soit enregistrée. Il n'est donc aucunement question dans le jugement du cas d'entreprises utilisant dans leur affichage commercial des marques de commerce n'ayant pas fait l'objet d'un enregistrement.

Le tribunal rappelle d'ailleurs l'encadrement supranational des marques de commerce et l'obligation des États signataires des traités internationaux pertinents de respecter l'intégrité des marques de commerce. À cet effet, le tribunal s'appuie sur un avis du Conseil de la langue française publié au mois d'août 2000. La ministre responsable de la Charte avait demandé au Conseil de se pencher sur la question de l'affichage des raisons sociales au Québec, en englobant notamment la question des marques de commerce. Dans son avis, le Conseil rappelle que la protection juridique internationale des marques de commerce s'applique indépendamment de la langue. Par conséquent, le Conseil était d'avis qu'il n'y avait pas lieu d'amender la Charte ou le Règlement de manière à affecter le régime des marques de commerce.

Le tribunal appuie également sa décision sur l'interprétation de la Charte et du Règlement par l'OQLF durant de nombreuses années. Ainsi, il ressort de la preuve que durant une vingtaine d'années, l'OQLF a toléré, et accepté comme conforme à la Charte, l'affichage de marques de commerce dans une langue autre que le français sans générique français. Ce n'est que depuis 2010 que l'OQLF exige que l'affichage public de marques de commerce rédigées dans une langue autre que le français soit accompagné d'un générique en français.

Le tribunal conclut donc que l'affichage d'une marque de commerce dans une langue autre que le français est autorisé dans l'affichage public et dans la publicité commerciale, en particulier sur des enseignes de devantures de magasin, lorsqu'il n'existe aucune version française déposée de la marque de commerce.  Ainsi, le droit applicable en la matière demeure inchangé. L'affichage dans une autre langue que le français est légal s'il s'agit d'une marque de commerce enregistrée auprès de l'Office de la Propriété Intellectuelle; et si aucune version française de la marque n'est enregistrée.


[1] Magasins Best Buy Ltée; Costco Wholeslae Canada Ltd.; GAP (Canada) Inc.; Old Navy (Canada) Inc.; Corporation Guess? Canada; La Compagnie Wal-Mart du Canada; Toys « R » Us Canada Ltée; Curves International Ltée.

[2] RLRQ, c. C-11

[3] RLRQ, c. C-11, r. 9

[4] RLRQ c P-44.1

[5] LRC 1985, c T-13

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