Passer au contenu principal
Bulletin

Commentaire sur la décision R. c. Cole

Fasken
Temps de lecture 9 minutes
S'inscrire
Partager

Aperçu

Auteur

Pornographie au travail : l’employeur peut surveiller, mais la police doit obtenir un mandat

Le 19 octobre 2012, la Cour suprême du Canada a confirmé dans sa décision R. c. Cole1, l’expectative raisonnable de vie privée d’un employé relativement au contenu d’un ordinateur fourni pour le travail, tout en légitimant le droit de regard de l’employeur sur l’utilisation du matériel informatique fourni à ses employés.

Résumé des faits

M. Cole enseigne les technologies de l’information dans une école secondaire de la région de Sudbury. Pour son travail, M. Cole dispose d’un ordinateur portable fourni par le conseil scolaire.

À l’occasion de travaux de maintenance sur le système informatique, un technicien dénote un taux d’activité anormal provenant de l’ordinateur portable de M. Cole. En accédant à distance à l’ordinateur portable, le technicien découvre un fichier caché susceptible de déstabiliser le réseau de l’école. En examinant ce fichier, il constate qu’il contient des photographies d’une jeune étudiante de l’école posant nue. Au surplus, l’examen de l’historique des recherches effectuées sur Internet révèle des fichiers contenant du matériel pornographique.

Le technicien informatique informe le directeur de l’école. Les photographies et les fichiers Internet sont remis à la police avec l’ordinateur portable. À aucun moment les policiers n’obtiennent de mandat de perquisition. M. Cole est accusé de possession de pornographie juvénile.

Décision

Le débat principal porte sur la présence d’une atteinte au droit à la protection à la vie privée de M. Cole garanti par la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte ») et la décision d’exclure de la preuve tout le matériel informatique saisi par la police.

D’entrée de jeu, la Cour suprême confirme que les employés bénéficient d’une expectative raisonnable quant à la protection de leur vie privée à l’égard des renseignements contenus dans leur ordinateur de travail, du moins lorsque leur utilisation à des fins personnelles est permise ou raisonnablement prévue par l’employeur. Il en est ainsi car les ordinateurs contiennent des renseignements jugés « significatifs et intimes » à son utilisateur eu égard à ses « préférences, intérêts, pensées, activités, idées et recherches de renseignements ».

Attente raisonnable, mais réduite, en matière de vie privée au travail

L’attente raisonnable en matière de vie privée n’est donc pas anéantie, mais elle se trouve réduite lorsque l’employé utilise un ordinateur du travail. En effet, la Cour suprême souligne que les politiques et pratiques en vigueur dans le milieu de travail restreignent considérablement l’expectative raisonnable d’une personne en matière de respect de sa vie privée, mais que la présence d’une « expectative raisonnable » doit tout de même être examinée en fonction de l’« ensemble des circonstances ».

En l’espèce, la Cour suprême juge que les réalités opérationnelles du milieu de travail de M. Cole militent à la fois pour et contre l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée. D’une part, M. Cole détenait la possession exclusive de l’ordinateur. Il avait la permission explicite, en vertu des politiques écrites et de la pratique, d’utiliser de manière occasionnelle l’ordinateur portable fourni par le travail à des fins personnelles. Il pouvait d’ailleurs l’apporter à la maison le soir et les fins de semaine, et même pendant ses vacances. La Cour conclut que la propriété de l’ordinateur est pertinente, mais non déterminante sur cette question. Au surplus, la surveillance des ordinateurs n’était pas prévue dans la politique du conseil scolaire et, sous réserve de certaines exceptions, le courrier électronique des enseignants était privé.

D’autre part, M. Cole n’exerçait pas un contrôle exclusif sur les renseignements personnels qu’il enregistrait ni sur l’accès à ces derniers, lesquels demeuraient la propriété du conseil scolaire. Bien qu’il eut pris des mesures pour en protéger l’accès par un mot de passe, le contenu de l’ordinateur demeurait accessible à tous les techniciens ayant les droits d’administration du domaine lié au réseau de l’école.

De ces divers éléments, la Cour conclut que M. Cole bénéficiait d’une attente raisonnable, mais réduite, au respect de sa vie privée relativement à son historique de navigation et au contenu informationnel de l’ordinateur portable fourni pour le travail.

La police aurait dû obtenir un mandat de perquisition

La Cour conclut que la police avait l’obligation d’obtenir un mandat de perquisition afin d’accéder aux renseignements personnels contenus dans l’ordinateur. À cet égard, il est clair que la permission ou le consentement du directeur de l’établissement scolaire ne suffit pas.

Généralement, la violation d’un droit constitutionnel prévu à la Charte mène à l’exclusion de la preuve saisie illégalement. Or, en l’espèce, la Cour suprême décide exceptionnellement de ne pas écarter les éléments de preuve, jugeant que la violation était mineure, que les policiers avaient agi de bonne foi et que leur admission ne déconsidérait pas l’administration de la justice.

L’employeur était justifié de procéder à la saisie du matériel informatique

Contrairement à la police, la Cour suprême juge que l’employeur, en l’occurrence le directeur de l’école secondaire, avait l’obligation légale en vertu de la Loi sur l’éducation de maintenir un milieu d’apprentissage sécuritaire et que par conséquent, il disposait du pouvoir de s’assurer qu’un ordinateur fourni par le conseil scolaire ne contenait pas de photos compromettantes d’une élève. Dans ces circonstances, le directeur était justifié de saisir et de fouiller l’ordinateur portable. Soulignons d’ailleurs que M. Cole ne contestait pas l’inspection de l’ordinateur effectuée sous la supervision du directeur.

La Cour suprême confirme ainsi qu’un employeur qui dispose de motifs légitimes peut se réserver un droit de regard sur l’utilisation des ordinateurs mis à la disposition de ses employés et les données qui y sont enregistrées, et dans certains cas, il peut en prendre possession, que ce soit pour des enquêtes internes ou dans le cadre d’instances disciplinaires.

Conséquences

Certes, l’analyse de la Cour suprême s’inscrit dans le contexte particulier de l’application de la Charte, car le ministère public a admis que les autorités scolaires y étaient soumises. Ce faisant, ce jugement n’a pas vocation à s’appliquer aux employeurs du secteur privé. Le message principal est positif, puisque le droit de surveillance de l’employeur est reconnu.

Ceci étant dit, l’arrêt R. c. Cole peut connaître une résonnance additionnelle en matière de relations de travail. En statuant que les ordinateurs, « qu’ils se trouvent au travail ou à la maison », contiennent des renseignements délicats du point de vue de la vie privée, la Cour met en relief la perméabilité entre la sphère professionnelle et la sphère privée des employés. Il est désormais clair que les employés bénéficient d’une expectative (limitée et réduite) relative à la protection de leur vie privée, et ce, même lorsqu’ils utilisent un ordinateur fourni par leur employeur.

Cette affaire pose donc avec une acuité particulière la question de l’importance pour les employeurs de se doter de politiques claires concernant l’utilisation personnelle des dispositifs électroniques mis à la disposition de leurs employés et aussi d’en rappeler régulièrement l’existence et de les appliquer de manière constante, de façon à réduire l’expectative de vie privée des employés quant à l’utilisation du matériel utilisé dans le cadre de leurs fonctions, puisqu’en définitive, comme le rappelle la Cour suprême, c’est l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire qu’il convient d’analyser.


1 [2012] CSC 53.

    Abonnement

    Recevez des mises à jour de notre équipe

    S'inscrire