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Comprendre les clauses d’obligation générale en matière de SST

Fasken
Temps de lecture 10 minutes
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Bulletin SST et CSPAAT

La « disposition d'obligation générale » que l'on retrouve dans toutes les lois canadiennes en matière de santé et de sécurité au travail est l'une des dispositions les plus difficiles à observer. Il s'agit de dispositions qui obligent les employeurs et parfois les superviseurs, comme en Ontario, à prendre « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur ». Au fil des ans, j'ai reçu de nombreux appels de clients qui voulaient s'assurer de bien comprendre cette disposition afin de la respecter. J'ai également défendu, dans différentes provinces et différents territoires du Canada, de nombreuses accusations d'infractions relatives aux dispositions d'obligation générale en matière de SST.

La disposition d'obligation générale est issue de la législation fédérale américaine en matière de santé et de sécurité au travail, où elle est largement utilisée. À titre d'exemple, aux États-Unis, aucune disposition législative ne traite de la violence au travail, mais la disposition d'obligation générale a été utilisée pour obliger les employeurs à se doter d'un programme de lutte contre la violence au travail. Au Canada, les organismes de réglementation de la SST ont tardé à communiquer aux employeurs et à d'autres intervenants en milieu de travail leurs attentes précises en ce qui concerne les dispositions d'obligation générale et les mesures qu'ils devaient prendre pour assurer la conformité à ces dispositions.

La disposition d'obligation générale est si large et vague que sans une description précise de l'infraction, une accusation serait probablement rejetée pour manque de précision. En effet, l'alinéa 11a) de la Charte canadienne des droits et libertés accorde à tout défendeur, y compris aux personnes morales, le droit d'être informé de l'infraction précise qu'on lui reproche.

Les premières poursuites intentées contre des employeurs pour violations alléguées d'une clause d'obligation générale semblaient créer un renversement du fardeau de la preuve et faire en sorte qu'il incombe à ces derniers de prouver qu'un accident ne résultait pas de leur défaut d'observer la disposition d'obligation générale. En d'autres termes, les procureurs ont fait valoir que la survenance d'un accident constituait une preuve du défaut d'observer la disposition d'obligation générale.

C'est en Alberta que les procureurs ont défendu cette notion le plus vigoureusement. Toutefois, en 2018, la Cour d'appel de l'Alberta a corrigé cette erreur de droit dans l'affaire Precision Diversified Oil Field Service Corp.[1]. Cette erreur de droit a également été corrigée par les cours d'appel en Saskatchewan[2], à Terre-Neuve[3] et en Ontario[4]. Les accusations portées en vertu de la disposition générale d'obligation doivent être fondées sur des éléments précis qui suggèrent un manquement de l'employeur à des attentes raisonnables dans les circonstances et il incombe ensuite à la Couronne de prouver ce manquement hors de tout doute raisonnable.

L'une des protections légales offerte par le système juridique canadien est l'exigence selon laquelle toutes les infractions, tant criminelles que réglementaires, doivent être prouvées hors de tout doute raisonnable. Toutefois, par le passé, les tribunaux ont eu du mal à déterminer ce qui pouvait constituer une preuve valable de l'observation de la disposition d'obligation générale. Étant donné que la formulation de la disposition d'obligation générale est très semblable à celle du deuxième volet de la défense de diligence raisonnable, les tribunaux ont parfois conclu que si une personne morale n'a pas de défense fondée sur la diligence raisonnable, l'infraction doit être prouvée. Il s'agit d'une erreur de droit évidente.

Cela nous mène à la décision que la Cour d'appel de l'Ontario a rendue dans l'affaire Quinton Steel. Dans cette affaire, un travailleur est tombé d'une plateforme de travail provisoire qui se trouvait à une hauteur de six pieds et six pouces au-dessus du sol dans un établissement industriel. Le règlement n'exigeait pas qu'un travailleur soit muni d'un système d'arrêt des chutes ni de garde-corps à une telle hauteur.

