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Annulation d’une directive du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs

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Bulletin Énergie, environnement, changements climatiques et réglementation

Le 12 mars 2012, le juge Martin Dallaire de la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement important en matière de protection de l'environnement, plus particulièrement en ce qui concerne la protection et la compensation des milieux humides au Québec[1]. Les principales conclusions de la Cour sont les suivantes :

  • La directive no 06-01 concernant la compensation de la perte d'un milieu humide comme condition à la délivrance d'un certificat d'autorisation est nulle et de nul effet;
  • La directive no 06-01 vise à imposer une altération ou une limitation au droit fondamental de la propriété prévu à l'article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne – la compensation exigée par la directive est donc illégale;
  • L'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en matière de protection de l'environnement doit tenir compte de la viabilité économique et du développement qu'un projet est susceptible d'amener dans la région visée.

Les faits

En vertu de l'article 22 alinéa 2 de la Loi sur la qualité de l'environnement (« LQE »), l'obtention d'un certificat d'autorisation est nécessaire pour que les Atocas de l'Érable inc. (la « Requérante ») puisse procéder à un projet d'agrandissement qui pourrait avoir des impacts sur des milieux humides.

En novembre 2007, la Requérante dépose une demande auprès du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (« MDDEP ») pour obtenir un certificat d'autorisation. Après le dépôt de cette demande, des démarches sont entreprises. Dans le cadre de ces démarches, les représentants du MDDEP appliquent la directive no 06-01. Cette directive n'est pas publique. Elle demande aux fonctionnaires de voir avec les requérants s'il est possible d'éviter le projet, s'il existe des solutions de rechange ou de minimiser l'impact sur l'environnement et compenser les impacts négatifs du projet en offrant des milieux humides de qualité similaire (éviter, minimiser ou compenser). En mars 2011, face à l'impasse des négociations, la Requérante dépose une requête demandant à ce que les tribunaux délivrent un certificat d'autorisation.

La nature prématurée du recours

Dans un premier temps, le MDDEP fait valoir que le recours est prématuré étant donné que le ministre ne s'est toujours pas prononcé sur la délivrance du certificat – le dossier étant en suspens depuis avril 2011. La Cour n'est cependant pas de cet avis. Le juge Dallaire considère qu'il faut assimiler l'absence de décision en l'espèce à une omission ou un refus qui donne ouverture à un recours en vertu l'article 844 du Code de procédure civile.

L'assujettissement du projet à l'article 22 de la LQE

Dans un second temps, la Requérante allègue qu'elle n'a pas à respecter l'article 22 alinéa 2 de la LQE puisqu'elle pourrait bénéficier de différentes exemptions en qualifiant son projet différemment. Le juge Dallaire n'est pas de cet avis et considère que le projet de la Requérante est assujetti à l'article 22 alinéa 2 de la LQE.

L'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre et la directive no 06-01 

Par la suite, le juge Dallaire fait un survol de la jurisprudence et réitère que la LQE est une loi d'ordre public qui donne au ministre une large discrétion dans l'élaboration des directives qui serviront à guider l'application de la loi. Cela dit, le juge Dallaire rappelle que le pouvoir discrétionnaire du ministre n'est pas absolu. En ce sens, il croit que la directive no 06-01 va trop loin. En suggérant par le biais d'une directive « d'éviter » d'avoir recours au certificat d'autorisation, le juge Dallaire croit que le ministre outrepasse les pouvoirs que lui confère la loi habilitante. Il estime que l'on ne peut appliquer une loi permettant à l'individu de se prévaloir d'un certificat d'autorisation et habiliter le ministre à inciter ce même individu à ne pas se prévaloir du certificat mis à sa disposition par la loi.

Atteinte au droit fondamental de la propriété prévu à l'article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne

De surcroît, le juge Dallaire considère que cette directive vise à imposer une limitation au droit de propriété qui est un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne et par le Code civil du Québec. Cette atteinte s'infère du fait que la directive impose à la Requérante de renoncer à un certain usage de son bien ou de compenser le MDDEP par l'échange volontaire de certains biens contre d'autres si elle veut utiliser son bien comme elle le désire.

Cela dit, bien que le Tribunal reconnaisse que le MDDEP a abusé de sa discrétion et que la directive n'est pas valide, le Tribunal fait preuve de retenue et refuse de délivrer un certificat d'autorisation à la place du ministre. Il ordonne donc au MDDEP d'étudier le dossier comme si la directive no 06-01 n'existait pas et de rendre une décision dans les quatre mois suivant le jugement.

Conclusion

En raison de ce jugement, le MDDEP devra revoir la manière dont il utilise les outils administratifs afin d'appliquer la LQE et les règlements applicables. Le jugement a donc une portée plus large que la protection des milieux humides. Les directives, lignes directrices, politiques, etc. utilisées par le MDDEP devront être intégrées dans la LQE ou les règlements afin d'être applicables.

Le MDDEP a jusqu'au 12 avril pour décider s'il ira en appel.


[1]  Atocas de l'Érable Inc. c. Québec (Procureur général) (Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs), 2012 QCCS 912.

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Auteurs

  • Pierre-Olivier Charlebois, Associé | COCHEF, ÉNERGIE ET CLIMAT, Montréal, QC, +1 514 397 5291, pcharlebois@fasken.com
  • André Durocher, Avocat-conseil | Actions Collectives, Montréal, QC, +1 514 397 7495, adurocher@fasken.com

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