Le 16 décembre 2014, le projet de loi C‑43 recevait la sanction royale. Les nouvelles règles énoncées dans le projet de loi ont des répercussions sur la façon dont les fiducies testamentaires sont imposées et modifient sensiblement la façon dont les dons de charité par voie testamentaire seront traités aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (ci‑après la LIR).
Contexte
Pour mieux mesurer l'importance des changements en question, il convient d'examiner brièvement la loi dans sa forme antérieure à 2016.
Auparavant, le revenu et les gains en capital conservés dans des fiducies entre vifs étaient imposés à des taux différents de ceux applicables aux fiducies testamentaires. Les fiducies entre vifs ont toujours été imposées aux taux marginaux d'imposition les plus élevés. Par contre, les fiducies testamentaires et certaines fiducies entre vifs antérieures à 1971 étaient imposées à des taux d'imposition progressifs et jouissaient d'autres avantages échappant aux fiducies entre vifs. Le projet de loi C‑43 a éliminé les différences entre les fiducies entre vifs et les fiducies testamentaires, et ces dispositions entrent en vigueur en 2016. Il y a deux exceptions à ces nouvelles règles. Premièrement, les taux d'imposition progressifs resteront applicables aux trente‑six (36) premiers mois d'une succession découlant du décès d'un particulier qui prend la forme d'une fiducie testamentaire. Ce type de fiducie s'est vu attribuer un nouveau nom : on parle de succession assujettie à l'imposition à taux progressifs – ou plus familièrement une SITP. La deuxième exception vise les fiducies considérées comme fiducie admissible pour personne handicapée ou FAPH. Il ne sera pas question ici de ce deuxième cas particulier.
Qu'est-ce qu'une SITP?
Une SITP est une succession découlant du décès d'un particulier pourvu que la succession soit à ce moment‑là une fiducie testamentaire selon la définition qu'en donne la LIR, que la succession se désigne elle‑même comme SITP dans sa déclaration de revenus pour la première année d'imposition se terminant après 2015, qu'aucune autre succession ne se désigne elle‑même comme SITP du défunt et que le numéro d'assurance sociale du défunt soit fourni. La réglementation prévoit par ailleurs qu'une SITP ne peut durer sous cette forme que pendant trente‑six (36) mois après la date du décès du particulier. Il est donc important de rappeler que toute planification reposant sur le statut accordé à une SITP doit être réalisée au cours de cette période.
Quels sont les avantages du statut de SITP?
Les avantages du statut de SITP qui échappent aux autres fiducies testamentaires sont les suivants. Comme on l'a vu, l'imposition à taux progressifs s'applique au revenu conservé dans la SITP pendant la durée de l'admissibilité de la succession au statut de SITP. La SITP peut continuer à avoir une fin d'année différente de l'année civile (ou financière), contrairement aux autres fiducies, dont la fin d'année doit correspondre à l'année civile, ce qui permet certains reports d'impôt. Une SITP est dispensée de l'obligation de payer des acomptes provisionnels et exonérée de l'impôt minimum de remplacement. Elle pourra par ailleurs attribuer des crédits d'impôt à l'investissement à des bénéficiaires. Enfin, comme on le verra plus en détail ci‑après, les dons de charité par voie testamentaire versés par une SITP donnent lieu à des avantages considérables que n'ont pas les successions n'ayant pas le statut de SITP, par exemple l'accès à de nouvelles règles plus souples pour les dons testamentaires et l'exonération de l'impôt sur les gains en capital des dons de titres cotés en bourse.
Il n'y a pas de droits acquis concernant les fiducies existantes qui seront réputées avoir une fin d'année le 31 décembre 2015. Par conséquent, les fiducies testamentaires dont la fin de l'exercice ne correspondait pas à la fin de l'année civile auront deux fins d'année en 2015. Une exception est prévue au paragraphe 249(4.1) pour le cas où la fiducie donnée serait une succession existant à la fin de 2015 et aurait le statut de SITP pour la première année d'imposition 2016. Dans ce cas et dans l'éventualité où la fiducie donnée est une succession découlant d'un décès postérieur à 2015 et s'il s'agit d'une SITP pour la première année d'imposition, la fin d'année d'imposition réputée est reportée jusqu'à la date à laquelle la succession cesse d'avoir le statut de SITP.
