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Décision de la Cour suprême du Canada : Aide médicale à mourir

Fasken
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Bulletin Santé

Au Canada, l'aide apportée à une personne pour qu'elle mette fin à ses jours a traditionnellement été considérée comme une infraction criminelle. Ceci comprend aussi l'incapacité d'une personne à demander l'aide médicale à mourir. Les dispositions visant cette infraction ont été invalidées récemment par la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Carter c. Canada (Procureur général)[1]. La question principale dans cette affaire consistait à savoir si l'interdiction de l'aide médicale à mourir du Code criminel[2] violait les droits des appelants en vertu des articles 7 et 15[3]  de la Charte des droits et libertés[4]. Les appelants ont employé l'expression « aide médicale à mourir » (physicianassisted death et physicianassisted dying) pour décrire « le fait, pour un médecin, de fournir ou d'administrer un médicament qui provoque intentionnellement le décès du patient à la demande de ce dernier »[5].

La Cour a soutenu que le Code criminel enfreint l'art. 7 de la Charte, privant les adultes de leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne d'une manière non conforme aux principes de justice fondamentale. La Cour s'est penchée expressément sur l'application du droit dans le cas « d'une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition »[6].

Il y a vingt ans, la Cour avait été saisie de la question du suicide assisté ou de l'aide médicale à mourir dans la cause Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général)[7]. Dans cette affaire, la Cour avait confirmé une « interdiction générale de l'aide au suicide »[8]; toutefois, depuis ce temps, le suicide assisté continue à faire l'objet de débats. Par exemple, entre 1991 et 2010, la Chambre des communes s'est penchée sur six projets de loi d'initiative parlementaire dont le but était de décriminaliser le suicide assisté. Le Sénat a également publié en 1995 un rapport sur le suicide assisté et l'euthanasie, et plus récemment, en 2011, la Société royale du Canada a publié un rapport recommandant une révision du Code criminel pour permettre l'aide à mourir. En outre, à ce jour, le comité spécial de l'Assemblée nationale du Québec pour le droit de mourir dans la dignité a émis un rapport en 2012 qui recommande des modifications à la législation pour faire reconnaître l'aide à mourir comme étant un soin de fin de vie approprié (désormais codifié dans la Loi concernant les soins de fin de vie, non encore en vigueur)[9]. Dans Carter c. Canada, la Cour a apporté une distinction par rapport à la cause Rodriguez et, au final, a conclu que la question revient fondamentalement à trouver un équilibre entre d'une part, l'autonomie et la dignité d'un adulte capable qui cherche dans la mort un remède à des problèmes de santé graves et irrémédiables, et d'autre part, le caractère sacré de la vie et la nécessité de protéger les personnes vulnérables de la société[10]. Le texte qui suit constitue un aperçu de la décision.

Faits

Les appelants suivants ont contesté le caractère constitutionnel des dispositions du Code criminel qui, dans leur ensemble, interdisent la prestation de l'aide à mourir au Canada : T qui a reçu un diagnostic de maladie neurodégénérative fatale (SLA) en 2009; C et J qui se sont rendus en Suisse pour recourir aux services d'une clinique de suicide assisté pour la mère de C; un médecin prêt à participer à l'aide médicale à mourir si elle était légale; et l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.

Historique procédural

La juge de première instance de la Colombie-Britannique a conclu que l'interdiction de l'aide médicale à mourir viole l'art. 7 de la Charte et les droits des adultes capables, souffrant de manière intolérable en raison d'un état médical irrémédiable, et n'est pas justifiée en vertu de l'art. 1 de la Charte[11]. Le procureur général de la Colombie-Britannique a interjeté appel de cette décision auprès de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a accueilli l'appel sur le fondement que la juge de première instance était tenu de suivre la décision de la Cour dans la cause Rodriguez[12]. Les parties ont contesté la décision en Cour suprême du Canada.

