La Cour suprême du Canada vient juste de rendre une décision qui établit que l’explosion d’éclats de roc qui a endommagé une maison et un véhicule sur une propriété à proximité était régie par la Loi sur la protection de l’environnement (« LPE ») de l’Ontario. La Cour suprême a également conclu que, selon la formulation de la LPE, il n’est pas nécessaire dans ce cas qu’il y ait eu des répercussions sur l’environnement naturel et que des dommages causés à des biens sont suffisants pour les fins de LPE.
Les éclats de roc
La décision découle d’une poursuite contre Castonguay Blasting Ltd. (« Castonguay ») en 2007. Castonguay effectuait des activités de dynamitage dans le cadre d’un projet d’élargissement de la route à Mamora en Ontario et des éclats de roc ont été projetés à environ 90 mètres dans les airs par une explosion. Les éclats de roc ont traversé le toit d’une demeure, endommageant le plafond, le revêtement mural extérieur et les gouttières. Certains éclats ont frappé une auto, fracassant le pare-brise et endommageant le capot. En outre, une quantité importante d’éclats sont tombés dans la cour de la propriété. Castonguay a immédiatement avisé le ministère du Travail et le ministère de Transports de l’incident mais a omis d’aviser le ministère de l’environnement (« ME »).
Le ME intente des poursuites
Le ME a été mis au courant de l’incident plusieurs mois plus tard et a décidé de poursuivre Castonguay pour avoir omis d’aviser le ME que l’entreprise avait rejeté un contaminant dans l’environnement naturel, à l’encontre de l’article 15(1) de la LPE. L’article 15(1) exige qu’une personne qui rejette un contaminant dans l’environnement naturel en avise sans délai le ME si un tel acte cause ou causera vraisemblablement une « conséquence préjudiciable ».
Lors du procès, le Tribunal a rejeté la demande au motif que l’article 15(1) de la LPE ne s’appliquait pas aux rejets qui causent uniquement des dommages aux biens, sans qu’il n’y ait eu une dégradation de l’air, du terrain ou de l’eau. Le Tribunal a mentionné que pour que la LPE puisse s’appliquer, il doit s’agir d’un « événement environnemental » et a conclu que les éclats de roc n’étaient pas un contaminant.
Le ME interjette appel
Le ME a interjeté appel et la décision a été infirmée. Le Tribunal a conclu que rien dans la LPE ne limite l’application de celle-ci à uniquement l’« environnement naturel » ou à des « événements environnementaux ». Le Tribunal a conclu que le tribunal de première instance avait commis une erreur de droit en interprétant la formulation de la LPE et ses définitions de façon restrictive.
Castonguay interjette appel de la condamnation
Cette décision et la condamnation ont fait l’objet d’un appel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario en 2011. L’appel a été rejeté mais la décision a laissé apparaître un clivage entre les juges de la Cour sur la portée de la définition du terme « conséquence préjudiciable » de la LPE et les conséquences de la décision de la Cour suprême du Canada dans Ontario c. Canadien Pacifique Ltée. Dans la décision Canadien Pacifique, la Cour suprême a établi que la définition de « conséquence préjudiciable » ne comprenait pas « une menace négligeable ou minime pour l’environnement ». La question était de savoir si cette exclusion s’appliquait à tous les éléments de la définition du terme « conséquence préjudiciable », ou uniquement à celui examiné par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canadien Pacifique.
La majorité de la Cour d’appel a conclu qu’une répercussion sur l’environnement naturel n’était pas une exigence pour chacune des formes énumérées de la définition de « conséquence préjudiciable » en vertu de la LPE. Les dommages à des biens sont, en soit, une « conséquence préjudiciable » pour laquelle la LPE s’applique si le dommage est causé par le rejet d’un contaminant.
Est-ce que les éclats de roc sont réellement régis par la LPE?