Un certain nombre de questions préliminaires ont été soulevées concernant la SITP. L'un des conditions préalables à ce statut est, comme on l'a vu, qu'une seule succession peut s'en prévaloir. Lorsque plusieurs testaments servent à éviter les frais d'homologation, on s'est demandé si cela créait deux successions ou une seule. Il semblerait que la profession ait abordé la question de deux manières. Il y a ceux qui estiment que des testaments multiples donnent lieu à deux successions, tandis que d'autres ne voient qu'une seule succession même lorsqu'il peut y avoir des exécuteurs testamentaires ou liquidateurs différents pour les deux successions. L'ARC a fait savoir que, selon elle, il n'y a qu'une seule succession[1] et, par conséquent, qu'une déclaration de revenus combinée doit être déposée et qu'un choix conjoint doit être effectué pour désigner les successions comme SITP.
Il est important de rappeler que seule une succession peut avoir le statut de SITP. Qu'est‑ce donc qu'une succession? Il y a succession au décès d'un particulier qui se poursuit jusqu'à ce que les exécuteurs testamentaires ou liquidateurs soient en mesure de distribuer les biens aux bénéficiaires directement ou par le biais de fiducies se prolongeant un certain temps. Les fiducies testamentaires créées en vertu du testament d'un défunt ne pas admissibles au statut de SITP, pas plus que les fiducies testamentaires d'assurance‑vie, même si elles sont créées en vertu du testament du défunt.
Voici ce qu'énoncent les notes explicatives des 23 et 30 octobre 2014 rattachées au projet de loi C‑43 :
Lorsque le testament d'un particulier prévoit la création d'une fiducie pour l'ensemble ou une partie des biens qu'il lègue, les biens peuvent être considérés comme appartenant à la succession lorsqu'à leur transfert ou leur distribution à la fiducie ou jusqu'à ce que le représentant personnel ait rempli toutes ses fonctions administratives à l'égard de la succession. Mais, dans certains cas, les biens transférés dans des fiducies distinctes créées en vertu d'un instrument comme un testament ne feront pas partie de la succession d'un particulier aux fins de l'impôt sur le revenu. Par exemple, la succession d'un particulier ne comprend pas une fiducie créée en vertu du testament d'un autre particulier, comme une fiducie d'époux ou de conjoint fait telle que la décrit l'alinéa 70(6)b) de la Loi, créée au bénéfice du particulier.
Comme on l'a vu, pour rester admissible au statut de SITP, la succession doit respecter les exigences d'une fiducie testamentaire[2]. Elle ne peut donc pas recevoir de contributions de la part de toute autre personne que le défunt ni emprunter à un bénéficiaire ou s'endetter auprès de lui, pas plus qu'auprès d'une personne ayant un lien de dépendance avec le bénéficiaire.
Très bien, nous savons maintenant ce qu'est une SITP. Voyons maintenant ce que cela veut dire pour les dons de charité par voie testamentaire.
Pour comprendre l'importance des modifications apportées par le projet de loi C‑43 aux règles applicables aux dons testamentaires au décès, il faut d'abord connaître les règles antérieures à 2016.
Pour les décès antérieurs à 2016, la LIR prévoyait qu'un don de charité par voie testamentaire (souvent dit « donation par testament ») était réputé avoir été fait par le donateur immédiatement avant son décès. C'était avantageux parce que cela permettait d'utiliser les crédits d'impôt pour don dans la dernière déclaration de revenus du défunt pour compenser l'obligation fiscale découlant de la disposition réputée de ses immobilisations immédiatement avant le décès. Si ces crédits d'impôt n'étaient pas épuisés dans la dernière déclaration du donateur, leur report rétrospectif d'un an à l'année précédant l'année du décès était possible. Ils pouvaient par ailleurs être imputés à 100 % du revenu gagné lors de ces années (et non pas à 75 % comme c'est la règle habituelle).
