Le 8 mars 2012, le juge de Montigny a rendu ses motifs dans l’affaire Première Nation Ka’A’Gee Tu c. Canada, 2012 CF 297. La décision faisait suite à deux décisions antérieures de la Cour fédérale, à savoir Chicot c. Canada, 2007 CF 763, et Chicot c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2007 CF 764 (collectivement, « les décisions Chicot »). Dans les décisions Chicot, la Cour a annulé un permis d’utilisation des terres délivré dans les Territoires du Nord‑Ouest par l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie à Paramount Resources Ltd. pour défaut de consultation véritable de la Première Nation Ka’a’Gee Tu (« PNKT »). La Cour a ordonné au Canada et à la PNKT de reprendre une partie du processus de consultation.
Par suite des décisions Chicot, les parties ont entrepris un processus de consultation qui a duré près de deux ans. Malgré l’étendue des consultations, les parties n’ont pas réussi à atteindre un consensus, principalement à l’égard du montant et de la forme de l’indemnisation due à la PNKT en raison de sa revendication territoriale potentielle à l’égard de la zone de mise en valeur proposée. La PNKT a soumis de nouveau l’affaire à la Cour, alléguant que le Canada a fait défaut de se conformer aux décisions Chicot et ne l’a pas consultée de bonne foi en vue de remédier aux répercussions du projet d’expansion.
La Cour a conclu que le Canada s’était en réalité acquitté de son obligation de consultation et avait fait de véritables efforts pour répondre aux préoccupations de la PNKT dans le processus de renégociation.
Cette décision réitère le principe voulant que l’obligation de consultation ne se traduit pas par une obligation d’accommodement ou une obligation de convenir d’une mesure donnée pour atténuer l’effet potentiel d’un projet ou d’une décision. La Cour a conclu que la revendication territoriale potentielle de la PNKT était pertinente pour la détermination de la nature de l’obligation de consultation de la Couronne, mais que cela n’imposait pas nécessairement à la Couronne une obligation d’indemnisation. L’obligation de consultation ne constitue pas une mesure de rechange à un règlement des revendications territoriales globales, mais plutôt un moyen de faire en sorte que les terres et les ressources visées par les négociations n’auront pas été irrémédiablement épuisées ou aliénées à la conclusion d’une entente. Dans cette affaire, la Cour estimait que la Couronne avait répondu adéquatement à ces préoccupations.
Contexte
La PNKT est une collectivité de 60 membres des Premières Nations Deh Cho (« PNDC »). Paramount Resources Ltd. est une société d’énergie située à Calgary qui s’est fait attribuer un permis de découverte dans la région des collines Cameron. En l’an 2000, Paramount avait entrepris la mise en valeur intensive des ressources pétrolières et gazières de la région. Le développement s’est déroulé par étapes, en commençant par le forage de puits afin d’identifier les ressources et en se poursuivant par la construction d’un pipeline et d’un réseau de conduites de collecte, qui a été achevée en 2002. La troisième et dernière étape du projet, appelée le « projet d’expansion », prévoit le forage de 50 nouveaux puits et engendrerait une production pétrolière et gazière à grande échelle. Cette affaire portait sur la question de savoir si le gouvernement avait véritablement consulté la PNKT avant de délivrer les permis autorisant le projet d’expansion.
La PNKT soutient avoir un pouvoir de gouvernance sur la région des collines Cameron, mais d’autres groupes autochtones prétendent également que ces terres font partie de leur territoire ancestral.
Le droit de la PNKT à l’égard des terres fait l’objet d’un litige en cours. Faisant partie des PNDC, la PNKT est visée par le Traité no 11, qui prévoit des dispositions de cession de terres et de droits de même que des garanties envers les signataires autochtones selon lesquelles ceux‑ci pourront poursuivre leurs activités de chasse, de piégeage et de pêche. Toutefois, le Canada n’a pas mis de côté des terres de réserve dans les Territoires du Nord‑Ouest, tel que promis dans le Traité no 11. Par conséquent, même si le Canada considère le Traité no 11 comme un traité d’extinction, les PNDC et la PNKT le considèrent comme un traité de paix et d’amitié qui n’éteint pas le titre ancestral autochtone. Le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest négocient depuis 1998 avec les PNDC pour régler cette question territoriale.
