Le régime d’arbitrage international de l’Ontario a été refondu en profondeur. Le 22 mars 2017, le projet de loi 27, Loi de 2017 sur l’allègement du fardeau réglementaire, a reçu la sanction royale.[1] L’annexe 5 du projet de loi porte sur les modifications apportées à la Loi sur l’arbitrage commercial international de l’Ontario (l’« ancienne loi »), lesquelles abrogent la loi de 1990 pour la remplacer par la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international (la « loi de 2017 »).[2] Les modifications ont été sanctionnées avec application immédiate[3] et s’inscrivent « dans une initiative gouvernementale qui vise à alléger le fardeau réglementaire des entreprises et à faire réaliser des économies au gouvernement ».[4] Quel « allègement » la loi de 2017 a-t-elle apporté aux participants au régime provincial d’arbitrage commercial international? Les modifications sont nombreuses et importantes, allant notamment de l’harmonisation des délais de prescription dans les diverses lois jusqu’à l’application directe du droit arbitral international dans la province. La loi de 2017 a également pour objectif de préciser les règles d’intervention des tribunaux en matière d’arbitrage commercial international.
Au nombre des faits saillants de la loi de 2017, qui s’applique à tous les arbitrages commerciaux internationaux dont le lieu d’arbitrage est l’Ontario, il y a les suivants :
- Possibilité pour les parties d’adhérer au régime d’arbitrage international en Ontario en convenant expressément que l’objet de la convention d’arbitrage se rapporte à plus d’un pays;
- Certitude concernant l’accessibilité et la portée des mesures provisoires et concernant leur mode d’exécution;
- Mise à jour des conventions d’arbitrage, qui doivent toujours revêtir la forme écrite, mais la définition de « convention écrite » a été modernisée afin d’inclure des modes de communication actuels;
- Harmonisation des délais de prescription relatifs à l’exécution de sentences arbitrales avec ceux se rapportant aux sentences arbitrales nationales;
- La loi redresse également un vice touchant l’ancienne loi en incluant dans le régime d’arbitrage international en Ontario la Convention de New York.
Les modifications apportent la clarté et instaurent un régime modernisé en Ontario en tant que lieu d’arbitrage international. La loi de 2017 constitue une étape supplémentaire dans un continuum d’efforts déployés par les provinces canadiennes en vue de faire du Canada un meilleur « lieu sûr »[5] pour l’arbitrage commercial international.
Mise en œuvre du régime d’arbitrage de la CNUDCI : convention d’arbitrage et mesures provisoires
L’annexe 5 a abrogé dans son intégralité la Loi de 1990 sur l’arbitrage commercial international[6] de l’Ontario, y compris son annexe portant sur la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (1985).[7] La loi de 2017 intègre tous les changements apportés par la modification de la Loi type de 1985 le 7 juillet 2006.[8]
La Loi type de 2006 a été conçue afin de tenir compte de l’évolution des pratiques contractuelles internationales concernant les conventions d’arbitrage. Tout en préservant la forme traditionnelle sur support écrit des conventions d’arbitrage, la Loi type a rajouté une nouvelle disposition qui répute qu’une convention d’arbitrage se présente par écrit « si son contenu est consigné sous une forme quelconque, que la convention elle-même ou le contrat aient ou non été conclus verbalement, du fait d’un comportement ou par d’autres moyens ».[9] L’exigence de la forme écrite est respectée, par exemple, si la convention est conclue par messagerie électronique (courriel)[10] ou « si elle est consignée dans un échange de conclusions en demande et en réponse dans lequel l’existence d’une telle convention est alléguée par une partie et n’est pas contestée par l’autre ».[11]
