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Responsabilité de la société mère : Risque de litige pour les sociétés du secteur des ressources

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Bulletin Mines et financement minier

Traditionnellement, les sociétés mères sont considérées comme des entités distinctes et, en conséquence, elles ne peuvent pas être tenues responsables des actes de leurs filiales. Ce concept est appelé le « voile corporatif ». Les tribunaux n’ont presque jamais permis à des demandeurs de percer le voile corporatif, à moins qu’une société ne soit constituée pour une fin illégale, frauduleuse ou illégitime ou que sa société mère ne s’en serve pour exercer des activités illégitimes. Dans ces rares cas, un tribunal peut faire fi de la personnalité juridique distincte et tenir la société mère responsable des actes ou des omissions des membres du même groupe qu’elle.

Cette position est contestée dans le cadre de réclamations au titre de violations de droits environnementaux et de droits de la personne déposées contre des sociétés mères du secteur des ressources pour des actes commis par leurs filiales étrangères et par des entrepreneurs de ces filiales.

Développements mondiaux

Des tribunaux en Europe et en Amérique du Nord sont appelés à rendre des jugements sur les activités menées par des sociétés apparentées à l’étranger. Par exemple, des demandeurs nigériens ont demandé des réparations aux Pays-Bas auprès de Shell Petroleum Development Company of Nigeria Ltd. (« Shell Nigéria »), et sa de société mère néerlandaise, Royal Dutch Shell plc, relativement à deux déversements de pétrole qui sont survenus au Nigéria par suite du sabotage de pipelines sous-terrains de Shell Nigéria. En 2013, un tribunal néerlandais a tenu Shell Nigéria responsable de ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour empêcher le sabotage, mais il n’a attribué aucune responsabilité à Royal Dutch Shell plc en vertu du droit nigérien.

En 2013, la Cour suprême des États-Unis a restreint son champ de compétence relativement aux réclamations en responsabilité délictuelle qui violent les normes internationales établies en vertu de la loi intitulée Alien Tort Statute (« ATS »). Dans l’affaire Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co.[1], la Cour suprême des États-Unis a soutenu que la présomption contre l’extraterritorialité s’applique à toutes les affaires déposées en vertu de l’ATS en vue de poursuivre une entreprise aux États-Unis pour des torts qui auraient été commis à l’étranger. Les demandeurs peuvent réfuter la présomption lorsque les affaires ont un lien suffisamment étroit avec le territoire des États-Unis. Cependant, il faut noter que la Cour suprême a soutenu qu’un demandeur doit prouver que le défendeur a plus qu’une simple présence corporative aux États-Unis. Malgré cette restriction, les demandeurs qui tentaient de réfuter la présomption contre l’extraterritorialité continuent de présenter des réclamations en vertu de l’ATS. Depuis le jugement rendu dans l’affaire Kiobel, les tribunaux inférieurs ont rejeté des poursuites lorsque le lien avec les États-Unis se limitait à l’existence de filiales américaines ou encore à la possession de bureaux ou à la détention de comptes bancaires aux États-Unis.[2]

Développements canadiens

Plus récemment, des demandeurs étrangers se sont tournés vers des tribunaux canadiens pour tenter d’obtenir des réparations auprès de sociétés canadiennes relativement à des actes commis à l’extérieur du Canada par des membres étrangers du même groupe qu’elles.

Dans le cadre de trois poursuites intentées contre des sociétés mères canadiennes du secteur des ressources depuis 2013, les demandeurs étrangers tentent de faire tenir les sociétés mères directement responsables d’actes prétendument commis par des filiales et des entrepreneurs de filiales de ces sociétés mères à l’étranger[3]. Dans ces affaires, les allégations sont des allégations d’actes de violence, de torture, de travail forcé et de négligence. Souhaitant percer le voile corporatif, les demandeurs soutiennent que les filiales ont agi à titre de mandataires des sociétés mères et qu’elles sont entièrement contrôlées par ces sociétés mères, ou que la société mère est responsable des actes prétendument commis à l’étranger.