Le développement dans la vallée du Mackenzie, y compris les collines Cameron, fait intervenir un processus d’approbation réglementaire complexe nécessitant la participation de l’Office national de l’énergie (« ONE »), de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie (« Office des terres et des eaux ») ainsi que de l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie (« Office d’examen »). Comme le prévoit la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, L.C. 1998, ch. 25 (« LGRVM »), la consultation des collectivités et des Autochtones s’inscrit dans ce processus. Toutefois, la LGRVM prévoit aussi que ce sont ultimement les ministres responsables qui prennent la décision finale relativement à l’approbation des projets de développement.
En avril 2003, Paramount a sollicité la modification de certains de ses permis d’utilisation des terres et des eaux afin de donner suite au projet d’expansion. L’Office des terres et des eaux a renvoyé la demande de Paramount à l’Office d’examen aux fins d’une évaluation environnementale. Ayant effectué l’évaluation requise, qui comportait d’importantes consultations avec la PNKT, l’Office a publié son rapport le 1er juin 2004. L’Office d’examen a formulé 17 recommandations d’atténuation des répercussions environnementales négatives potentielles du projet d’expansion.
Dans les décisions Chicot, la Cour fédérale a conclu que, jusqu’à cette étape, le processus de consultation avait été adéquat et que les 17 recommandations de l’Office d’examen découlaient d’une consultation significative. Toutefois, le ministre a renvoyé les recommandations de l’Office d’examen en les assortissant de directives de modification – c’est ce qu’on appelle le processus de « consultation pour fins de modifications ». Le processus de consultation pour fins de modifications a entraîné la modification de 12 des 17 recommandations de l’Office d’examen, sans consultation avec la PNKT. La Cour a conclu que la PNKT n’aurait pas dû être écartée du processus postérieur de consultation pour fins de modifications, qui a eu lieu devant l’Office d’examen, l’ONE et les ministres responsables. La Cour a annulé les permis d’utilisation des terres qui avaient été délivrés à Paramount et a ordonné aux parties de renégocier.
Pour tirer cette conclusion, la Cour a déterminé qu’en sus du droit non contesté de chasse, de piégeage et de pêche de la PNKT, la PNKT avait soulevé « une cause raisonnablement défendable » concernant le titre ancestral qu’elle fait valoir sur les collines Cameron. Cette conclusion a été assortie de la prédiction que le projet d’expansion aurait une « incidence importante et durable » sur les terres. En conséquence, la Cour a ordonné aux parties d’entreprendre « un processus de consultation véritable dans le but de prendre en considération les préoccupations de la PNKT et, le cas échéant, d’y répondre ».
L’action la plus récente
En raison des décisions Chicot, les parties ont entrepris un vaste processus de renégociation, qui a duré près de deux ans. Le Canada a fourni à la PNKT des fonds pour permettre à celle‑ci de se préparer et de participer au cadre de consultation, et le Canada a aussi convenu de financer une étude sur les connaissances traditionnelles, que la PNKT estimait constituer une première étape essentielle à la compréhension de ses préoccupations. De plus, le Canada a convenu de financer un programme de surveillance et d’atténuation environnementales, de faciliter un processus d’échange d’information entre la PNKT et Paramount,de soutenir un programme d’utilisation traditionnelle des terres et de fournir à la PNKT des fonds pour que celle‑ci rédige une proposition visant la conception et la mise en œuvre de ce programme.
Les négociations ont achoppé à l’égard du titre ancestral invoqué par la PNKT et de son droit à une compensation financière au moyen d’une compensation directe ou d’occasions d’emploi et de formation pour les résidents locaux.
La PNKT a soutenu que les négociations devaient mettre l’accent sur la décision finale d’approuver ou non le projet d’expansion et n’était pas d’accord avec l’opinion du Canada selon laquelle les décisions Chicot exigeaient simplement de la Couronne qu’elle discute des modifications apportées aux 17 mesures d’atténuation de l’Office d’examen. Plus particulièrement, la PNKT jugeait que son solide dossier en faveur d’un titre ancestral lui donnait droit à un accommodement économique de la part de Paramount ou du Canada.
