[Traduction] « … [Une] peine d'emprisonnement sévère s'impose pour refléter les conséquences tragiques des infractions commises et établir clairement que toute personne en position d'autorité dans des milieux de travail potentiellement dangereux a l'obligation sérieuse de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les employés rentrent chez eux le soir sains et saufs… »[1]
Cette déclaration sans équivoque du juge MacDonnell dans son jugement du 11 janvier 2016 dans l'affaire R. v Vadim Kazenelson est lourde de sens. Aux termes de cette décision, M. Kazenelson, un chef de projet de construction, écope d'une peine d'emprisonnement de trois ans et demi pour chacun des cinq chefs d'accusation de négligence criminelle (peines qui seront purgées simultanément) pour lesquels il a été condamné à la suite de l'effondrement d'un échafaudage volant qui a coûté la vie à quatre travailleurs en Ontario. M. Kazenelson avait été reconnu coupable de ces chefs d'accusation à l'issue d'un procès tenu en 2015[2].
Cette décision sur la peine vient enfin mettre un terme à la saga tragique des quatre décès survenus sur un chantier de construction la veille de Noël 2009.
Les faits
En août 2009, les services de Metron Construction (« Metron ») avaient été retenus pour la réfection des balcons de béton de deux tours d'appartements. Comme le voulaient ses pratiques usuelles, Metron a embauché un chef de projet, soit M. Kazenelson, ainsi qu'un surveillant de chantier, pour superviser l'ouvrage. M. Kazenelson était lui-même propriétaire et exploitant d'une entreprise de construction et, selon des témoignages, il avait été chaudement recommandé en tant que chef de projet expérimenté et qualifié.
Le 24 décembre 2009, des ouvriers de Metron travaillaient au 14e étage de l'une des tours d'appartements. Vers 16 h 30, six travailleurs ‒ y compris le surveillant de chantier ‒ ont grimpé sur un échafaudage volant (soit une plateforme de travail suspendue) pour revenir au sol. L'échafaudage volant s'est effondré, et quatre des travailleurs qui s'y trouvaient ont fait une chute mortelle. Un cinquième travailleur a survécu à la chute avec de graves blessures, et le sixième travailleur, qui était attaché à un dispositif de protection antichutes, a été retenu grâce à son cordon d'assurance.
Selon les résultats d'une enquête menée après l'incident, des traces de marihuana ont été détectées dans l'organisme de trois des travailleurs décédés, y compris le surveillant de chantier, indiquant une consommation récente de cette substance. De plus, seulement deux cordons d'assurance se trouvaient dans la zone de l'échafaudage volant, dont la structure présentait d'ailleurs des défauts de conception et d'assemblage. Son fabricant et fournisseur n'avait pas mené d'essais adéquats sur son produit et n'en avait pas fait approuver la conception par un ingénieur. De plus, la structure de l'échafaudage volant n'était pas assez sécuritaire ne serait-ce que pour deux travailleurs. La soudure était irrégulière et inadéquate, et les lignes de soudure étaient déjà fissurées et brisées avant l'incident. Enfin, à sa livraison sur le chantier, l'échafaudage volant n'était accompagné d'aucun manuel et n'affichait aucun marquage, numéro de série, ni étiquette indiquant sa capacité maximale.
Le 15 juin 2012, Metron a plaidé coupable à un chef d'accusation de négligence criminelle ayant causé la mort. Ce faisant, Metron est devenue la première société en Ontario à être reconnue coupable de négligence criminelle en vertu du Code criminel modifié aux termes du projet de loi C-45. Metron s'est ensuite vu imposer une amende de 200 000 $[3] mais la Couronne, qui avait demandé une amende de 1 million de dollars, a interjeté appel de la sentence auprès de la Cour d'appel de l'Ontario.
La Cour d'appel a déterminé que le juge de première instance avait commis une erreur en fondant sa décision sur les précédents des sentences imposées en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario, et qu'il n'avait pas tenu compte du degré plus élevé [Traduction] « de culpabilité morale et de gravité liée » à une condamnation criminelle. De plus, le juge avait erré en faisant de la capacité de payer de Metron une condition préalable pour imposer l'amende. Sur ce point, la Cour d'appel a d'ailleurs souligné que la viabilité économique d'une entreprise peut constituer un facteur à prendre en compte dans l'imposition d'une peine si l'entreprise occupe une place importante sur le marché ou emploie un grand nombre de travailleurs, mais que dans les cas pertinents, la possibilité d'imposer à une société une amende qui pourrait entraîner sa faillite ne doit pas être écartée[4]. Compte tenu des facteurs entrant en compte dans la détermination de la peine, la Cour d'appel a conclu que l'amende initiale imposée à Metron était inadéquate et a haussé la somme à 750 000 $.
Leçons à tirer pour les employeurs
Les modifications apportées au Code criminel par le projet de loi C-45 exposent désormais les entreprises et leurs principaux dirigeants à un risque accru de responsabilité criminelle lorsqu'ils ne prennent pas toutes les précautions nécessaires pour prévenir les préjudices corporels sur le lieu de travail. L'affaire Metron est un exemple concret de la rapidité à laquelle cette responsabilité peut se concrétiser, et de la gravité des conséquences qu'elle peut entraîner pour les employeurs.
L'une des principales leçons à tirer des différents jugements dans l'affaire Metron est qu'il ne suffit pas pour un employeur de se limiter à établir un programme de santé et de sécurité au travail, pour ensuite s'attendre à éviter ses responsabilités réglementaires et criminelles s'il survient un accident de travail. Metron semblait avoir mis en place un programme de santé et sécurité au travail à tout le moins partiellement opérationnel au moment de l'accident. Or, les employeurs doivent aller plus loin : ils seraient avisés d'effectuer un examen approfondi de leurs programmes de santé et de sécurité au travail afin de repérer et de corriger, documentation à l'appui, toute lacune qui pourrait engager la responsabilité de l'organisation.
[1] R. v. Vadim Kazenelson, 2016 ONSC 25 (CanLII) au para. 45. (PDF - disponible en anglais seulement)
[2] R. v. Vadim Kazenelson, 2015 ONSC 3639 (CanLII) (PDF - disponible en anglais seulement)
[3] R. v. Metron Construction Corporation, 2012 ONCJ 506 (CanLII) (PDF - disponible en anglais seulement)
[4] R. v. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541 (CanLII) (PDF - disponible en anglais seulement)