L'Agence du revenu du Canada a publié de nombreux documents indiquant sa position sur ce qui constitue un « don par testament » et elle exige en général i) que les modalités du testament prévoient le don d'un bien spécifique, d'un montant spécifique ou d'un pourcentage spécifique du reliquat de la succession, ii) qu'il soit clair dans les modalités du testament que les exécuteurs ou liquidateurs sont tenus de faire le don, iii) que la succession est en mesure de faire le don une fois les dettes réglées et iv) que le don soit effectivement fait.
Selon ces règles, la valeur d'un don par testament aux fins de l'établissement de reçus de bienfaisance devait être calculée à la date du décès du défunt quel que soit le moment où le don a été réellement été reçu par l'organisme de bienfaisance de la part de la succession.
Si un don n'était pas admissible à titre de « don par testament », il pouvait être considéré comme un don de charité effectué par une succession ou une fiducie testamentaire. Dans les autres cas, tout don de charité provenant d'une fiducie testamentaire n'était pas considéré comme un don de charité admissible à un crédit d'impôt pour don, mais plutôt comme une distribution au titre de la participation au capital de l'organisme de bienfaisance dans la fiducie testamentaire, et aucun crédit d'impôt pour don ne pouvait être réclamé.
Des crédits d'impôt pour don étaient également accordés lorsqu'un organisme de bienfaisance était désigné comme bénéficiaire d'une police d'assurance‑vie, d'un régime enregistré d'épargne‑retraite (REÉR), d'un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) ou d'un compte d'épargne libre d'impôt (CELI).
Le nouveau régime législatif
La nouvelle réglementation apporte des modifications importantes pour 2016 et les années d'imposition suivantes à la fois à l'égard du moment d'effectuer et de la constatation des dons de charité aux fins de l'impôt.
Les dons par testament et les dons dirigés (REÉR, FERR, CELI et assurance-vie) seront réputés avoir été faits par la succession au moment où le bien est transféré à l'organisme de bienfaisance et non plus immédiatement avant le décès du donateur.
Par ailleurs, la juste valeur marchande (JVM) du don aux fins de l'établissement d'un reçu de bienfaisance est déterminée au moment du transfert du bien et non plus au moment du décès du donateur.
La réglementation assouplit la possibilité d'utiliser les crédits d'impôt pour don à l'égard des dons par testament et des dons dirigés en permettant aux exécuteurs, aux liquidateurs ou aux fiduciaires d'une SITP de répartir ces crédits entre les éléments suivants :
- la dernière année d'imposition du donateur,
- l'année d'imposition précédant l'année d'imposition du décès,
- l'année d'imposition de la succession où le don est fait et jusqu'à deux (2) ans auparavant.
Seules les SITP, cependant, bénéficient des avantages des dispositions permettant de répartir des crédits d'impôt pour don entre les différentes années d'imposition et, surtout, de les reporter rétrospectivement à l'année du décès et à l'année précédant le décès, ce qui, dans bien des cas, est celle de l'obligation fiscale la plus lourde (en raison des règles relatives à la disposition réputée des biens au décès). Autrement dit, si une succession peut profiter de cette souplesse, il est important qu'elle obtienne et conserve le statut de SITP et que les biens soient transférés à l'organisme de bienfaisance dans les trente‑six (36) mois suivant le décès.
Il faut aussi que les biens transférés à l'organisme de bienfaisance par la SITP appartiennent effectivement au défunt à la date du décès ou qu'ils s'agisse de biens de remplacement pour ceux-ci. Il est important de se rappeler cette règle lorsqu'on envisage des restructurations après le décès dans les circonstances où l'on prévoit aussi faire un don de charité, parce que le bien à transférer après restructuration pourrait ne pas appartenir effectivement au défunt à la date du décès ou ne pas être un bien de remplacement. Il est également important de noter que l'emprunt de fonds par une succession pour faire un don de charité dans un délai de trente‑six (36) échappe à l'application des règles permettant l'utilisation du crédit d'impôt pour don dans l'année du décès ou l'année précédente.
