La plupart des employeurs au Canada savent qu'ils peuvent invoquer une défense fondée sur la diligence raisonnable pour éviter une condamnation en vertu de la législation en matière de santé et de sécurité au travail. Mais les employeurs savent aussi qu'il peut être difficile de faire valoir une telle défense. Même si la blessure d'un employé résulte de choix faits par ce dernier, il se peut que l'employeur ne puisse soutenir une défense fondée sur la diligence raisonnable. Or, les employeurs se sentiront rassurés par la décision rendue dans une affaire récente concernant des accusations portées contre une société en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario. Si les circonstances factuelles s'y prêtent, il est possible de faire valoir avec succès une défense fondée sur la diligence raisonnable en dépit du critère rigoureux qui s'y applique.
Les faits
L'affaire R. v. ABS Machining Inc. (PDF - disponible en anglais seulement) concernait un accident survenu aux installations d'ABS Machining Inc. (« ABS ») à Mississauga, en Ontario. ABS, un fabricant de produits métalliques usinés, avait reçu une commande pour produire des axes arrières (« rear spindle ») en métal pour des camions utilisés dans le secteur pétrolier. Chacun des axes pesait environ 10 000 livres (soit environ 4535 kg) et mesurait entre 4 et 5 pieds (soit entre 1,22 m et 1,52 m) en longueur .
Durant la production de ces pièces, le client a avisé ABS que des modifications devaient être apportées à l'une d'elles. Étant donné que les axes avaient déjà été usinés, les modifications devaient être faites à la main. La tâche a été confiée à un employé avec relativement peu d'expérience; celui-ci ne travaillait chez ABS que depuis 17 mois. Afin d'accéder à la partie de l'axe devant être modifiée, la pièce devait être tournée. L'employé a donc utilisé un pont roulant. Son superviseur ne lui avait pas dit de tourner l'axe, et il lui a demandé d'attendre. L'employé a toutefois procédé à la rotation de l'axe avant l'arrivée de son superviseur. Durant l'opération, l'axe est tombé sur le pied droit de l'employé. Ce pied a dû être amputé.
Les accusations
Le ministère du Travail de l'Ontario (le « Ministère ») a déposé deux chefs d'accusation en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail contre ABS :
- Selon le premier chef d'accusation, ABS avait manqué à son obligation, en tant qu'employeur, de s'assurer de l'exécution dans le lieu de travail des mesures et des procédures prescrites par la réglementation industrielle. Le Ministère a allégué que l'employeur ne s'était pas assuré du fait que les axes étaient soulevés et/ou transportés et/ou déplacés de manière à ne pas compromettre la sécurité de l'employé, et/ou avec les précautions et/ou les mesures sécuritaires nécessaires à cet effet.
- Selon le second chef d'accusation, ABS avait manqué à son obligation, en tant qu'employeur, de fournir à l'employé les renseignements, les directives et la surveillance nécessaires à la protection de sa santé et de sa sécurité, en omettant de lui fournir l'information et/ou les directives et/ou la surveillance dont il avait besoin pour déplacer l'axe de façon sécuritaire.
La défense fondée sur la diligence raisonnable
Afin d'évaluer si les éléments d'une défense fondée sur la diligence raisonnable avaient été établis, la Cour a déterminé qu'il lui était nécessaire d'examiner les aspects suivants :
- Si les événements avaient été raisonnablement prévisibles;
- Les formations et les procédures de sécurité d'ABS.
Après avoir examiné les faits, la Cour a conclu qu'il n'y avait aucune procédure en place pour la rotation de l'axe, et qu'il n'avait pas été nécessaire pour ABS de mettre en place une telle procédure avant la modification de la commande par le client. La Cour a également conclu que l'employé (lequel soutenait qu'on lui avait dit d'effectuer la rotation) n'était pas crédible. Le superviseur a témoigné qu'en raison de la masse élevée de l'axe, on ne pouvait s'attendre à ce que la rotation de la pièce soit confiée à un employé subalterne. Cette responsabilité reviendrait à l'employé ayant le plus d'ancienneté sur les lieux, soit le superviseur.
Pour ce qui est de la défense fondée sur la diligence raisonnable, la Cour a statué qu'il était insuffisant pour un employeur de simplement souligner la conduite négligente et imprudente, voire insouciante, de l'employé pour faire valoir une telle défense. Selon la Cour, il s'agissait d'une question de prévisibilité, à savoir si un employeur raisonnable aurait dû anticiper que l'employé aurait tenté d'effectuer la rotation de la pièce. La Cour a conclu qu'un employé raisonnable n'aurait pas pu prévoir que l'employé aurait effectué la rotation par lui-même et de la manière dont il l'a fait.
Conclusion
Cette affaire confirme qu'il est possible d'avoir recours à la défense fondée sur la diligence raisonnable dans les situations où un employé entreprend une tâche sans autorisation, ni instructions à cet effet. Compte tenu du fait que cette défense peut être invoquée dans chacune des provinces canadiennes, le jugement rendu dans cette affaire peut ainsi aider les employeurs partout au pays.