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Livraisons expresses : que faire lorsque des employés se livrent au trafic de drogues en milieu de travail ?

Fasken
Temps de lecture 8 minutes
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Bulletin Travail, emploi et droits de la personne | L'Espace RH

La présence de drogues en milieu de travail est malheureusement une réalité croissante pour plusieurs employeurs, réalité qui mène bien souvent à un conflit entre les obligations des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail et le droit des employés à la protection de leur vie privée. Cela est particulièrement vrai lorsque des employeurs souhaitent effectuer une fouille des effets personnels d'employés.

Il existe un principe bien établi selon lequel les employés ont des attentes moins élevées en matière de vie privée au travail. Ainsi, un employeur peut - à moins d'une restriction dans une convention collective ou dans une autre source de droit contraignante - effectuer une fouille des effets personnels d'un employé lorsqu'il a des motifs raisonnables de le faire. Ce principe a récemment été réitéré et clarifié dans une décision arbitrale rendue au Québec[1].

Les faits

Le plaignant était un conducteur de chariot élévateur dans une usine de traitement des viandes. Aux prises avec une problématique récurrente de consommation et de trafic de drogues sur les lieux de travail, l'employeur a modifié sa politique sur les drogues et l'alcool et a demandé au corps de police provincial, la Sûreté du Québec (« SQ »), d'intervenir afin de tenter d'éliminer le problème. La SQ a dépêché un agent d'infiltration sur le lieu de travail de l'employeur.

Après quelques mois de travail d'infiltration, la SQ soupçonnait que le plaignant était impliqué dans un trafic de drogues au travail. Également, les autres employés appelaient le plaignant le « facteur » parce qu'il livrait des drogues pendant son quart de travail. Après avoir été informé qu'une transaction de drogues avait eu lieu au travail, l'employeur a mené une fouille des casiers de plusieurs employés. Au cours de la fouille du casier du plaignant, l'employeur a trouvé une balance et du cannabis. L'employeur a suspendu le plaignant pour une période d'un (1) mois. En plus de la suspension, l'employeur a demandé au plaignant de signer une entente de dernière chance. Lorsque le plaignant a refusé de signer l'entente, l'employeur l'a congédié.

Le syndicat a déposé un grief dans lequel il contestait les mesures disciplinaires, alléguant que la fouille menée par l'employeur violait le droit à la vie privée du plaignant ainsi que d'autres articles de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

La décision

Dans sa décision, l'arbitre a appliqué le principe énoncé par la Cour suprême du Canada[2]selon lequel la violation d'un droit à la protection de la vie privée ne sera établie que dans le cas où la personne a une expectative raisonnable en matière de vie privée dans un espace particulier (p. ex. un casier). Cette expectative peut varier en fonction des circonstances.

Il est bien reconnu que l'expectative d'une personne en matière de vie privée est moins élevée sur un lieu de travail. Dans les dossiers de présence de drogues et d'alcool en milieu de travail, les employeurs ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et la sécurité de leurs employés au travail. Ces mesures comprennent souvent l'adoption de politiques qui interdisent la consommation, la possession et la vente de drogues et d'alcool, semblables à celle que l'employeur a adoptée dans la présente affaire. L'arbitre a conclu qu'un employeur peut « légitimement effectuer une fouille s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une règle de l'entreprise a été violée ou est en train de l'être, et que la preuve de cette violation se trouve dans les lieux ou sur la personne du salarié ». De tels motifs raisonnables peuvent provenir de renseignements fournis par des employés ou d'observations personnelles de l'employeur ou d'une combinaison des deux.

Dans ce cas, la preuve a révélé que l'employeur faisait face à un grave problème de trafic de drogues qui a nécessité l'intervention de la police provinciale. L'employeur a également dû agir rapidement en raison de la question délicate de la sécurité au travail. De plus, la décision de l'employeur de mener une fouille du casier de l'employé se fondait sur de multiples sources de renseignements fiables. Pour cette raison, l'arbitre a conclu que l'employeur avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant avait violé sa politique sur les drogues et l'alcool et, par conséquent, de mener une fouille de son casier. L'employé connaissait la politique et, selon ce qu'a révélé la fouille, l'a manifestement violée.

L’arbitre a conclu que l’employé ne pouvait pas refuser de signer l’entente de dernière chance à moins qu'elle ne contienne des conditions contraires à l'ordre public, à la loi ou à la convention collective. L'arbitre a conclu que les conditions de retour au travail n'étaient pas déraisonnables et qu'elles avaient été imposées de bonne foi par l'employeur, particulièrement en raison du fait que l’employeur exerçait des activités de nature critique pour la sécurité, qu’il a une obligation de protéger la santé et la sécurité de ses employés, que le plaignant avait été aux prises avec des problèmes de drogues dans le passé et que l’employeur devait s’assurer que l’employé ne commettrait pas de tels actes à l’avenir. Par conséquent, la décision de l'employeur de congédier le plaignant était justifiée.

Ce que les employeurs doivent retenir

Cette décision précède la légalisation du cannabis au Canada. Malgré le fait que le cannabis soit maintenant légal, les employeurs peuvent toujours définir des règles régissant la possession, la consommation et l’affaiblissement des facultés au travail en raison du cannabis. Cette décision sert de rappel aux employeurs quant à l'importance de mettre en place des politiques claires et à jour à cet égard, quant aux limites des attentes des employés en matière de vie privée sur le lieu de travail et quant à l'importance que l'on doit accorder aux obligations de l'employeur en matière de santé et de sécurité au travail. Ainsi, les employeurs qui ont des motifs suffisants de croire qu'un employé a violé une politique sur les drogues et l'alcool peuvent effectuer une fouille des effets personnels de leurs employés. 


 

[1] Viandes du Breton inc. et Syndicat des travailleuses et travailleurs de Viandes du Breton (CSN), 2018 QCTA 386

[2] R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393.   

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Auteur

  • Louis Thomas Bélanger, Avocat | Travail, emploi et droits de la personne, Montréal, QC, +1 514 397 5260, lbelanger@fasken.com