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Évaluation environnementale du projet de pipeline Northern Gateway : la Colombie Britannique conserve l’obligation de consulter et le pouvoir d’imposer des conditions supplémentaires

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Bulletin Affaires autochtones

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a récemment rendu sa décision dans l'affaire Coastal First Nations v. British Columbia (Environment), 2016 BCSC 34, une contestation judiciaire déposée contre le projet Northern Gateway d'Enbridge concernant l'absence d'une évaluation environnementale provinciale.

Dans ses motifs, la Cour a invalidé une partie d'un accord d'équivalence conclu entre la Colombie-Britannique et le Canada qui donnait au gouvernement fédéral le pouvoir décisionnel exclusif sur le projet. Bien qu'elle ait estimé que la Colombie-Britannique pouvait se fonder entièrement sur l'évaluation environnementale entreprise par l'Office national de l'énergie, la Cour a conclu que la Colombie-Britannique avait irrégulièrement délégué son pouvoir d'émettre un certificat d'évaluation environnementale (aux termes duquel elle peut imposer des conditions supplémentaires à l'égard du projet). Elle a également jugé que la Colombie-Britannique avait manqué à l'honneur de la Couronne en faisant défaut à son obligation de consulter avant de décider de ne pas mettre fin à l'accord d'équivalence. Par conséquent, la Colombie-Britannique doit maintenant décider si elle émettra ou non un certificat d'évaluation environnementale et doit consulter la Première Nation Gitga'at avant de prendre sa décision.

Contexte

Le projet Northern Gateway d'Enbridge (le « Projet ») propose de transporter du bitume et des condensats au moyen d'un pipeline interprovincial et de pétroliers qui sillonneraient les territoires traditionnels revendiqués par les requérantes, soit la Première Nation Gitga'at et l'alliance Coastal First Nations. La Première Nation Gitga'at revendique des droits ancestraux dans son territoire traditionnel, qui comprend des terres et des eaux qui seront touchées par la route de navigation proposée pour les pétroliers ou qui seront adjacentes à cette route. L'alliance Coastal First Nations est une organisation sans but lucratif représentant neuf Premières Nations qui revendiquent des droits ancestraux et un titre ancestral sur des terres, des eaux et des ressources qui pourraient être lésés par la réalisation du Projet.

En 2010, le Bureau d'évaluation environnementale de la Colombie-Britannique et l'Office national de l'énergie (l'« ONE ») ont ratifié un accord d'équivalence (l'« Accord »), aux termes duquel les projets devant faire l'objet d'une approbation en vertu de la Environmental Assessment Act[1] de la Colombie-Britannique et de la Loi sur l'Office national de l'énergie[2] n'exigeraient qu'une seule évaluation environnementale. L'Accord prévoyait également que les projets sujets à une évaluation environnementale pouvaient être entrepris sans l'obtention d'un certificat provincial d'évaluation environnementale (un « CEE »). La Colombie-Britannique s'est réservé le droit de mettre fin à l'Accord au moyen d'un préavis de 30 jours (lequel droit ne peut avoir d'incidence sur un projet que si l'ONE n'a pas encore pris sa décision concernant ce projet).

L'évaluation environnementale du Projet a été soumise à une commission d'examen conjoint en 2010 aux termes de l'Accord. Au cours des audiences de cette commission, la Colombie-Britannique a fait part de ses préoccupations quant aux mesures de prévention des déversements de pétrole, aux mesures d'intervention en cas d'urgence et aux mesures correctives advenant un déversement de pétrole, et quant aux incidences potentielles du Projet sur les droits ancestraux et issus de traités. Quant aux requérantes, elles ont abondé dans le sens de la Colombie‑Britannique. La province a aussi présenté cinq conditions qui, selon elle, constituaient les exigences minimales devant être remplies avant qu'elle ne considère apporter son soutien à des projets d'oléoduc. En 2013, lorsque la commission d'examen conjoint a rendu public son rapport final dans lequel elle recommandait l'approbation du Projet, elle n'a pas expliqué en quoi le Projet remplissait les conditions établies par la Colombie-Britannique. Les requérantes ont fait deux demandes de consultation auprès de la Colombie-Britannique peu de temps après la publication du rapport. Toutefois, ce n'est qu'en 2014, après que l'ONE eut approuvé le Projet, que la Colombie-Britannique a donné suite aux demandes des requérantes.

En 2015, les requérantes ont intenté une procédure afin que l'Accord soit déclaré invalide, puisqu'il dispensait le Projet de l'obligation d'obtenir un CEE, et pour qu'il soit déclaré que la Colombie-Britannique aurait dû consulter les requérantes quant à la question de savoir si elle devait émettre un CEE.

Décision

La Cour a conclu que la Colombie-Britannique avait irrégulièrement délégué son pouvoir d'émettre un CEE et avait envers les requérantes une obligation de consulter avant de décider de ne pas mettre fin à l'Accord. Avant que le Projet ne passe à une étape ultérieure, la Colombie-Britannique doit d'abord décider si elle émet un CEE et elle doit consulter les requérantes avant de prendre sa décision. Nous présentons ci‑dessous les motifs clés du jugement de la Cour.