La limite annuelle actuelle de 100 % du revenu net pour les dons de charité durant la dernière année d'imposition du donateur ou l'année précédente continuera de s'appliquer.
Toute succession autre qu'une SITP continuera de pouvoir réclamer le crédit d'impôt pour don de charité à l'égard des autres dons de l'année au cours de laquelle le don est effectué ou l'une des cinq années suivantes.
Rappelons par ailleurs que les règles applicables au transfert non imposable de titres cotés en bourse à un organisme de bienfaisance se limiteront désormais aux dons de titres cotés en bourse provenant d'une SITP.
D'autres modifications?
Les nouvelles règles semblent assouplir la planification des dons de charité par voie testamentaire, mais cette souplesse a un prix.
Les exécuteurs testamentaires et liquidateurs pourront réclamer des crédits d'impôt pour les dons de charité par voie testamentaire à l'égard de cinq périodes fiscales différentes (l'année antérieure au décès, l'année du décès et trois (3) années de la succession) au lieu de seulement deux (l'année antérieure au décès et l'année du décès). Les nouvelles dispositions créent davantage de souplesse en éliminant apparemment la nécessité que les dons testamentaires soient considérés comme des « dons par testament » pourvu que le transfert de bien à l'organisme de bienfaisance soit effectué dans les trente‑six (36) mois suivant le décès.
Les nouvelles règles instaurent également un élément de certitude quant au moment du calcul de la valeur des dons de charité par voie testamentaire aux fins de l'établissement des reçus de bienfaisance – à savoir la date de réception du don par l'organisme de bienfaisance. Cela devrait éliminer les divergences de position actuelles entre les organismes de bienfaisance sur la question de savoir si la valeur du reçu d'impôt est celle du don à la date du décès du donateur ou à la date où l'organisme reçoit le don.
Ces éléments de souplesse et de certitude sont en grande partie les bienvenus, mais ils imposent une pression supplémentaire aux exécuteurs testamentaires ou liquidateurs. Ces derniers devront veiller à ce que les biens de la succession soient transférés aux organismes de bienfaisance dans les trente‑six (36) mois suivant le décès pour pouvoir répartir les crédits d'impôt pour don dans l'année du décès ou l'année précédente. Ce délai de trente‑six (36) mois peut être difficile à respecter si i) la succession est engagée dans un litige (réclamations en vertu de la Loi sur le droit de la famille, réclamations au titre du soutien de personnes à charge, contestations de testament), ii) les biens de la succession sont non liquides (immobilier, actions d'entreprise privée), iii) le don est fait après le décès d'un viager (selon la réglementation actuelle, ces dons seraient réclamés durant l'année du décès si le domaine viager a statut de fiducie résiduaire de bienfaisance (aucun droit d'empiéter sur le capital au cours de la vie du viager). De plus, même en temps ordinaire, si la valeur du patrimoine augmente ou diminue après le décès du donateur, les exécuteurs ou liquidateurs pourraient se faire reprocher, selon les conséquences fiscales en découlant, d'avoir agi trop vite ou d'avoir trop tardé à transférer le don à l'organisme de bienfaisance dans le délai de trente‑six (36) mois. Rappelons qu'il n'existe pas de disposition permettant au ministre de prolonger ce délai à son appréciation.
Il semble, cependant, que l'on soit conscient du fait que le délai de trente‑six (36) mois est un délai serré. Compte tenu des observations adressées par divers groupes d'intérêt à ce sujet, le projet de loi déposé le 15 janvier 2016 propose de faire passer le délai de trente‑six (36) à soixante (60) mois après le décès d'un particulier. Les dispositions proposées prévoient qu'un don testamentaire effectué par une ex‑SITP après cessation de ce statut en raison de l'expiration du délai de trente‑six (36) mois et avant l'échéance des soixante (60) mois après la date du décès peut être réclamé au titre de l'année au cours de laquelle le transfert est effectué à l'organisme de bienfaisance, de l'année du décès et de l'année précédente.
