Il existe parfois une certaine incertitude entourant le processus d'évaluation d'un salarié en période d'essai. Un employeur peut-il faire appel à des critères d'évaluation subjectifs pour évaluer un salarié en période d'essai ou alors doit-il s'en tenir à des critères purement objectifs? Selon l'arbitre Nathalie Faucher dans l'affaire Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, section locale 301) et Montréal (Ville de), 2016 QCTA 151 (PDF), un employeur peut valablement s'en remettre à des critères subjectifs.
Les faits
La plaignante a été embauchée par la Ville à titre de jardinière. À ce titre, elle était notamment appelée à effectuer la préparation des plates-bandes, à procéder à la plantation des végétaux et à effectuer la taille des végétaux. La plaignante était assujettie à une période d'essai de 520 heures de travail.
Au cours de cette période d'essai, la Ville a mis fin à l'emploi de la plaignante, notamment pour les motifs qu'elle avait peu d'initiative et qu'elle faisait preuve d'un manque flagrant d'enthousiasme et de motivation, de tels manquements lui ayant d'ailleurs valu un échec lors d'une évaluation durant ladite période d'essai.
Le syndicat a contesté la fin d'emploi de la plaignante alléguant que la décision de l'employeur était abusive et contraire aux exigences de la bonne foi notamment en ce qu'elle était fondée sur des motifs subjectifs et arbitraires.
La décision
D'emblée, l'arbitre rappelle que toute période d'essai est une période au cours de laquelle un nouveau salarié doit démontrer à son employeur non seulement qu'il répond aux exigences du poste pour lequel il a été embauché, mais également qu'il cadre bien avec son environnement de travail ainsi qu'avec sa nouvelle équipe de travail.
L'arbitre note que le manque d'enthousiasme et de motivation relève principalement d'une évaluation subjective. Toutefois, cela n'est pas automatiquement synonyme d'arbitraire ni d'abus de droit. En effet, de tels manquements peuvent s'observer dans la façon dont l'employé en question travaille ou alors dans la façon dont il se comporte avec son équipe de travail. Aux yeux de l'arbitre, ces critères ne sont pas nécessairement aussi tangibles que l'échec à un test, mais il s'agit tout de même d'éléments pouvant être observés et évalués par un gestionnaire. Ce faisant, l'employeur pouvait valablement faire appel à ces critères dans le cadre de l'évaluation de la salariée.
L'arbitre rappelle ensuite que tout employeur doit donner une véritable chance à un salarié en période d'essai de se faire valoir et de démontrer sa capacité à répondre aux exigences du poste. De plus, sans être dans l'obligation de faire des mises en garde formelles, un employeur doit à tout le moins indiquer au salarié en période d'essai qu'il ne satisfait pas à certains aspects de son travail et lui indiquer précisément lesquels.
Or, en l'espèce, les attentes de l'employeur avaient été communiquées à la salariée et cette dernière avait été avisée qu'elle ne répondait pas aux attentes. Quoique ces lacunes auraient pu être communiquées de façon plus claire à la salariée, il n'en demeure pas moins que celle-ci ne pouvait prétendre qu'elle ignorait tout de l'insatisfaction de l'employeur.
Finalement, l'arbitre conclut que quoique les reproches n'auraient pas justifié le congédiement d'un employé permanent, le processus suivi par l'employeur ne relève pas d'un abus des droits de direction de l'employeur. En conséquence, l'arbitre rejette le grief et confirme le congédiement.
À retenir pour les employeurs
Cette décision est d'intérêt pour tout employeur en ce qu'elle rappelle d'une part qu'on ne peut exiger d'un employeur qu'il applique rigoureusement les critères applicables en matière de congédiement pour incompétence d'un employé permanent ou régulier à un salarié en probation. Ce n'est que si l'employeur prend une décision en l'absence de toute preuve ou sur la base d'une perception complètement erronée qu'il y aura exercice déraisonnable des droits de direction et que le congédiement sera susceptible d'être annulé.
D'autre part, l'arbitre souligne à grands traits qu'un employeur peut utiliser des critères d'évaluation dits subjectifs, et ce, sans automatiquement faire preuve d'abus de droit dans le cadre d'évaluation d'employés en période d'essai. Toutefois, l'analyse d'éléments subjectifs doit être fondée sur des observations véritables et vérifiables, et ne doit pas être uniquement fondée sur des perceptions ou des opinions non confirmées. En bref, l'utilisation de critères subjectifs n'est pas automatiquement synonyme de processus arbitraire.
Ceci étant dit, tout employeur devrait mettre sur pied une procédure d'évaluation structurée, que ce soit pour ses employés en période d'essai ou pour ses employés permanents, laquelle comprend des critères d'évaluation de performance sur lesquels des éléments tangibles peuvent être observés, et ce, même s'il s'agit, entre autres, d'éléments subjectifs.