En première instance et dans le cadre du premier appel, Quinton Steel a réussi à faire valoir que la clause d'obligation générale de la législation ontarienne en matière de SST ne peut imposer une norme de sécurité supérieure à celle de la réglementation industrielle applicable. Toutefois, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que la disposition d'obligation générale pouvait imposer des mesures de sécurité plus rigoureuses que celles prévues dans la réglementation applicable. La Cour d'appel a soutenu qu'il s'agissait d'une question d'interprétation des « circonstances de l'affaire » et que chaque cas doit être évalué en fonction de ce qui constitue une précaution raisonnable dans un lieu de travail particulier[5].

Le nouveau procès de l'affaire Quinton Steel a donné lieu à un jugement exhaustif, et motivé de 33 pages. L'éminent juge de paix a déclaré ce qui suit :

« [TRADUCTION] La Couronne n'a pas été en mesure d'invoquer une norme objectivement raisonnable pour établir si un garde-corps constituait une précaution raisonnable…

Bien que Quinton Steel soit un établissement industriel, l'entreprise avait adopté le Règlement sur les chantiers de construction, un règlement plus normatif qui traite expressément des structures provisoires. La politique de Quinton Steel exigeait qu'un garde-corps soit installé sur une plateforme provisoire, peu importe les circonstances, à une hauteur de huit pieds ou plus. Cette politique était connue du ministère du Travail avant et après l'incident du 7 juin 2012. Le ministère du Travail s'est également fondé sur cette norme pour fournir des conseils à un autre type d'établissement industriel en ce qui concerne les plateformes provisoires… Il incombait à la Couronne de prouver le caractère raisonnable "dans les circonstances"… Je ne suis pas en mesure de conclure que Quinton Steel n'a pas pris les précautions raisonnables nécessaires dans les circonstances en omettant d'installer un garde-corps[6]. »

Les trois principales conclusions de la présente analyse des clauses d'obligation générale sont les suivantes : 

  • l'interprétation des dispositions d'obligation générale oblige maintenant les employeurs à évaluer l'environnement du lieu de travail lorsqu'ils effectuent une évaluation des risques au travail; 
  • même si la politique en matière de sécurité d'un employeur est conforme à la réglementation applicable, elle peut ne pas être conforme à la loi si l'environnement de travail exige une norme de sécurité plus élevée pour protéger les employés;
  • tous les employeurs devraient effectuer une évaluation des risques du lieu de travail afin de respecter une clause d'obligation générale.

Lorsque les employeurs et leurs conseillers juridiques font face à des accusations déposées au Canada en vertu des dispositions d'obligation générale de SST, ils devraient garder à l'esprit les trois points suivants :

  • les accusations portées en vertu de la disposition d'obligation générale doivent porter sur des éléments précis; sinon, elles pourraient être rejetées pour manque de précision.
  • le fait qu'une accusation déposée en vertu de la disposition d'obligation générale porte sur des éléments précis ne signifie pas nécessairement que les mesures de sécurité sont raisonnables dans les circonstances;
  • la Couronne doit tout de même prouver hors de tout doute raisonnable qu'une infraction a eu lieu avant que l'analyse de la défense de diligence raisonnable ne soit effectuée.

Nous espérons que cet examen des dispositions d'obligation générale sera utile aux professionnels de la SST responsables de la mise en œuvre de systèmes de gestion et de prévention en matière de santé et sécurité au travail. Cet examen vise également à clarifier la législation en vigueur depuis très longtemps. Si vous avez des questions ou des préoccupations au sujet de votre conformité à la disposition d'obligation générale applicable, n'hésitez pas à communiquer avec l'auteur du présent article.


 

[1]       R. v. Precision Diversified Oil Field Service Corp., 2018 ABCA 273.

[2]       R. v. Viterra, 2017.

[3]       R. v. St. John (City), 2017 NLCA71.

[4]       R. v. Brampton Brick Ltd. [2004] OJ No. 3025

[5]       R. v. Quinton Steel, 2017 ONCA 1006 au para 29.

[6]       The Queen v. Quinton Steel, décision non publiée, 8 mai 2019 au para 168-171.