Dans ces affaires, les demandeurs tentent également d’imputer aux sociétés mères une responsabilité directe pour négligence, soutenant que les sociétés mères avaient une obligation de diligence distincte envers les demandeurs. Les demandeurs allèguent que les sociétés mères étaient au courant des risques juridiques liés à des activités dans des territoires étrangers, qu’elles y avaient réfléchi et qu’elles avaient fait défaut d’établir ou de respecter des normes de responsabilité sociale des entreprises (RSE) qu’elles étaient censées avoir adoptées ou qu’elles avaient publiquement endossées. L’un des intervenants dans l’une de ces affaires, Amnistie Internationale, a également soutenu que l’obligation de diligence de la société mère est établie par les normes internationales de responsabilité sociale des entreprises qui ont été endossées par le gouvernement du Canada, que la société ait adopté ou non de telles normes.

Le 9 novembre 2015, la Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est déclarée incompétente à traiter la première de ces trois affaires, Garcia v Tahoe Resources Inc.[4], prétextant que cette affaire serait mieux traitée au Guatemala, où les prétendus actes de violence se seraient produits. Dans sa décision, la Cour suprême de la Colombie-Britannique ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la responsabilité de la société mère serait acceptée par un tribunal canadien. Pour de plus amples informations sur la décision rendue dans l’affaire Tahoe, veuillez consulter notre bulletin sur cette décision ici. Aucune décision sur le fonds n’a encore été rendue dans les deux autres affaires. Il reste donc à voir si les tribunaux canadiens seront prêts à renverser les principes établis et, dans l’affirmative, sur quels fondements.

Dans la quatrième affaire, il est demandé aux tribunaux canadiens de faire appliquer des jugements rendus à l’étranger contre des sociétés canadiennes du secteur de l’extraction et les membres canadiens du même groupe qu’elles, indépendamment du fait qu’un tel membre du même groupe était partie à l’action initiale ou que sa responsabilité ait été établie. Des ressortissants équatoriens cherchaient à faire exécuter par un tribunal ontarien un jugement de 9,51 milliards de dollars américains contre Chevron et Chevron Canada, même si Chevron Canada n’était pas partie à la réclamation initiale et si Chevron n’avait pas d’actifs canadiens. Un tribunal équatorien avait rendu ce jugement dans un contexte d’allégations de fraude et de corruption judiciaire. Les tribunaux des États-Unis ont refusé de mettre ce jugement à exécution sous prétexte que le jugement équatorien avait été obtenu par la fraude.

Dans Chevron Corp. v. Yaiguaje [5], la Cour suprême du Canada a soutenu que les tribunaux canadiens ont compétence à l’égard de Chevron Corporation et de Chevron Canada, mais elle a insisté sur le fait que sa conclusion en matière de compétence ne veut pas dire que les demandeurs auront gain de cause dans leur démarche pour faire mettre à exécution le jugement équatorien.

Conclusion

Ces développements mondiaux montrent clairement que des demandeurs étrangers cherchent différentes façons de faire en sorte que des sociétés mères soient tenues responsables des actes commis à l’étranger par leurs filiales et par les entrepreneurs de ces dernières relativement à des allégations de violation de droits environnementaux ou de droits de la personne. Jusqu’à ce que des décisions aient été rendues dans ces affaires et que les lois concernant ces questions deviennent plus claires, il restera de l’incertitude quant à la question de savoir dans quelle mesure les sociétés minières pourront se fier au voile corporatif pour protéger les sociétés mères des actes commis par leurs filiales à l’étranger relativement à des réclamations en matière de droits environnementaux et de droits de la personne.


[1]  133 S. Ct. 1659 (2013).

[2]  Voir Tymoshenko v. Firtash, 2013 WL 4564646 (SDNY 28 août 2013); et Balintulo v. Daimler AG, 727 F 3d 174, 182 (2e Cir 2013).

[3]  Voir Choc v. Hudbay Minerals, Inc., Order 2013 ONSC 1414, cv-10-1411159 (Cour supérieure de justice – Ontario, 22 juillet 2013); Garcia v. Tahoe Resources, Inc., Avis de demande S 144746 (Cour suprême de la Colombie-Britannique, 18 juin 2014); Arraya v. Nevsun Resources, Ltd., Avis de demande S 148932 (Cour suprême de la Colombie-Britannique, 20 novembre 2014).

[4]  2015 CSCB 2045.

[5]  2015 CSC 42.

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Auteurs

  • Dani Bryant, Associée | Litiges et résolution de conflits, Énergie et Climat, Vancouver, BC, +1 604 631 4820, dbryant@fasken.com
  • Zach Romano, Associé | Énergie et Climat, Affaires juridiques relatives aux Autochtones, Vancouver, BC, +1 604 631 4861, zromano@fasken.com

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