Analyse

Dans son analyse de l'art. 7 de la Charte, la Cour a rendu des conclusions précises sur la vie, la liberté ou la sécurité de la personne. Le texte qui suit résume l'analyse :

(i) La vie

Notamment, la Cour a soutenu qu'une interdiction d'aide médicale à mourir prive certaines personnes de la vie, et que le choix d'une personne concernant la fin de vie doit être respecté[13]. Elle a précisé son raisonnement à l'effet que bien que l'art. 7 émane d'un profond respect pour la vie humaine, il englobe également le passage à la mort. La Cour a apporté une distinction par rapport à la cause Rodriguez et a conclu que le caractère sacré de la vie « n'exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix »[14].

(ii) Liberté ou sécurité de la personne

En ce qui concerne la sécurité de la personne, la Cour a insisté sur le fait que ces droits comprennent la protection de l'autonomie et de la dignité de la personne, y compris « la maîtrise de l'intégrité de sa personne sans aucune intervention de l'État »[15]. L'objet central de ce raisonnement a été précisé comme suit :

La réaction d'une personne à des problèmes de santé graves et irrémédiables est primordiale pour sa dignité et son autonomie. La loi permet aux personnes se trouvant dans cette situation de demander une sédation palliative, de refuser une alimentation et une hydratation artificielles ou de réclamer le retrait d'un équipement médical de maintien de la vie, mais leur nie le droit de demander l'aide d'un médecin pour mourir. La loi prive ces personnes de la possibilité de prendre des décisions relatives à leur intégrité corporelle et aux soins médicaux et elle empiète ainsi sur leur liberté. Et en laissant des personnes comme Mme Taylor subir des souffrances intolérables, elle empiète sur la sécurité de leur personne.[16]

(iii) Principes de justice fondamentale

Lorsqu'un tribunal conclut qu'il y a eu violation à l'art. 7 de la Charte, il doit alors décider si l'ingérence par rapport à la vie, la liberté ou la sécurité de la personne enfreint également les principes de justice fondamentale. Plus particulièrement, le tribunal examine l'ingérence pour déterminer si elle est arbitraire, excessive ou exagérément disproportionnée. Essentiellement, cela signifie que l'État ne peut priver arbitrairement une personne de ses droits constitutionnels ou diminuer sa valeur ou sa dignité d'une manière qui soit excessive ou exagérée de façon disproportionnée[17].

La Cour a soutenu que les dispositions du Code criminel ne restreignent pas arbitrairement les droits des personnes, puisque l'objet de l'interdiction d'une aide médicale à mourir est de protéger les personnes vulnérables qui voudraient mettre fin à leur vie[18]. Cependant, la Cour a conclu qu'une interdiction générale d'aide médicale à mourir est excessive puisque toutes les personnes voulant commettre un suicide ne sont pas nécessairement vulnérables; il peut en fait y avoir des gens qui ont le désir réfléchi et rationnel de mettre fin à leur propre vie[19]. Finalement, la Cour a conclu que l'impact de l'interdiction était très grave et exagérément disproportionné face à son objectif, étant donné qu'elle « impose aux personnes touchées des souffrances inutiles, les prive de la possibilité de décider ce qu'il faut faire de leur corps et du traitement à lui réserver, et peut amener les personnes touchées à s'enlever la vie plus tôt qu'elles ne le feraient si elles étaient à même d'obtenir une aide médicale à mourir »[20].

(iv) Article 1

Comme c'est le cas pour toutes les décisions relatives à la Charte, pour justifier l'atteinte à un droit, le gouvernement doit faire la preuve de ce qui suit : (i) l'existence d'un lien rationnel entre l'atteinte et l'avantage recherché; (ii) la restriction du droit est raisonnable et il n'existe aucun moyen moins préjudiciable de réaliser l'objectif (atteinte minimale); et (iii) l'effet bénéfique de la loi va dans le sens de l'intérêt supérieur du public.

D'une part, la Cour a conclu que le gouvernement « doit démontrer l'existence d'un lien rationnel entre la prohibition absolue de l'aide médicale à mourir et l'objectif qui consiste à empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à s'enlever la vie dans un moment de faiblesse »[21].

