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La Cour d’appel de l’Ontario confirme que le caractère prioritaire du financement du débiteur-exploitant « DIP » relève du tribunal chargé de l’application de la LACC

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Bulletin Insolvabilité et redressement

Dans une décision rendue récemment en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») dans le cadre de l’affaire Timminco Ltd. et al.[1],la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que le tribunal chargé de l’application de la LACC avait compétence pour accorder le statut de charge super-prioritaire aux charges de financement du débiteur-exploitant « DIP » (y compris à l’égard des fiducies provinciales réputées) et qu’il bénéficiait d’une  large discrétion pour ce faire.

En novembre 2010, la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Indalex Ltd, Re[2]avait créé la consternation chez les professionnels des secteurs de l’insolvabilité, des régimes de retraite et du financement au Canada. Dans cette affaire, le tribunal de première instance avait accordé une charge super-prioritaire (une « charge DIP »)en faveur du prêteur qui finançait la restructuration d’Indalex Ltd. en vertu de la LACC[3]. Toutefois, en appel, la Cour d’appel a soutenu que la charge DIP n’avait pas priorité sur les réclamations de certaines fiducies provinciales statutaires réputées en ce qui concerne les régimes de retraite des débiteurs. La Cour d’appel a toutefois ajouté qu’un tribunal chargé de l’application de la LACC (un « tribunal LACC ») pouvait accorder une charge DIP super-prioritaire par rapport aux intérêts de fiducies provinciales réputées (et d’autres intérêts), pourvu que le juge invoque spécifiquement la doctrine de la préséance (doctrine en vertu de laquelle une loi fédérale a préséance sur une loi provinciale). Des professionnels de l’insolvabilité ont suggéré que cette décision sapait la compétence du tribunal LACC et qu’il serait difficile, voire impossible, d’obtenir du financement DIP dans le cadre de futures restructurations. Les administrateurs de régimes de retraite et les syndicats ont bien sûr salué le caractère équitable de cette décision. Il s’en est suivi des mois de débats académiques et un appel devant la Cour suprême du Canada qui n’a pas encore été tranché.

La décision rendue dans l’affaire Indalex obsédait le secteur de l’insolvabilité, mais le problème de la priorité de la charge DIP s’est posé à nouveau dans le cadre d’une poursuite intentée en vertu de la LACC à laquelle étaient parties Timminco Limited et Becancour Silicon Inc. En février 2012, dans le cadre d’une requête en vue de faire approuver une entente de financement DIP et après avis aux parties intéressées, les débiteurs ont demandé au tribunal LACC d’accorder une charge DIP super-prioritaire. Le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier et le Syndicat des métallurgistes unis (collectivement, les « syndicats ») se sont opposés à cette requête car certains membres des régimes de retraite sous-capitalisés des débiteurs étaient également membres des syndicats. Le juge Morawetz de la Cour supérieure de l’Ontario (Rôle commercial) a accepté la requête des débiteurs[4]et, ce faisant, il a abordé de front la question de la préséance. Le juge Morawetz a conclu qu’il n’y avait pas vraiment de solution de rechange valable à l’octroi d’une charge DIP super-prioritaire, notamment pour les raisons suivantes :

(a) sans le financement DIP, les débiteurs seraient contraints de mettre fin à leurs activités;

(b) une faillite ne serait avantageuse pour aucune des parties, y compris les membres du régime de retraite; 

(c) le prêteur DIP n’accepterait pas d’accorder du financement sans une charge super-prioritaire; et

(d) les autres solutions de rechange impliquant des charges DIP impliquaient des montants suffisants ou étaient assorties de conditions défavorables.

Le juge Morawetz a également mentionné qu’il n’était pas réaliste de s’attendre à ce qu’un prêteur DIP avance des fonds sans obtenir une charge super-prioritaire qui les garantisse. Compte tenu de ce qui précède, le juge Morawetz a soutenu qu’en l’absence d’une ordonnance accordant la charge DIP, l’objectif de la LACC ne serait pas respecté et que, dans ces circonstances, la doctrine de la préséance est dûment invoquée pour ordonner une charge DIP super-prioritaire, ayant priorité de rang sur tous les intérêts, y compris ceux de fiducies provinciales présumées, en ce qui a trait aux régimes de retraite des débiteurs. Les syndicats ont demandé l’autorisation d’interjeter appel.

En ce qui a trait à la demande d’autorisation, la Cour d’appel a soutenu que les syndicats n’avaient pas satisfait aux critères d’appel en vertu de la LACC. La Cour a confirmé la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire Indalex voulant qu’un tribunal LACC puisse invoquer la doctrine de la préséance pour passer outre aux dispositions de lois provinciales si l’application de ces dernières mine la capacité d’une société d’opérer une restructuration et d’éviter la faillite. La Cour a également fait remarquer que les conclusions de fait du juge de première instance (qui sont présentées plus haut), y compris celle voulant qu’il n’y ait pas de solution de rechange valable à l’approbation d’un financement DIP et à la charge DIP super-prioritaire, étaient « inattaquables » et justifiaient le recours à la doctrine de la préséance.

Les décisions rendues dans l’affaire Timminco, que ce soit par le juge Morawetz ou par la Cour d’appel, n’ont rien d’étonnant. Les conclusions de fait du juge Morawetz sont presque toujours valables ou applicables dans le cadre de financements DIP. Par exemple, aucun prêteur raisonnable n’accorderait un prêt sans une charge super-prioritaire et, sans le financement DIP, le débiteur serait généralement forcé de mettre fin à ses activités. En résumé, il est difficile d’imaginer une restructuration dans le cadre de laquelle un tribunal LACC pourrait faire autrement que de conclure que les objectifs de la LACC ne seraient pas respectés en l’absence d’une ordonnance judiciaire accordant la super-priorité. La décision de la Cour d’appel a confirmé qu’une telle conclusion de fait est suffisante pour soutenir le recours à la doctrine de la préséance. En résumé, ces décisions fournissent les lignes directrices afin de permettre à un tribunal LACC d’accorder une charge DIP super-prioritaire.

En conséquence, bien que les secteurs de l’insolvabilité, des régimes de retraite et du financement aient débattu des conséquences de la décision rendue dans l’affaire Indalex, dans les faits, la décision rendue récemment par la Cour d’appel dans l’affaire Timminco a confirmé de nouveau la capacité d’un tribunal LACC d’accorder des charges DIP super-prioritaires. Pourvu que les parties en aient reçu signification (comme l’exige la LACC) et que le demandeur puisse fournir la preuve que le financement DIP et une charge DIP super-prioritaire sont requis, il apparaît clairement que le tribunal LACC dispose d’une large discrétion pour invoquer la doctrine de la préséance afin d’ordonner une telle charge. Compte tenu de cette décision et de son application générale aux financements DIP, la décision qui sera rendue par la Cour suprême dans l’affaire Indalex, même si elle sera intéressante d’un point de vue académique, pourrait n’avoir que des conséquences pratiques limitées.

 

 



[1]
    Timminco Limited and Becancour Silicon Inc., Re, (20 juillet 2012), Ontario M41062 et M41085 (Ont. C.A.).

[2]    (2011), [2011] 75 C.B.R. (5th) 19 (Ont. C.A.).

[3]    Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. c-36.

[4]    Timminco Ltd., Re, (2012) 86 C.B.R. (5th) 171 (Ont. S.C.J. [Commercial List]).

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Auteur

  • Aubrey E. Kauffman, Associé | Insolvabilité et restructuration, Toronto, ON, +1 416 868 3538, akauffman@fasken.com

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