Le 17 novembre 2016, la Cour supérieure du Québec (la « Cour ») a rendu un jugement déclarant qu'en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »), les municipalités ne peuvent réclamer les taxes foncières impayées par la débitrice de l'acquéreur suite à l'émission d'une ordonnance de dévolution.[1]
La décision
Société ferroviaire et portuaire de Pointe-Noire s.e.c. et l'Administration Portuaire de Sept-Îles (les « Acquéreurs ») ont acquis des terrains (les « Immeubles ») situés dans la Ville de Sept-Îles (la « Ville »), lesquels furent la propriété des entités Bloom Lake et Wabush (ensembles, « Bloom Lake »). Bloom Lake avait entamé un processus de liquidation sous la LACC depuis mai 2015, et la vente des Immeubles à SFPN et APSI (les "Ventes") a été effectuée suite à un processus de sollicitation. Les Ventes ont été autorisées par la Cour et ont fait l'objet d'ordonnances de dévolution standards (les "Ordonnances"). Au moment des Ventes, la réclamation de la Ville pour taxes impayées s'élevait à environ 9,2M$ (les « Taxes Pré-Vente »).
Suite à la conclusion des Ventes, les Acquéreurs ont soumis une demande de lotissement auprès de la Ville visant leurs Immeubles respectifs. Toutefois, la Ville a refusé de traiter ces demandes, prenant la position que son Règlement de lotissement l'empêchait de subdiviser les Immeubles tant que les Taxes Pré-Vente n'étaient pas entièrement payées.
La Ville a également pris la position que les Acquéreurs étaient des « acquéreurs subséquents » au sens de l'article 498 de la Loi sur les cités et villes (« LCV »), lequel énonce ce qui suit :
498. Les taxes municipales imposées sur un immeuble peuvent être réclamées aussi bien du locataire, de l'occupant ou autre possesseur de cet immeuble que du propriétaire, de même que de tout acquéreur subséquent de cet immeuble, lors même que tel locataire, occupant, possesseur ou acquéreur n'est pas inscrit sur le rôle d'évaluation.
Dans le cas d'une taxe imposée sur une société à raison des affaires de cette société, la taxe peut être réclamée et recouvrée en entier de tout membre de cette société.
Les Acquéreurs ont demandé à la Cour de rendre un jugement déclarant qu'ils ne sont pas responsables, à quelque titre que ce soit, des Taxes Pré-Vente, considérant que (i) cette réclamation a été purgée par les Ordonnances; et que (ii) le recours prévu à l'article 498 LCV permettrait à la Ville de bénéficier d'une préférence vis-à-vis les autres créanciers, contraire à l'ordre de collocation trouvant application dans un contexte d'insolvabilité.
L'honorable Stephen W. Hamilton, j.c.s. a accordé les demandes des Acquéreurs. Dans son analyse, la Cour énonce que les Ordonnances étaient suffisamment larges pour les Taxes Pré-Vente. En effet, ces Ordonnances prévoient que les Immeubles sont dévolus libres de tout « droit », « priorité », « charge », « taxe », « restriction sur transfert de titre » et « Encumbrance ».
Dans un tel contexte, la Cour a également rappelé que l'objectif des Ordonnances était de permettre à la débitrice de vendre ses actifs au meilleur prix possible . Or, tel qu'énoncé dans l'arrêt Château d'Amos, il est manifeste qu'un acheteur réduira son prix de vente s'il est tenu d'acquitter les arrérages de taxes, privant d'autant la masse des créanciers.
Quant à la réclamation de la Ville contre les Acquéreurs en tant qu' « acquéreurs subséquents » en vertu de l'article 498 LCV, la Cour a retenu que cette disposition est inapplicable contre les acquéreurs subséquents dans un contexte de LACC. La Cour applique ainsi au contexte de la LACC les enseignements de l'arrêt de la Cour d'appel dans Château d'Amos ltée (Syndic de) ([1999] RJQ 2612), où la Cour avait conclu que l'article 498 LCV était inapplicable dans un contexte de faillite sous l'égide de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (« LFI »). La Cour a également conclu que l'adoption par le législateur de l'article 2654.1 C.c.Q., suite à l'arrêt Château d'Amos, ne peut interférer avec le pouvoir de la Cour prévu à l'article 36(6) LACC. L'adoption de l'article 2654.1 C.c.Q. permet toutefois à la Ville de reporter sa réclamation pour les Taxes Pré-Vente sur le produit de vente des Immeubles, conformément aux Ordonnances.
Il s'agit d'une décision importante en droit de l'insolvabilité en ce qu'elle vient étendre l'application de l'arrêt Château d'Amos au contexte de LACC. La décision vient également reconnaître qu'une ordonnance de dévolution peut effectivement affranchir un bien du recours personnel d'une municipalité contre l'acquéreur subséquent relativement à des taxes municipales impayées par une débitrice insolvable.
Fasken Martineau a conseillé l'Administration Portuaire de Sept-Îles, avec une équipe comprenant Luc Morin et Nicolas Mancini.
[1] Bloom Lake, g.p.l. (Arrangement relatif à), 2016 QCCS 5620, 17 nov. 2016 (le juge Hamilton). (PDF)