D'autre part, la Cour a soutenu qu'en ce qui concerne l'atteinte minimale, les risques pourraient être diminués de manière adéquate par l'emploi de balises appropriées[22]. Par conséquent, la prohibition absolue ne correspond pas à l'atteinte minimale. Selon le raisonnement de la Cour, cet aspect précis du test constituait le fondement de la cause et englobait la majorité de la preuve examinée en première instance. À l'examen de tous les éléments de preuve, la juge de première instance a conclu « qu'un régime permissif comportant des garanties adéquatement conçues et appliquées pouvait protéger les personnes vulnérables contre les abus et les erreurs. Certes, il existe des risques, mais un système soigneusement conçu et géré peut les contrer adéquatement »[23]. La Cour n'a pas réexaminé les conclusions factuelles de la juge de première instance relativement aux questions d'ordre social et législatif étant donné que la norme d'examen des conclusions de fait d'un juge de première instance ne peut être renversée, sauf dans le cas où ce juge aurait commis « une erreur manifeste et dominante ». Bien que le gouvernement ait présenté des preuves sur lesquelles il s'appuie pour démontrer que les nombreux problèmes que la Belgique éprouve à l'égard du suicide assisté persistent toujours, la Cour a convenu de la position de la juge de première instance voulant qu'il était « problématique de tirer, sur la foi de la preuve provenant de la Belgique, des conclusions relatives à la mesure dans laquelle les médecins respectent les garanties législatives »[24].

De plus, la Cour a rejeté la position du Canada sur la nécessité d'une interdiction générale (selon le point de vue du gouvernement, il y a trop de sources d'erreurs et de facteurs pouvant entraîner la mort involontaire ou délibérée d'un patient). Au final, la Cour a conclu qu'étant donné « qu'il n'y a aucune raison de croire que les blessés, les malades et les handicapés qui peuvent refuser un traitement vital ou un traitement de maintien de la vie, demander le retrait de l'un ou l'autre traitement, ou encore réclamer une sédation palliative, sont moins vulnérables ou moins susceptibles de prendre une décision faussée que ceux qui pourraient demander une assistance plus active pour mourir »[25], une évaluation du positionnement du patient fait déjà partie du régime médical. De ce fait, une interdiction générale ne devrait pas s'appliquer.

En dernier lieu, la Cour a précisé qu'étant donné que le droit ne porte pas d'atteinte minimale, il n'y avait pas lieu d'examiner l'incidence de la loi sur les droits protégés et l'effet bénéfique de la loi au plan de l'intérêt supérieur du public[26].

L'avenir

(i) Incidences aux niveaux fédéral et provincial

L'arrêt Carter c. Canada présente un potentiel d'incidences réelles sur l'administration des soins de santé aux niveaux fédéral et provincial. Même si la Cour a émis une déclaration d'invalidité et a suspendu les dispositions actuelles de la loi (art. 241 et 14 du Code criminel) pendant douze mois, le temps nécessaire pour que le Parlement et les législateurs puissent rédiger une législation et réglementation nouvelles, ainsi que des modifications aux régimes législatifs en cours pourrait être de plus qu'un an. Selon la décision de la Cour, il est clair également que puisque la santé est un domaine de juridiction concurrente (les assemblées législatives fédérale et provinciales ont compétence pour légiférer en la matière), « les deux ordres de gouvernement peuvent validement légiférer sur des aspects de l'aide médicale à mourir, en fonction du caractère et de l'objet du texte législatif »[27]. En raison du lien fédéral-provincial, la position et le rôle de la province devront être pris en compte dans les politiques et dans les documents législatifs.

(ii) Interprétation de la loi

De surcroît, il est entendu qu'au provincial, les associations médicales, collèges professionnels, compagnies d'assurance, hôpitaux, associations d'hôpitaux, organismes compétents des ministères provinciaux de santé et tout autre établissement prodiguant des soins de santé où les médecins effectuent de telles procédures, devront élaborer des lignes directrices, des codes de déontologie, de même que des politiques et procédures rigoureux afin de se conformer aux régimes législatifs et réglementaires ainsi créés.

