Dans une décision rendue le 18 octobre 2013[1], la Cour d’appel de l’Alberta a accordé à la Première Nation de Fort McKay l’autorisation d’interjeter appel contre une décision rendue par l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta (Alberta Energy Regulator ou AER)[2], qui a approuvé la demande par Brion Energy Corporation de lancer un projet de récupération de bitume dans le nord-est de l’Alberta. L’autorisation d’appel a été accordée concernant la question de l’interprétation par l’AER de son pouvoir de trancher des questions constitutionnelles, notamment la question de savoir si l’AER est tenue d’examiner toute limite au pouvoir constitutionnel de la province d’Alberta sur l’atteinte aux droits issus de traités lorsqu’il rend ses décisions.
La décision de l’AER
La Première Nation de Fort McKay et un autre groupe autochtone s’étaient opposés à la demande présentée devant la commission de conservation des ressources énergétiques (Energy Resources Conservation Board ou ERCB – qui a été remplacée par l’AER), exprimant des craintes au sujet de l’effet du projet sur les réserves du lac Moose et de l’effet cumulatif du développement des sables bitumineux sur l’utilisation des terres traditionnelles. Avant cette instance, les deux groupes autochtones ont donné un avis indiquant qu’ils soulèveraient certaines questions constitutionnelles relatives à l’atteinte aux droits issus de traités et à l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne. En avril 2013, l’ERCB a rejeté les questions constitutionnelles de Fort McKay pour des motifs de compétence et de procédure. L’ERCB a conclu avoir uniquement le pouvoir d’examiner les questions constitutionnelles définies dans la loi albertaine sur la procédure et la compétence des tribunaux administratifs (Administrative Procedures and Jurisdiction Act, R.S.A. 2000 c. A-3 ou APJA) et que les questions constitutionnelles soulevées par Fort McKay n’étaient pas visées par ces questions. L’AER a par la suite intégré ce rejet des questions constitutionnelles à sa décision finale relative au projet.
La demande d’autorisation d’appel
La Première Nation de Fort McKay a soulevé quatre questions dans sa demande d’autorisation :
-
L’AER a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en concluant que la question de savoir si l’approbation du projet porterait sensiblement atteinte aux droits issus de traités de la Première Nation de Fort McKay et outrepasserait donc la compétence provinciale n’était pas une question de droit constitutionnel au sens de l’APJA?
-
L’AER a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en concluant ne pas avoir compétence pour examiner les questions constitutionnelles non définies comme « questions de droit constitutionnel » dans l’APJA?
-
L’AER a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en raison de son interprétation restrictive de sa compétence d’enquête et de sa compétence réparatrice lui permettant d’examiner et de trancher, respectivement, la question des effets cumulatifs sur l’environnement?
-
L’AER a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en raison de la procédure par laquelle il visait à tirer des conclusions relatives aux effets du projet sur les droits issus de traités de la Première Nation de Fort McKay qui sont protégés par la Constitution?
Monsieur le juge Slatter a accordé l’autorisation d’appel quant aux deux premières questions, mais l’a refusée quant aux deux dernières.
En ce qui concerne les questions relatives à la compétence de l’AER d’examiner des questions constitutionnelles, le juge Slatter a rejeté l’argument de Brion selon lequel l’appel par voie de demande d’autorisation avait été interjeté hors délai puisque la décision interlocutoire rejetant les questions constitutionnelles a été rendue en avril 2013 et n’a pas fait l’objet d’un appel dans les délais prescrits par la loi. Le juge Slatter a conclu qu’il faut généralement considérer la décision finale comme intégrant par renvoi toutes les décisions interlocutoires qui l’ont précédée pour ensuite solliciter l’autorisation d’appel concernant toutes les questions en litige qui demeurent à la fin de l’instance.
Le juge Slatter a également rejeté l’argument de Brion et de l’AER selon lequel l’AER n’a jamais tranché la question constitutionnelle visée par la demande d’autorisation d’appel, à savoir que [traduction] « l’atteinte significative aux droits issus de traités » n’a pas été mentionnée dans les questions constitutionnelles initiales présentées par Fort McKay à l’AER. Ces questions mentionnaient plutôt [traduction] « l’atteinte aux droits garantis par le Traité 8 » entraînant [traduction] « l’absence de compétence provinciale ». Le juge Slatter a conclu que les questions constitutionnelles initialement posées par Fort McKay auraient exigé que l’AER analyse les droits issus de traités de Fort McKay et la compétence législative de la province. L’AER avait en réalité examiné ces questions et refusé de les analyser. À la lumière de ce fait, le juge Slatter estimait qu’il y avait une question en litige relativement à l’interprétation par l’AER de son pouvoir de trancher les questions constitutionnelles en vertu de l’APJA et que cette question revêt une importance générale, ce qui justifie l’appel.
En ce qui concerne la question des effets cumulatifs, le juge Slatter était d’avis que l’AER avait examiné les effets cumulatifs dans sa décision et qu’il n’y avait pas de question distincte de droit permettant l’autorisation d’appel sur la question. En ce qui concerne la quatrième question, à savoir la procédure de l’AER, le juge Slatter a conclu que Fort McKay n’avait pas circonscrit ou relevé de vices de procédure précis à contester, de sorte qu’il a également refusé l’autorisation d’appel sur cette question.
En définitive, le juge Slatter a accordé l’autorisation d’interjeter appel sur les questions relatives aux questions constitutionnelles et a formulé ainsi ces dernières :
a) L’ERCB ou l’AER a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence justifiant l’annulation dans l’évaluation du type de questions constitutionnelles qu’il pouvait ou devait examiner en vertu de sa compétence générale sur les questions de droit, ou en vertu de l’APJA, et, dans l’affirmative,
b) l’erreur justifiant l’annulation dans la définition de la portée des questions constitutionnelles a-t-elle un effet, justifiant l’annulation, sur l’approbation définitive du projet par l’AER?
Conséquences de la décision
La décision de l’AER entre en vigueur au moment de son prononcé et n’est pas automatiquement suspendue par l’octroi de l’autorisation d’appel; toutefois, l’AER peut suspendre l’application de toute la décision, ou une partie de la décision jusqu’à la conclusion de la procédure d’appel ou l’abandon de l’appel. Après avoir entendu l’appel, la Cour pourrait confirmer, annuler ou modifier par directives la décision de l’AER. Dans cette affaire, compte tenu de la nature constitutionnelle de l’appel, la décision que rendra la Cour pourrait avoir des incidences générales sur la compétence par l’AER d’examiner d’autres questions constitutionnelles et, en définitive et peut-être, sur la compétence par la province d’Alberta d’approuver les projets si ceux-ci peuvent entraîner une [traduction] « atteinte significative aux droits issus de traités ».
Continuer la discussion des développements récents en matière de
droit autochtone: Inscrivez-vous à notre groupe LinkedIn. |
[1] Consultez la décision Fort McKay First Nation c. Alberta Energy Regulator, 2013 ABCA 355 (en anglais seulement).
[2] Décision 2013 ABAER 014, Dover Operating Corp. Application for a Bitumen Recovery Scheme - Athabasca Oil Sands Area (en anglais seulement). Cette décision a été résumée dans un bulletin antérieur. Depuis cette décision, Dover Operating Corp. a la nouvelle dénomination sociale Brion Energy Corporation.