Suite à l'arrêt Ledcor Construction Ltd. c Northbridge Indemnity Insurance Co., 2016 CSC 37, la Cour suprême du Canada s'est à nouveau penchée sur l'interprétation des contrats type d'assurance dans l’affaire Sabean c Portage La Prairie Mutual Insurance Co., 2017 CSC 7 rendue le 27 janvier 2017.
La décision unanime porte sur les dispositions de l'avenant SEF 44 (l’« Avenant »), utilisé en Nouvelle-Écosse à titre de police d'assurance complémentaire à l’assurance automobile. L’Avenant permet à la victime d’un accident assurée d’être indemnisée dans le cas où l’auteur du préjudice serait sous-assuré et incapable de payer au complet les dommages-intérêts. Ainsi, dans le cas où la victime d'un accident automobile ne peut être indemnisée par la personne responsable de l'accident, la couverture de l'Avenant permettra de combler le manque à gagner.
Cependant, l'Avenant prévoit que les prestations futures obtenues en vertu d’une police d’assurance stipulant une indemnité d’invalidité doivent être déduites afin de déterminer le montant payable par l’assureur. La question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si le Régime de pensions du Canada (« RPC ») constitue une « police d’assurance » à cette fin.
Se fondant sur sa connaissance spécialisée en matière de droit des assurances, l'assureur a soutenu que le RPC constituait une « police d'assurance ». Sur la base de cette interprétation, l’assureur a soutenu qu’il pouvait déduire les prestations RPC du montant qu'il devait à l'assuré, tel que prévu à l'Avenant.
La Cour suprême a refusé de se prêter à un exercice d’interprétation élaboré de l'Avenant, indiquant qu'en l'absence de toute ambiguïté, le contrat type d’assurance devait être interprété selon le sens ordinaire des mots utilisés et de la manière dont ils seraient compris par une personne ordinaire qui fait une demande de police d’assurance. En effet, une telle personne ordinaire comprendrait qu’une « police d’assurance » s’entend d’un contrat d’assurance privé facultatif et non d’un régime obligatoire établi par la loi tel que le RPC.
En l'absence de toute ambiguïté, l'analyse et l’interprétation des contrats types d’assurance doit uniquement se fonder sur le sens ordinaire des mots qui y sont utilisés
Contrairement à son analyse dans Ledcor, décision dans laquelle l'intention des parties avait été retenue et analysée, la Cour suprême ne voyait pas dans Sabean le besoin d'aller au-delà du sens ordinaire des termes du contrat type d’assurance:
[13] À la première étape de l’analyse relative aux contrats types d’assurance, les mots utilisés doivent être interprétés selon leur sens ordinaire, « de la manière dont ils seraient compris par la personne ordinaire qui fait une demande d’assurance et non de la manière dont ils pourraient être perçus par des personnes versées dans les subtilités du droit des assurances » (…)
La Cour a retenu le sens qu’une personne ordinaire lisant le contrat type d’assurance donnerait au terme « police d'assurance »:
[26] L’emploi du mot [TRADUCTION] « police » (c. à d. « police d’assurance responsabilité civile automobile ») aux par. (v) et (ix) de la clause 4(b) indique clairement qu’il s’agit d’un contrat d’assurance privé. (…) Le contrat aurait pu inclure à la clause 4(b)(vii) les prestations d’invalidité du RPC prévues par la loi; il précisait des montants prévus par la loi dans plusieurs autres sources énumérées. Si le contrat avait prévu la déduction de ces montants, une personne ordinaire aurait su exactement ce que sa demande d’assurance visait, ainsi que la protection conférée ou non par le paiement des primes dans le cadre de l’avenant.
Du point de vue d’une personne ordinaire, les sept juges de la Cour suprême n'avaient aucun doute quant au sens ordinaire des mots:
[28] À mon avis, le sens ordinaire de l’expression « police d’assurance » se limite aux contrats d’assurance privés conclus entre un assuré et un assureur privé. Du point de vue d’une personne ordinaire, les prestations prévues par un régime obligatoire établi par la loi ne constitueraient pas un contrat d’assurance privé.
L'interprétation raisonnable de l'assureur n’est pas retenue
Se fondant sur sa connaissance spécialisée de la jurisprudence, l'assureur a présenté une autre interprétation raisonnable, laquelle se fondait sur une description du RPC qui avait été retenue précédemment par la Cour suprême. En revanche, la Cour suprême n'a pas retenu cette interprétation en rappelant que les mots utilisés doivent être interprétés selon leur sens ordinaire et de la manière dont ils seraient compris par une personne ordinaire qui fait une demande d’assurance:
[35] Premièrement, on aurait tort de se fonder sur l’arrêt Gill pour illustrer le fait que les compagnies d’assurance ont modifié leurs polices eu égard à ce jugement et qu’elles avaient donc l’intention d’inclure les prestations du RPC. On ne peut présumer qu’une personne ordinaire qui présente une demande en vue d’obtenir une telle police de garantie complémentaire comprendrait les mots de l’avenant au sens que leur donnent les tribunaux aux fins de l’application des lois provinciales en matière d’assurance et de la règle des prestations parallèles en matière délictuelle. Dans ce contexte, l’acheteur ne possède pas une connaissance spécialisée de la jurisprudence pertinente ou des objectifs des assureurs. Par conséquent, l’historique de l’avenant et l’intention des assureurs lors de sa rédaction suivant l’arrêt Gill ne sont pas utiles à l’interprétation de ce contrat.
L'interprétation d'une loi est différente de l'interprétation d'un contrat type d’assurance, lequel doit être lu et examiné selon ce qui devait être compris par un assuré ordinaire :
[37] (…) Lorsqu’elle interprète une loi, la cour se demande quelle était l’intention du législateur. Pour interpréter une police d’assurance type, la Cour doit examiner le sens ordinaire du contrat, tel qu’il serait compris par un assuré ordinaire.
L'interprétation alternative, si raisonnable soit-elle, n'a pas pour effet de créer de l'ambiguïté à l’égard d’un libellé qui était tout à fait clair par ailleurs :
[42] Le texte clair de la disposition, compte tenu du contrat dans son ensemble, n’est pas ambigu. Il n’y a pas [TRADUCTION] « deux interprétations raisonnables, mais divergentes de la police » : (…) La simple expression d’une interprétation différente n’établit pas toujours le caractère raisonnable de cette interprétation et ne crée pas nécessairement d’ambiguïté.
Ainsi, la Cour suprême a décidé que les prestations reçues en vertu du RPC ne sont pas des prestations d'invalidité au titre d’une « police d’assurance » et qu’elles ne sont pas, par conséquent, déductibles des montants payables par l’assureur en application de l’Avenant.