La déclaration de la Cour à l'effet que « rien dans la déclaration d'invalidité ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir » [28] revêt un intérêt particulier pour ceux-ci. De ce fait, la Cour a prononcé une déclaration sans équivoque en précisant que la décision du médecin de participer à l'aide à mourir relève de la conscience et, dans certains cas, de la croyance religieuse[29]. Les droits des patients et des médecins qui sont enchâssés dans la Charte devront faire l'objet d'une harmonisation dans toute mesure législative et réglementaire prise suite à ce jugement.

L'application du test dans le contexte de la santé mentale présentera un intérêt d'autant plus fort. Le test établi par la Cour est ainsi formulé : « l'aide médicale à mourir dans le cas d'une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition »[30]. La Cour ne limite pas l'affection ou la maladie au physique. Ainsi, il est permis de penser que la condition médicale pourrait comprendre une affection d'ordre mental ou une maladie mentale, dans le cas d'une personne adulte capable de prendre une décision sur sa fin de vie. La santé mentale s'inscrit dans un domaine complexe du droit de la santé, et donc l'application de l'arrêt Carter c. Canada devra être étudiée et définie de manière rigoureuse.

(iii) Système sociétal des valeurs

Finalement, précisons aussi que les points de vue de la communauté sur la décision Carter c. Canada auront sans aucun doute une incidence sur l'approche du Parlement et des assemblées législatives provinciales au moment de prendre des décisions sur les politiques à suivre. Bien évidemment, le système de santé est axé sur le patient, et l'acceptation de l'aide médicale à mourir comme standard médical pour les patients sera ultimement fondée sur les valeurs de la société.


[1] Carter c. Canada (Procureur général) 2015 CSC 5

[2] Articles 241 et 14, Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46

[3] Étant donné que la Cour a conclu que l'interdiction du suicide assisté viole l'art. 7 de la Charte, elle a décidé de ne pas se pencher sur l'art. 15 de la Charte.

[4] Charte canadienne des droits et libertés,  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l'Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (Royaume-Uni), 1982, ch. 11.

[5] Supra note 1, par. 40. Note : bien que les appelants n'ont pas défini l'expression « suicide assisté », aux fins du présent document, cette expression a le même sens.

[6] Supra note 1, par. 147.

[7] Supra note 1, par. 35. Note : dans la cause Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) [1993] 3 R.C.S. 519 (« Rodriguez »), la majorité de la Cour « a rejeté la proposition voulant que l'interdiction enfreint le droit à la vie en vertu de l'art. 7 de la Charte (nommément que) les principes de justice fondamentale…, le caractère excessif et la disproportion exagérée n'imposaient pas un nouveau cadre légal en vertu de l'art. 7. »

[8] Supra note 1, par. 5.

[9] Supra note 1, par. 7. Voir : la Loi concernant les soins de fin de vie,  RLRQ, c. S-32.0001.

[10] Supra note 1, par. 2.

[11] Cour suprême de la Colombie-Britannique, 2012 BCSC 886, 287 C.C.C. (3d) 1

[12] Cour d'appel de la Colombie-Britannique, 2013 BCCA 435, 51 B.C.L.R. (5th) 213

[13] Supra note 1, par. 63.

[14] Ibid. Voir : Rodriguez, p. 595.

[15] Supra note 1, par. 64. Voir : Rodriguez, p. 587-88.

[16] Supra note 1, par. 66.

[17] Supra note 1, par. 81.

[18] Supra note 1, par. 84.

[19] Supra note 1, par. 86.

[20] Supra note 1, par. 90.

[21] Supra note 1, par. 99. Note : le gouvernement n'a qu'à démontrer un lien de causalité entre l'atteinte et l'avantage : voir RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) [1995] 3 R.C.S. 199, par. 153.

[22] Supra note 1, par. 104.

[23] Supra note 1, par. 105.

[24] Supra note 1, par. 112.

[25] Supra note 1, par. 115.

[26] Supra note 1, par. 122.

[27] Supra note 1, par. 53.

[28] Supra note 1, par. 132.

[29] Ibid.

[30] Supra note 1, par. 127.

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