La Loi type de 2006 a également mis sur pied un régime exhaustif de mesures provisoires applicables à l’arbitrage commercial international. Les tribunaux d’arbitrage se sont vus accorder des pouvoirs à l’instar des tribunaux judiciaires d’ordonner des mesures provisoires, pourvu que le préjudice ne puisse être réparé de façon adéquate par l’octroi de dommages-intérêts dans les circonstances, qu’un plus grand préjudice résulterait dans l’ensemble pour la partie qui demande la mesure de réparation que si la mesure n’était pas ordonnée et que la position de la partie demanderesse soit bien fondée et ait des chances raisonnables d’obtenir gain de cause sur le fond.[12] Ce critère est conforme à celui énoncé par la Cour suprême du Canada en matière de recours interlocutoires.[13]
La Loi type sur l’arbitrage commercial international en sa version modifiée le 7 juillet 2006 est jointe à la loi de 2017 en annexe 2 et il est expressément prévu qu’il s’agit de la loi de l’Ontario applicable « aux conventions d’arbitrage commercial international et aux sentences arbitrales rendues à leur égard, peu importe qu’elles soient antérieures ou postérieures à l’entrée en vigueur de la présente loi ».[14]
Précision et harmonisation des délais de prescription
Un autre nouvel aspect important est l’harmonisation, dans la loi de 2017, des délais de prescription prévus par la loi en ce qui a trait à l’exécution des sentences arbitrales nationales (lesquels délais sont régis par la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario), des délais de prescription prévus par la Loi de 2002 sur la prescription des actions, et ceux fixés en vue de l’exécution des sentences arbitrales dans la loi de 2017. La loi de 2017 prévoit que les délais de prescription applicables à l’exécution de sentences rendues en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage (laquelle est modifiée par la loi de 2017) et de sentences rendues en vertu de la loi de 2017 s’appliquent au lieu des délais de prescription prévus dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions.
La loi de 2017 accorde à une partie 10 ans pour faire exécuter une sentence arbitrale nationale ou internationale. Le délai de 10 ans commence à compter de la date à laquelle la sentence a été communiquée ou, si une requête en annulation de la sentence a été présentée, de la date à laquelle la requête a été réglée de façon définitive.[15] Ceci revêt de l’importance non seulement pour les sentences internationales, mais également pour les sentences nationales, qui étaient assujetties à un régime d’exécution assorti d’une date butoir de deux ans en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage.[16]
Règles internationales relatives à l’exécution directement applicables en Ontario
La loi de 2017 a apporté un autre changement fondamental. Elle prévoit, en effet, l’application directe dans la province de la source faisant véritablement autorité en matière de droit encadrant l’arbitrage commercial international applicable à la reconnaissance et à l’exécution de sentences arbitrales internationales, soit la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères adoptée par la CNUDCI à New York le 10 juin 1958 (connue comme la « Convention de New York »).
La Convention est jointe à la loi de 2017 en annexe 1 et la loi prévoit qu’elle « a force de loi en Ontario à l’égard des sentences arbitrales ou des conventions d’arbitrage relatives à des différends découlant de rapports commerciaux de droit ».[17] Elle s’applique « aux sentences arbitrales et aux conventions d’arbitrage, qu’elles soient antérieures ou postérieures à l’entrée en vigueur de la présente loi ».[18]
La Cour supérieure de justice, soit le tribunal désigné en vertu de la loi de 2017, a le pouvoir d’appliquer la Convention directement en droit ontarien en vue de « la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales aux termes de la Convention ». Ceci pourrait être perçu comme un fait nouveau dans la démarche préconisée par la common law, selon laquelle, traditionnellement, le droit international n’a pas d’application directe.
Cette intégration des normes de droit international est à saluer et était attendue de longue date par les membres du Barreau exerçant dans le domaine de l’arbitrage, car elle apporte certitude et clarté au régime ontarien d’exécution de sentences arbitrales internationales.