Comme on le verra, il est possible d'attribuer le crédit d'impôt pour don à l'année du décès ou à l'année précédente, mais, pour les dons effectués au cours du délai de trente‑six (36) mois d'une SITP, il est en outre possible d'attribuer les crédits d'impôt pour don aux années antérieures de la succession.
Certains groupes d'intérêt ont déjà fait savoir qu'ils aimeraient que la souplesse accordée aux dons des SITP soit également accordée aux transferts effectués à des organismes de bienfaisance au cours du délai de trente‑six (36) à soixante (60) mois afin que, même si le transfert est effectué entre le 36e et le 60e mois, la succession soit autorisée à répartir le crédit d'impôt pour don entre l'année du transfert, toutes les années antérieures de la succession, l'année du décès et l'année antérieure au décès. Cela permettrait d'appliquer le crédit d'impôt aux années antérieures de la succession lorsqu'un revenu imposable découle, par exemple, de la planification après le décès (ce qui se produit souvent pour éviter des situations de double imposition, notamment lorsque les actifs sont détenus par des entreprises privées).
Quelques questions non réglées
Les fiducies résiduaires de bienfaisance
La nouvelle réglementation ne semble pas s'intéresser particulièrement au traitement des dons effectués à un organisme de bienfaisance à l'échéance d'un intérêt viager. Selon les anciennes règles applicables aux dons par testament, si un particulier laisse un intérêt viager, disons, à son conjoint et prévoit qu'au décès du conjoint, un organisme de bienfaisance reçoive la valeur résiduelle, le don effectué à l'organisme serait admissible à titre de don par testament pourvu que les fiduciaires n'aient pas eu le droit d'empiéter sur le capital en faveur du viager au cours de la vie de ce dernier (fiducie résiduaire de bienfaisance).
Selon les nouvelles règles, le bien faisant l'objet d'un don de bienfaisance par voie testamentaire doit être transféré à un donataire admissible dans les trente‑six (36) mois suivant le décès du donateur. Un intérêt résiduel dans une fiducie résiduaire de bienfaisance peut être transféré à un donataire admissible dans les trente‑six (36) mois suivant le décès du donateur, mais c'est seulement l'intérêt, et non pas le bien effectif sous-jacent de la fiducie résiduaire de bienfaisance, qui peut être ainsi transféré avant le décès du viager. En conséquence, il demeure certaines questions quant au traitement des fiducies résiduaires de bienfaisance dans le cadre de la nouvelle réglementation.
Rappelons que, si une fiducie résiduaire de bienfaisance est créée entre vifs (autrement dit une fiducie créée, par exemple, pour un conjoint au cours de la vie de celui‑ci sans droit d'empiètement sur le capital et disposition prévoyant qu'à son décès, les actifs de la fiducie sont transmis à un organisme de bienfaisance), le don résiduel serait admissible à un crédit d'impôt pour don immédiat pour la personne qui a fait l'apport du bien à la fiducie au moment de la création de celle‑ci. On peut créer différents types de fiducies résiduaires de bienfaisance, mais, en raison de la nouvelle réglementation, toutes ne sont pas admissibles à un allègement fiscal sous forme de crédit d'impôt pour don nonobstant l'intention caritative des constituants/testateurs. Cet aspect justifierait d'autres discussions, et des observations ont déjà été formulées par l'ACPDP.
Les dons d'actions d'entreprise privée/titres non admissibles/dons exclus
Il semblerait par ailleurs que des conséquences imprévues découlent de la nouvelle règle selon laquelle ce n'est pas le défunt, mais sa succession (succession ordinaire ou SITP) qui est désormais considéré comme le donateur. Cela a trait aux dons d'actions d'entreprise privée à des fondations publiques ou des organismes de bienfaisance.
