L'Espace RH est rédigé sous la direction de Louise Béchamp, de Karen M. Sargeant et de Brian P. Smeenk.
Au Canada, il est difficile de faire respecter les clauses de non-concurrence figurant dans les contrats d'emploi. Les tribunaux ont tendance à les considérer comme des restrictions déraisonnables au commerce et ne les font pas mettre à exécution si elles sont ambigües. De plus, les tribunaux évitent généralement d'utiliser la technique du « trait de crayon bleu » pour supprimer les termes ambigus de ces clauses. C'est ce qu'a clarifié récemment la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Veolia ES Industrial Services Inc. v. Brulé (PDF - disponible en anglais seulement).
Les faits
M. Brulé, président de Veolia ES Industrial Services Inc. (« Veolia » ou la « société »), avait un contrat d'emploi de trois ans daté du 1er janvier 2004 qui lui permettait de démissionner moyennant un préavis de 180 jours. Son contrat contenait également une clause de non-concurrence qui entrait en vigueur à son départ « [TRADUCTION] sur une période de deux ans à compter du 1er janvier 2007 ». Le 17 juillet 2004, M. Brulé a résilié son contrat avant l'expiration prévue de ce dernier et la société lui a versé son salaire jusqu'au 3 janvier 2005. Plus tard cette même année, M. Brulé et Veolia ont participé à un processus d'appel d'offres lors duquel l'offre de M. Brulé a été retenue. Veolia a intenté une poursuite contre son ancien président, alléguant que M. Brulé avait contrevenu à la clause de non-concurrence de son contrat d'emploi. La société a réclamé des dommages-intérêts équivalant aux profits qu'elle aurait réalisés si son offre avait été retenue.
La décision de première instance
Le juge de première instance a donné raison à Veolia et a conclu que l'intention des parties était de créer une obligation de non-concurrence d'une durée de deux ans qui entrerait en vigueur au moment de la résiliation du contrat d'emploi de M. Brûlé. Selon le juge, les termes « à compter du 1er janvier 2007 » constituaient une erreur de rédaction. Il a donc supprimé du contrat ces termes problématiques, conformément à la technique du « trait de crayon bleu » utilisée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc. (2009) (« l'affaire Shafron »). En supprimant ces termes, la période d'application de la clause de non-concurrence a été étendue afin d'inclure les actes reprochés à M. Brulé.
La législation concernant la technique du trait de crayon bleu
Dans l'affaire Shafron, la Cour suprême du Canada avait établi que des clauses restrictives, telles que les clauses de non-concurrence, sont présumées déraisonnables car elles constituent des restrictions au commerce. Par conséquent, les tribunaux ne devraient les mettre à exécution que si leur caractère raisonnable est démontré. Dans un contexte d'emploi, la force exécutoire de ces clauses est particulièrement limitée en raison du déséquilibre de pouvoir inhérent à ce type de contrat.
Afin d'éliminer une ambiguïté dans une clause de non-concurrence, un tribunal peut supprimer un terme ambigu de ladite clause. La technique du « trait de crayon bleu » constitue l'une des façons de le faire. Cette technique ne peut être utilisée que si le sens de la clause n'est pas modifié par suite de la suppression et seulement si les mots supprimés sont clairement inutiles et ne font pas partie de l'objet principal de la clause restrictive. Les tribunaux canadiens ne doivent utiliser la technique du trait de crayon bleu que s'il peut être établi de façon incontestable que les parties auraient signé le contrat même si les termes supprimés n'y avaient pas figuré.
L'utilisation de cette technique était au cœur de la présente affaire.
L'appel
La Cour d'appel de l'Ontario a infirmé la décision de première instance et jugé que la technique du trait de crayon bleu ne pouvait pas être utilisée pour valider la clause de non-concurrence du contrat d'emploi de M. Brûlé.
Selon la Cour d'appel, sans la suppression des termes « à compter du 1er janvier 2007 », la clause telle qu'elle avait été formulée initialement était déraisonnable et inexécutable. La technique du trait de crayon bleu ne pouvait être utilisée pour supprimer les termes en question, puisqu'il était établi que ni l'une ni l'autre des parties n'aurait signé le contrat si ces termes n'y avaient pas figuré. Ces termes n'étaient donc pas inutiles et leur suppression modifiait le sens de la clause originale. Par conséquent, la clause ne pouvait pas être corrigée comme le juge de première instance avait cru bon le faire. De plus, comme la clause aurait pris effet seulement deux ans après que M. Brulé ait quitté ses fonctions en 2005, elle était de toute évidence déraisonnable et inexécutable.
En résumé, aucune des parties n'aurait incontestablement accepté la clause modifiée sans exiger que d'autres clauses du contrat soient également modifiées et la clause en question, telle qu'elle figurait dans le contrat, n'entrait en vigueur que deux ans après la démission de M. Brulé. Par conséquent, la technique du trait de crayon bleu ne pouvait être utilisée pour minimiser la portée de la clause.
Leçons pour les employeurs
Il est encore difficile de faire mettre à exécution les clauses de non-concurrence figurant dans les contrats d'emploi. En règle générale, les termes problématiques figurant dans ces clauses ne peuvent être supprimés au moyen de la technique du trait de crayon bleu que très rarement. Les termes en question doivent être vraiment ambigus, leur suppression ne doit pas modifier le sens de la clause et il doit être établi de façon incontestable que les parties auraient accepté de signer le contrat si celui-ci avait contenu la clause modifiée.
Un tribunal ne peut utiliser la technique du trait de crayon bleu pour supprimer des aspects d'une clause de non-concurrence déraisonnable afin de la rendre raisonnable.
Que doivent donc conclure les employeurs de cette affaire? Compte tenu de la tendance des tribunaux à limiter l'application des clauses de non-concurrence, il importe de rédiger ces clauses avec le plus grand soin.
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