La Colombie-Britannique ne peut renoncer à son pouvoir d'émettre un CEE pour les projets sujets à révision

Tous les projets sujets à une évaluation environnementale en Colombie-Britannique doivent obtenir un CEE avant le début de tous travaux en lien avec le projet. La Colombie-Britannique peut, sans toutefois y être tenue, se fonder sur une évaluation environnementale effectuée par la Couronne fédérale pour décider si elle émet ou non un CEE. Toutefois, la Cour a conclu que la Colombie‑Britannique ne pouvait déléguer son pouvoir de décider d'émettre ou non un CEE. C'est pourtant expressément ce que visait la Clause 3 de l'Accord. Le fait que les requérantes n'aient pas contesté la validité de la Clause 3 au cours du processus d'évaluation devant la commission d'examen conjoint ni au cours des procédures intentées par la suite devant les tribunaux fédéraux ne constitue pas un retard injustifié ou un abus de procédure, ce qui a amené la Cour à invalider la Clause 3 de l'Accord. Par conséquent, la Colombie-Britannique doit maintenant décider si elle émettra ou non un CEE avant que le projet n'aille de l'avant.

La Colombie-Britannique conserve le pouvoir d'imposer des conditions relativement à des projets réglementés par le gouvernement fédéral

Le promoteur a fait valoir que puisque le Projet consiste en un pipeline interprovincial, il ne relève pas de la compétence de la province. La Cour, en désaccord avec cet argument, a rappelé que la Colombie‑Britannique a compétence (de concert avec le Canada) en matière d'environnement en vertu des principes constitutionnels que et a conclu que les aspects environnementaux du Projet entraîneraient des répercussions sur les intérêts des Britanno-colombiens de façon disproportionnée. La Cour a ajouté que, dans ce contexte, la Colombie‑Britannique conserve le pouvoir d'imposer des conditions environnementales à l'égard d'un projet qui soient plus contraignantes que celles imposées par le gouvernement fédéral. Toutefois, faisant montre de prudence, la Cour a ajouté que toutes les conditions provinciales à l'égard d'un projet réglementé par le gouvernement fédéral ne sauraient être autorisées. La Cour a ainsi précisé que la province ne peut aller jusqu'à refuser d'émettre un CEE et ainsi tenter d'empêcher la réalisation du Projet. Bien que la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral partagent le pouvoir de réglementer en matière d'environnement, un des principes du « fédéralisme coopératif » veut que les lois fédérales aient préséance sur celles de la Colombie‑Britannique s'il est impossible pour un promoteur de respecter à la fois les conditions imposées par le droit fédéral et celles imposées par le droit provincial. La Cour a estimé que les conditions imposées devraient être analysées afin de déterminer si elles étaient contraignantes au point de bloquer le projet, mais elle a reporté cette analyse à un autre moment, lorsque les conditions auront été soumises à la Cour (et non seulement alléguées).

La décision de la Colombie-Britannique de conclure l'Accord n'exigeait pas de consultation

La Colombie-Britannique n'avait aucune obligation de consulter avant de signer l'Accord. La Cour a jugé que l'application étendue de l'Accord pour inclure les évaluations environnementales visant l'ensemble de la province n'entraînait pas d'incidences négatives spécifiques sur les droits ancestraux. En l'absence de lien causal entre les incidences négatives potentielles sur les droits ancestraux des requérantes et l'Accord, aucune consultation n'était nécessaire.

La décision de la Colombie-Britannique de ne pas mettre fin à l'Accord nécessitait une consultation

La Colombie-Britannique a manqué à l'honneur de la Couronne en omettant de consulter les requérantes sur la question de savoir si elle devait ou non mettre fin à l'Accord. La Cour a rejeté l'argument de la Colombie-Britannique selon lequel elle n'avait aucune obligation de consulter après avoir appris que les préoccupations des requérantes concernant le Projet (préoccupations qui reflétaient les mêmes que celles que la province avait exprimées avant et après le processus de la commission d'examen conjoint) n'avaient pas été traitées de façon approfondie par la commission d'examen conjoint. La Cour a fait remarquer que la Colombie-Britannique avait le droit de mettre fin à l'Accord et de tenir compte des préoccupations des requérantes en imposant des conditions supplémentaires à l'égard du projet. Au lieu de cela, la Colombie-Britannique a décidé de ne pas mettre fin à l'Accord. Cette décision a déclenché l'obligation de consulter. La Colombie-Britannique a manqué à son obligation, car elle a renoncé à sa capacité de consulter et de répondre aux préoccupations des requérantes sans même les avoir consultées. La Cour a ordonné à la Colombie‑Britannique de remédier à ce manquement en consultant la Première Nation Gitga'at avant de décider d'émettre ou non un CEE.

Conclusion

Cette affaire expose le risque réel que comporte le fait de se fonder sur des accords d'équivalence tels que l'Accord, aux termes desquels la province renonce à son pouvoir de décision relativement aux évaluations environnementales. Cette décision sera sûrement portée en appel, mais avant qu'elle n'atteigne les plus hautes instances du système judiciaire canadien, il reste à voir quels seront les enjeux de cette décision sur les projets en attente d'une approbation environnementale en vertu de l'Accord. À court terme, compte tenu de cette décision, les projets interprovinciaux assujettis à cet accord d'équivalence devraient envisager de demander et obtenir des certificats d'évaluation environnementale auprès de la Colombie-Britannique.


[1] SBC 2002, c 43.

[2] Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. 1985, ch. N-7.

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  • Zach Romano, Associé | Énergie et Climat, Affaires juridiques relatives aux Autochtones, Vancouver, BC, +1 604 631 4861, zromano@fasken.com
  • Kevin O'Callaghan, Associé | Affaires juridiques relatives aux Autochtones, Facteurs ESG et développement durable, Vancouver, BC, +1 604 631 4839, kocallaghan@fasken.com

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