Selon l'ancienne réglementation, les actions d'entreprise privée faisant l'objet d'un don à une fondation publique ou un organisme de bienfaisance (et non pas à une fondation privée dans le but d'échapper au régime de participation excédentaire des fondations privées) et admissibles au statut de don testamentaire donnaient lieu à un crédit d'impôt pour don immédiat susceptible d'être utilisé pour compenser le revenu gagné au cours de l'année du décès ou de l'année précédente.
Selon les nouvelles règles, ce don serait traité comme un titre non admissible. Une brève explication est de mise avant de revenir au problème créé par les nouvelles règles applicables au don d'actions d'entreprise privée.
Selon le paragraphe 118.1(18) de la LIR, un titre non admissible est une action ou une créance d'une entreprise privée avec laquelle le particulier ou sa succession n'a pas de lien de dépendance immédiatement après le moment applicable (en l'occurrence, le moment où le don est effectué). Les dons d'actions par un particulier qui contrôle l'entreprise tombent sous cette définition tout comme les dons de créances lorsque la créance a trait à une entreprise sans lien de dépendance. S'il y a don de titre non admissible, le donateur n'aura pas droit au crédit d'impôt pour don dans l'année au cours de laquelle le don a été fait. Autrement dit, le don n'existe pas aux fins du crédit d'impôt pour don de bienfaisance. Mais, si le lien de dépendance entre le donateur et l'émetteur du titre est rompu dans les soixante (60) mois suivants ou que l'organisme de bienfaisance destinataire dispose du titre dans les soixante (60) mois suivant le don, celui‑ci sera réputé avoir été fait au moment de la disposition du titre non admissible ou de la cessation de son statut non admissible. L'organisme de bienfaisance peut alors délivrer un reçu pour don aux fins de l'impôt.
Certains dons d'actions ne relèvent pas de la définition d'un titre non admissible. C'est ce qu'on appelle des dons dirigés. Un don dirigé n'est pas assujetti aux règles restrictives applicables aux titres non admissibles : l'allègement fiscal sera appliqué de la façon habituelle. Un don dirigé est un don d'actions fait à un organisme de bienfaisance qui n'est pas une fondation privée (c'est‑à‑dire à une fondation publique ou un organisme caritatif) assorti de la condition que le donateur n'ait pas de lien de dépendance avec l'organisme donataire et avec chacun de ses administrateurs, fiduciaires ou dirigeants. Rappelons que cette exception s'applique seulement aux actions qui ne sont pas inscrites à la cote d'une bourse de valeurs visée par règlement et qu'elle ne s'applique pas aux dons de créances.
C'est donc la même règle qui s'applique aux dons entre vifs d'actions d'entreprise privée et c'était aussi la règle applicable aux dons par testament.
Mais, comme on l'a vu, selon la nouvelle réglementation, ce genre de don, même s'il est effectué à une fondation publique ou à un organisme de bienfaisance, n'est plus considéré comme un don dirigé et serait donc un titre non admissible.
La raison en est qu'une fiducie testamentaire est réputée avoir un lien de dépendance avec une personne qui jouit d'un droit bénéficiaire à l'égard de la fiducie[3], dont une fondation publique ou un organisme de bienfaisance, de sorte que, comme on l'a vu, un don par testament fait à ce genre d'organisme n'ait pas statut de don dirigé. Aucun reçu ne peut donc être délivré et aucun crédit d'impôt pour don ne peut être réclamé tant que les actions de l'entreprise privée ne sont pas liquidées, et cela doit se produire dans un délai de soixante (60) mois si la prolongation de la durée de la SITP est sanctionnée dans la loi ou dans un délai de trente‑six (36) mois si l'on souhaite que le crédit d'impôt pour don soit utilisable non seulement pour l'année du décès et l'année précédente, mais aussi pour les trois (3) années de la SITP.
La question qui se pose tout naturellement est la suivante : pourquoi traiter différemment, sur le plan fiscal, les dons entre vifs et les dons par testament d'actions d'entreprise privée? L'Association canadienne des professionnels en dons planifiés a adressé ses observations au ministère des Finances, en expliquant que le moyen le plus simple de régler cette différence de traitement fiscal est de considérer les dons par testament d'actions d'entreprise privée à des fondations publiques et des organismes de bienfaisance comme des dons dirigés.