Castonguay a interjeté appel de la décision de la Cour d’appel, et la Cour suprême du Canada a rejeté la demande. La Cour suprême a déclaré que la législation sur l’environnement repose sur l’application d’une approche générale, qui permet de réagir adéquatement à une gamme d’atteintes environnementales, y compris celles qui n’ont peut-être même pas été envisagées par le législateur. La Cour suprême a décidé qu’elle ne pouvait pas accepter l’argument de Castonguay à l’effet qu’une dégradation de l’environnement naturel, ainsi que des dommages causés aux biens, était nécessaire pour que soit déclenchée l’obligation de signalement en vertu de la LPE.
L’argument de Castonguay partait du principe que la Cour suprême accepte que le premier élément de la définition de « conséquence préjudiciable », qui traite de la dégradation de l’environnement naturel, fonctionne comme une clause générale qui modifie les sept autres éléments de la définition. La Cour suprême a jugé qu’une telle interprétation l’obligerait à ignorer complètement la définition du terme « conséquence préjudiciable » et la façon dont elle est énoncée dans la LPE. La définition du terme « conséquence préjudiciable » prévoit l’« une ou plusieurs des conséquences suivantes » et les énumère. Rien dans la définition ne suggère que le premier élément, soit la dégradation de la qualité de l’environnement naturel », soit une condition nécessaire pour que les autres éléments s’appliquent.
La Cour suprême s’est également penchée sur une présentation faite par les deux intervenants, qui prétendaient que l’interprétation de l’article 15(1) de la LPE de Castonguay était incompatible avec le principe de précaution. La Cour suprême déclare, en se rapportant à ce principe, ce qui suit :
« Ce principe émergent en droit international reconnaît en effet que, parce qu’il est intrinsèquement difficile de déterminer et de prédire avec une certitude scientifique les répercussions environnementales, les politiques en la matière doivent anticiper et prévenir les dégradations environnementales. »
Selon la Cour suprême, l’article 15(1) de la LPE répond aux préoccupations à la base du principe de précaution en s’assurant que le ME soit avisé et ait la possibilité de réagir dès qu’il y a eu rejet de contaminants, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la preuve d’une dégradation effective de l’environnement naturel.
Les conséquences d’un rejet doivent être plus importantes que simplement négligeables
La Cour suprême renvoie également à la décision de la Cour d’appel dans Dow Chemical où le Tribunal a jugé qu’il n’est pas nécessaire de constater une dégradation de l’environnement naturel en plus des autres effets énoncés dans la définition du terme « conséquence préjudiciable ». La Cour suprême a statué que chacune des conséquences préjudiciables énumérées doit être plus que négligeable, mais que l’existence de n’importe laquelle de ces conséquences suffisait pour satisfaire à la définition.
En s’appuyant sur cette affaire, la Cour suprême a conclu que les éclats de roc projetés par Castonguay avaient causé une conséquence préjudiciable parce que les dommages causés aux biens et la perte de jouissance de l’usage normal de ses biens faisaient partie de la définition du terme « conséquence préjudiciable ». La Cour suprême a également jugé que l’un des autres éléments de la définition pouvait également entrer en jeu puisqu’il existait une possibilité d’atteinte à la sécurité de quiconque. Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé que les conséquences préjudiciables n’étaient pas négligeables puisque la force de l’explosion et les éclats de roc qu’elle a produits étaient si puissants que d’importants dommages aux biens ont été causés. La Cour suprême a jugé que les éclats de roc auraient pu facilement blesser sérieusement une personne ou la tuer.
La décision, sans aucun doute, forcera les sociétés à réévaluer l’obligation d’aviser le ME. La plupart des sociétés présumaient qu’une conséquence préjudiciable sur l’environnement naturel était requise pour être assujetties en vertu de la LPE, et qu’un évènement tel qu’une explosion d’éclats de roc et des dommages à des biens n’était pas régi par la LPE ou digne d’intérêt pour le ME. En effet, il ressort des faits que Castonguay, en avisant le ministère du Travail et le ministère des Transports, n’a certainement pas voulu échapper à son obligation de signalement et croyait honnêtement que cela n’était pas nécessaire. Dorénavant, il en va autrement, selon la Cour suprême.