Conclusion
La loi de 2017 fait une mise à niveau importante du régime d’arbitrage de l’Ontario. Toutes les provinces canadiennes passent en revue leurs lois en matière d’arbitrage international et décident d’adopter (ou non) le modèle proposé et approuvé par la Conférence sur l’uniformisation des lois au Canada. L’objectif recherché a été de mettre à jour les dispositions de celles-ci et de les arrimer aux modifications apportées en 2006 à la Loi type de la CNUDCI, étant donné que les lois provinciales étaient fondées sur l’ancienne version de la Loi type de 1985. Par sa promulgation d’une nouvelle loi en matière d’arbitrage international, l’Ontario s’est hissé à l’avant-plan de l’amélioration de son régime d’arbitrage. Les parties qui désignent dans leurs conventions la ville de Toronto ou d’autres lieux d’arbitrage en Ontario auront l’assurance que leurs arbitrages seront régis par une loi qui respecte les pratiques exemplaires à l’échelle internationale. Il est rappelé aux participants à un arbitrage international d’adopter des règles d’arbitrage convenables en plus de désigner un territoire propice, par exemple l’Ontario, comme lieu d’arbitrage dans leurs conventions d’arbitrage, et ce, afin de tirer pleinement parti des avantages qu’offre l’arbitrage international.
[1] Loi visant à alléger le fardeau réglementaire des entreprises, à édicter diverses lois et à modifier et abroger d’autres lois (« Loi de 2017 sur l’allègement du fardeau réglementaire »), L.O. 2017, c. 2.
[2] Loi de 2017 sur l’allègement du fardeau réglementaire, L.O. 2017, c. 2, ann. 5 [« Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international »], art. 17.
[3] Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, art. 16 :
« La loi figurant à la présente annexe [Annexe 5 de la Loi de 2017 sur l’allègement du fardeau réglementaire, L.O. 2017, c. 2] entre en vigueur le jour où la Loi de 2017 sur l’allègement du fardeau réglementaire reçoit la sanction royale [c.-à-d. le 22 mars 2017]. ».
[4] Note explicative relative au projet de loi 27, Loi de 2017 sur l’allègement du fardeau réglementaire, Assemblée législative de l’Ontario, 2e session, 41e législature, Ontario, 66 Elizabeth II, 2017, p. i, accessible en ligne à l’adresse <www.ontla.on.ca/bills/bills-files/41_Parliament/Session2/b027ra_f.pdf>.
[5] Claude R. Thomson, c.r., FCI Arb., et Annie M.K. Finn, « International Commercial Arbitration: A Canadian Perspective », (2002) 18:2 Arbitration International 205 à la p. 205; accessible en ligne (en anglais seulement) : <www.fasken.com/files/Publication/ffbb09b8-3486-4ef9-a0df-814fabd2f9da/Presentation/PublicationAttachment/1cfd2145-1af0-4b90-897a-f3290c7cf99a/International_Commercial_Arbitration_Finn.pdf >.
[6] Loi sur l’arbitrage commercial international, L.R.O. 1990, c. I-9.
[7] Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, art. 15.
[8] CNUDCI, Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international 1985, avec les amendements adoptés en 2006 (Nations Unies, Vienne, 2008); accessible en ligne à l’adresse : <http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/arbitration/ml-arb/07-86999_Ebook.pdf >.
[9] Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, telle que modifiée le 7 juillet 2006, Article 7(3) - annexe 2 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international.
[10] Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, telle que modifiée le 7 juillet 2006, Article 7(4) - annexe 2 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international.
[11] Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, telle que modifiée le 7 juillet 2006, Article 7(5) - annexe 2 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international.
[12] Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, telle que modifiée le 7 juillet 2006, Article 17A(1) - annexe 2 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international.
[13] RJR Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.
[14] Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, par. 5(1), 5(3) [les italiques sont les nôtres].
[15] Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, art. 10, 13.
[16] Le paragraphe 52(3) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, que la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international a abrogé, autorisait un requérant à présenter une demande d’exécution d’une sentence rendue en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la sentence a été communiquée au requérant. À son tour, la nouvelle loi – par. 14(1) de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international – a également abrogé une disposition de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B, al. 16(1)d), qui prévoyait qu’aucun délai de prescription ne s’appliquait à une instance visant à faire exécuter une sentence dans un arbitrage auquel s’appliquait la Loi de 1991 sur l’arbitrage.
[17] Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, par. 2(1).
[18] Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, par. 2(2) [les italiques sont les nôtres].