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La Cour suprême du Canada protège les enfants victimes de cyberintimidation

Fasken
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Bulletin Litiges et résolution de conflits

En permettant à une adolescente de 15 ans de procéder de façon anonyme dans le cadre d’une action en justice contre un cyberintimidateur, la Cour suprême du Canada a jugé que la protection de la vie privée et la protection des enfants contre la cyberintimidation sont suffisamment importantes pour justifier de restreindre l’application du principe de la publicité des débats judiciaires et la liberté de la presse.

En prenant cette position, la Cour a précisé encore davantage l’équilibre existant au Canada entre la liberté de la presse et les intérêts particuliers. La liberté de la presse, particulièrement en ce qui a trait à la couverture médiatique des débats judiciaire, est considérée « comme essentielle à la promotion du principe de la publicité des débats judiciaires, un élément central non seulement du système de justice canadien, mais de la démocratie canadienne ».1 Les tribunaux se sont préoccupés du fait qu’ils ne doivent pas laisser les préoccupations personnelles d’une partie à un litige, y compris les troubles émotifs et l’embarras, prendre trop rapidement le pas sur le principe de la publicité des débats judiciaires. Toutefois, dans des décisions récentes, les tribunaux ont parfois reconnu que le droit à la vie privée des particuliers devait être protégé. Ces décisions ont toutefois établi qu’il incombe à la partie qui demande une ordonnance de non-publication de faire une preuve substantielle démontrant que l’absence d’une ordonnance de non-publication poserait un risque sérieux pour la bonne administration de la justice. Il faut démontrer que l’ordonnance est nécessaire pour empêcher un risque sérieux à un intérêt important, et que les avantages de l’ordonnance de confidentialité l’emportent sur ses effets délétères, y compris ses conséquences sur le droit à la liberté d’expression.2

En conséquence, le fait que la Cour ait accepté que A.B. demeure anonyme peut être considéré comme un pas important pour la protection de la vie privée. La Cour s’est fondée sur l’existence d’un préjudice objectivement discernable pour renverser la conclusion de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, selon laquelle l’adolescente ne s’était pas acquittée du fardeau de démontrer l’existence d’un véritable préjudice important.

Si cette décision ouvre la porte à des arguments en faveur de la protection de la vie privée fondés sur la raison et la logique, plutôt que sur la seule preuve d’un préjudice direct à une personne, l’accent mis par la Cour sur la vulnérabilité unique des enfants dans le contexte de la cyberintimidation fait en sorte que cette ouverture est étroite.

Le système de justice canadien accorde généralement une plus grande protection à la vie privée des enfants qu’à celle des adultes, en raison notamment du principe de la vulnérabilité inhérente des enfants. La Cour suprême a insisté sur le fait que cette vulnérabilité est fondée sur l’âge et non pas sur la sensibilité de l’enfant en particulier. La conclusion de la Cour en ce qui a trait au préjudice a été fondée en grande partie sur la preuve des conséquences psychologiques de la cyberintimidation sur des enfants. Plusieurs intervenants ont parlé de l’importance de l’anonymat pour permettre aux enfants de se protéger contre l’intimidation.

La Cour a reconnu l’importance de l’anonymat en ce qui a trait à la capacité des enfants de se protéger, et elle fait un lien entre cette protection et la bonne administration de la justice. En ce qui concerne les inquiétudes des médias au sujet du principe de la publicité des débats judiciaires, la Cour s’en est remis à ses décisions précédentes, y compris à son argument voulant que le fait de refuser de protéger l’identité d’une victime d’agression sexuelle pouvait nuire à l’administration de la justice en empêchant les victimes de porter plainte. Comme dans ces circonstances, si une ordonnance de non-publication est nécessaire pour que les personnes particulièrement vulnérables aient accès au système de justice, l’identité de la victime a relativement peu d’importance pour l’application du principe de la publicité des débats judiciaires.

Cette décision ne fournit aucune indication sur la façon dont les tribunaux vont protéger la vie privée des adultes dans des circonstances comparables. Il ne fait aucun doute qu’un adulte peut faire l’objet de cyberintimidation à caractère sexuel de la même façon qu’A.B. Un adulte pourrait également refuser d’entreprendre des démarches juridiques sans que son identité soit protégée. Compte tenu de l’accent mis sur la jeunesse dans cette décision, il n’est pas certain qu’une décision rendue ultérieurement relativement à un adulte sera fondée sur la preuve d’un préjudice objectivement discernable.

Conséquences pour les fournisseurs d’accès Internet – quelles sont les conséquences de cette décision sur les entreprises et les médias qui exercent leurs activités en ligne.

« Cette décision laisse également en suspens la question de savoir si d’autres distinctions seront opérées entre les droits des enfants et les droits des adultes en ce qui a trait à leurs interactions sur Internet, particulièrement sur les médias sociaux.
Les fournisseurs de services Internet et les médias en ligne devront également se soucier de cette décision et s’assurer que dans les affaires de cyberintimidation l’identité d’enfants n’est pas divulguée par inadvertance. »

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1    E.H. v. Williams, 2012 ONCA 35 à 33.
2    Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522, par. 53, par Iacobucci J.

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  • Peter A. Downard, Associé | Diffamation et médias, Toronto, ON, +1 416 865 4369, pdownard@fasken.com
  • Peter N. Mantas, Associé | Litiges et résolution de conflits, Ottawa, ON | Londres, +1 613 696 6886, pmantas@fasken.com

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