Bilan du budget fédéral 2015 et répercussions sur les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif
L'honorable Joe Oliver, ministre des Finances du Canada, a présenté le budget fédéral 2015 (Budget 2015) du gouvernement fédéral le 21 avril 2015. Le 31 juillet suivant, un projet de loi a été déposé pour mettre en œuvre ces dispositions pour 2017 et les années suivantes. Nous espérons que ces mesures seront proposées de nouveau dans le Budget 2016.
Les dons d'actions d'entreprise privée ou de biens immobiliers
Ces mesures prévoyaient une exonération d'impôt sur les gains en capital à l'égard de certaines dispositions d'actions d'entreprise privée et de biens immobiliers. Un donateur aurait droit à un crédit d'impôt pour don de charité (ou d'une déduction s'il s'agit d'une entreprise) s'il donne une immobilisation à un donataire admissible (par exemple un organisme de bienfaisance enregistré, une ACESA ou d'autres entités admissibles). Ces dons donnent cependant aussi lieu à des gains en capital entre les mains d'un donateur, lesquels sont imposables. L'impôt sur les gains en capital serait réduit, voire éliminé, par les crédits d'impôt pour don ou les déductions fiscales, mais l'avantage global du don sur le plan fiscal serait réduit.
Il existe actuellement une exonération de l'impôt sur les gains en capital pour les dons de titres cotés en bourse, de terres écologiquement vulnérables et de biens culturels. Les nouvelles mesures proposées étendraient cette exonération aux dons en argent découlant de la vente d'actions d'entreprise privée ou de biens immobiliers. Rappelons que cette nouvelle règle serait différente de la règle applicable aux dons de titres cotés en bourse, de terres écologiquement vulnérables et de biens culturels, puisque, dans ces derniers cas, l'exonération peut être réclamée si c'est le bien proprement dit qui est donné.
Dans le cas des actions d'entreprise privée et des biens immobiliers, l'exonération serait applicable aux conditions suivantes :
- le produit en argent de la vente des actions d'entreprise privée ou des biens immobiliers doit faire l'objet d'un don à un donataire admissible dans les trente (30) jours suivants;
- si les actions d'entreprise privée ou les biens immobiliers doivent être vendus à un acheteur sans lien de dépendance avec le donateur ni avec le donataire admissible du produit de la vente en argent.
Si une partie seulement du produit de la vente est donnée, l'exonération sera calculée en proportion de la partie donnée par rapport au produit total découlant de la disposition des actions ou de l'immeuble.
Si le donateur est décédé, il faut, entre autres, qu'il ait été résident du Canada immédiatement avant son décès, que le bien soit réputé avoir fait l'objet d'une disposition en vertu de l'article 70 de la LIR, que la disposition ait été effectuée par la SITP et que le don soit effectué en argent par la SITP au plus tard trente (30) jours après la disposition.
Le Budget prévoyait également des règles anti‑évitement applicables aux dons découlant de dispositions effectuées après 2016.
Le prolongement de l'exonération applicable aux dons de titres cotés en bourse aux dons d'actions d'entreprise privée et de biens immobiliers est demandé depuis longtemps, et ces propositions sont de bon augure. Cela dit, la condition que les actions soient vendues et que seul le produit de la vente soit donné (plutôt qu'un don direct) pourrait soulever des difficultés dans certains cas. Il est probable que les organismes de bienfaisance chercheront à obtenir le prolongement de l'exonération des gains en capital aux dons directs de biens immobiliers à tout le moins.
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[1] CRA Views 2010-0358461ES (fiducies entre conjoints). Voir les notes explicatives sous la définition de la SITP au paragraphe 258(1) de la LIR.
[2] Paragraphe 108(1) de la LIR.
[3] Se reporter à la question 12 Table ronde STEP 2015