Le Canada a adopté la position voulant que la nature de la revendication de titre ancestral de la PNKT échappait à la portée des décisions Chicot et devait être réglée au moyen des négociations en cours entre le gouvernement et les PNDC.
La Cour s’est dite d’accord avec l’interprétation par le Canada de la portée des décisions Chicot et a conclu que le Canada avait respecté son obligation de consultation. Les décisions Chicot exigeaient du Canada qu’il remédie aux lacunes de l’étape de la consultation pour fins de modifications, pendant laquelle les recommandations de l’Office d’examen avaient été modifiées sans la participation de la PNKT. Pendant cette deuxième ronde de négociations, la PNKT s’est surtout préoccupée d’obtenir un accommodement pour ses préoccupations relatives à son titre, mais les parties ont convenu de mesures d’accommodement à l’égard de quatre des cinq sources de préoccupations que la PNKT avait initialement soulevées pendant le processus de consultation pour fins de modifications en 2008. La seule demande qu’avait soulevée la PNKT en 2008 et qui n’a pas été accommodée était sa demande de partage des revenus tirés des ressources. L’étude sur l’utilisation traditionnelle des terres, le programme sur les pratiques traditionnelles, le programme intégré de surveillance environnementale (la PNKT participant à sa conception) ainsi que l’offre de tenir et de financer une journée portes ouvertes annuelle afin d’échanger de l’information relative au développement dans les collines Cameron démontraient à la Cour que le Canada a véritablement tenté de répondre aux préoccupations de la PNKT dans le processus de renégociation. Bien que les autres parties avaient de fortes obligations envers la PNKT, cette dernière avait participé considérablement aux consultations effectuées sous le régime de la LGRVM, jusqu’au processus de consultation pour fins de modifications. La Cour a conclu que la PNKT ne pouvait pas invoquer les décisions Chicot dans le but de rouvrir tout le processus décisionnel prescrit par la LGRVM.
Tirant la conclusion que le Canada s’était acquitté de son obligation de consultation, la Cour a ajouté trois réserves générales concernant le processus de contrôle judiciaire. Premièrement, la Cour a réitéré que l’obligation de consultation dépend largement des circonstances particulières de chaque cas. Deuxièmement, la Cour n’examinera pas la conduite de la Couronne à la lumière d’une norme de perfection pour conclure que celle-ci s’est acquittée de son obligation de consultation. Pour reprendre les termes employés par la Cour (par. 91) :
[L]a meilleure issue n’est pas nécessairement le point de référence; tant et aussi longtemps que l’on peut démontrer que des efforts raisonnables ont été faits pour consulter et accommoder et que la décision fait partie des issues possibles ou acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, il n’y a aucune raison d’intervenir.
Enfin, la Cour a indiqué clairement que le contrôle judiciaire ne doit pas mettre l’accent sur le résultat, mais plutôt sur le processus de consultation et la recherche d’un d’accommodement acceptable.
Il faut aussi souligner que la Cour a conclu que le Canada avait de bonnes raisons pour refuser d’examiner la revendication de titre de la PNKT dans ce contexte. Selon la Cour, il ne convient pas, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’apprécier le poids de la preuve ou de tirer des conclusions de fait détaillées sur la solidité de la revendication de la PNKT concernant le titre ancestral. Cela était d’autant plus vrai que la revendication de la PNKT était contestée par d’autres collectivités autochtones et que le gouvernement participait à une négociation relative aux revendications territoriales globales avec les PNDC.
Conclusion
Confirmant les conclusions tirées dans les décisions Chicot antérieures, cette décision soutient la conclusion selon laquelle, avec la participation de la Couronne à la consultation, le processus établi dans la LGRVM peut satisfaire à l’obligation de consultation de la Couronne. Cela est rassurant pour les promoteurs de projets qui participent au processus parfois long et global. Même si elle est graduelle, l’augmentation de la certitude et de la confiance à l’égard de la fiabilité de l’issue du processus de la LGRVM bénéficie à toutes les parties prenantes dans le développement d’un projet dans les Territoires du Nord‑Ouest. De même, il est encourageant de constater que la Cour a indiqué clairement que l’accommodement des effets potentiels sur le titre ancestral en ce qui concerne le partage des revenus peut être laissé à la table de négociation des traités et n’est pas nécessaire aux fins du respect de l’obligation de consultation.