L'Espace RH est rédigé sous la direction de Louise Béchamp, de Karen M. Sargeant et de Brian P. Smeenk
Si un employé a deux employeurs, l’un américain et l’autre canadien, les clauses de son contrat d’emploi qui prévoient les conditions applicables lors de la fin d’emploi peuvent avoir une portée limitée. Dans l’affaire Stanley v. Advertising Directory Solutions (PDF - disponible en anglais seulement) (« l’affaire Stanley »), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour d’appel ») a statué qu’une employée d’une société américaine qui travaillait pour une filiale canadienne de cette dernière avait droit à un préavis de cessation d’emploi en vertu du droit canadien et ce, malgré le contrat d’emploi qui stipulait le contraire.
La Cour d’appel a statué qu’un contrat d’emploi conclu entre un employé et une société américaine ne permet pas à la filiale canadienne, à titre d’employeur de la personne, d’éviter ses obligations de donner un préavis raisonnable de fin d’emploi ou une indemnité en tenant lieu.
Dans l’affaire Stanley, l’employée, Susan Stanley, était une citoyenne canadienne qui travaillait pour le compte de Verizon Communications Inc. (« Verizon ») au Texas. Mme Stanley a obtenu une promotion pour un poste à Vancouver, où elle travaillerait pour une filiale de Verizon, Dominion Directory Company Ltd. (« Dominion »). Au moment de son transfert, Mme Stanley a accepté les modalités d’emploi qui lui avaient été présentées par lettre avec l’en-tête de Verizon. Selon ces modalités, Mme Stanley demeurerait une employée de Verizon durant son détachement à Vancouver. Son emploi serait considéré comme un « au gré de l’employeur », c’est-à-dire sans obligation pour l’employeur de donner un préavis ou une indemnité tenant lieu de préavis en cas de fin d’emploi sans cause juste.
Une fois qu’elle s’était installée à Vancouver et qu’elle travaillait pour le compte de Dominion, Mme Stanley a déployé d’énormes efforts afin de faire fructifier les activités de la filiale canadienne de Verizon. Elle relevait du président de Dominion, qui était également établi au Canada. Après quelques années, Dominion a été vendue à Bain Capital. Lors d’une réunion à laquelle participait le chef des ressources humaines de Dominion et, par téléconférence, le chef des ressources humaines de Verizon, Mme Stanley a été licenciée.
Mme Stanley a intenté une poursuite en dommages-intérêts contre Dominion (et non contre Verizon).
Au tribunal, la cause se jouait sur la détermination du véritable employeur de Mme Stanley. Le juge de première instance a conclu que Mme Stanley était bel et bien une employée de Verizon aux États-Unis. Puisqu’elle n’était pas une employée de Dominion, elle n’avait pas droit au préavis de fin d’emploi prévu par le droit canadien. La Cour d’appel s’est penchée sur la question à savoir si les lois applicables au contrat étaient celles de la Colombie-Britannique ou du Texas, étant donné que le travail réalisé dans le cadre du contrat d’emploi conclu au Texas a été réalisé en Colombie-Britannique. La Cour d’appel a statué que les lois de la Colombie-Britannique prévalaient. Le contrat d’emploi conclu au Texas, qui stipulait que l’emploi de Mme Stanley était un emploi « au gré de l’employeur », a été jugé inapplicable, car les droits établis en vertu de la Employment Standards Act (« ESA ») de la Colombie-Britannique ne peuvent être renoncés.
La Cour d’appel a également statué qu’un employé peut avoir plus d’un employeur. Bien que l’on puisse considérer que Mme Stanley était une employée à la fois de Verizon et de Dominion, on ne pouvait pas raisonnablement soutenir qu’elle n’était pas une employée de Dominion. Par conséquent, la ESA s’appliquait à son contrat d’emploi et la clause d’emploi au gré de l’employeur ne cadrait pas avec la ESA. Le contrat d’emploi conclu au Texas a donc été mis de côté. Dominion, l’employeur canadien de Mme Stanley, était donc tenu de fournir à cette dernière un préavis raisonnable ou une indemnité tenant lieu de préavis en vertu de la common law canadienne. La Cour d’appel a renvoyé la cause au tribunal de première instance pour que celui-ci détermine l’indemnité tenant lieu de préavis à laquelle Mme Stanley avait droit.
Voici les leçons que peuvent tirer les employeurs de cette affaire :
- Il ne faut pas présumer qu’un contrat d’emploi conclu dans un pays s’appliquera de façon intégrale si l’employé est muté à une filiale située dans un autre pays.
- Il serait prudent de passer en revue attentivement les contrats d’emploi et de détachement pour s'assurer qu’ils ne contreviennent pas aux normes minimales prévues par les lois applicables; autrement, ils pourraient être jugés inapplicables. De tels contrats doivent comporter des clauses très claires qui précisent (i) les lois qui s’appliqueront à ces contrats; et (ii) le lieu où tout litige éventuel relatif à ces contrats sera entendu.
- Il ne faut pas présumer qu’un employé ne peut avoir qu’un seul employeur. En fait, selon les circonstances, un employé peut avoir plusieurs employeurs, comme c’était le cas dans l’affaire Stanley. Toutefois, ce genre de résultat peut être évitée au moyen d’un contrat préparé par des spécialistes.