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Peut-on suspendre un employé faisant l’objet d’accusations criminelles?

Fasken
Temps de lecture 5 minutes
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Bulletin Travail, emploi et droits de la personne

Vous apprenez que l'un de vos employés fait l'objet d'accusations criminelles importantes qui semblent être liées à son travail. Pouvez-vous suspendre cet employé? Une décision arbitrale récente[1] fait le point sur les conditions devant être respectées pour pouvoir imposer une suspension administrative à un employé qui fait l'objet d'accusations criminelles.

Les faits

L'employeur a lu dans un article de journal que l'un de ses techniciens de systèmes informatiques était accusé de leurre par Internet d'une jeune de moins de 14 ans aux fins de contacts sexuels. L'article ne précisait pas le nom de l'employeur. Néanmoins, l'employeur a suspendu l'employé sur-le-champ, et ce, sans solde.

Après le dépôt des accusations, l'employé a été mis en liberté sous conditions strictes. Il ne devait pas posséder d'ordinateur ni de téléphone cellulaire et devait annuler son abonnement à Internet. Peu après sa suspension, le tribunal a modifié les conditions de mise en liberté. Il a été permis à l'employé d'utiliser Internet dans le cadre de son emploi et dans l'établissement de son employeur et après avoir informé son employeur des accusations portées contre lui.

Le syndicat a déposé un grief dans lequel il s'opposait à la suspension ou, à tout le moins, dans l'éventualité où l'employeur avait droit de suspendre l'employé, au fait que cette suspension était sans solde.

Décision

En se référant à une décision antérieure de la Cour suprême[2], l'arbitre a réitéré que les conditions suivantes doivent être remplies afin de suspendre administrativement un employé faisant l'objet d'accusations criminelles :

  1. la suspension doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'entreprise;
  2. la bonne foi et le devoir d'agir équitablement doivent guider l'employeur dans sa décision d'imposer une suspension administrative;
  3. l'interruption provisoire doit être prévue pour une durée relativement courte;
  4. la suspension est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels.

L'arbitre a reconnu que les chefs d'accusation portés contre l'employé étaient graves.  Toutefois, selon lui, les employeurs doivent envisager la prise de mesures autres que la suspension - par exemple, la réaffectation de l'employé ou la modification de ses tâches - qui protégeraient les intérêts commerciaux de l'employeur et minimiseraient les difficultés pour l'employé.

L'arbitre a conclu qu'il n'y aurait pas eu d'incidence sur les intérêts commerciaux de l'employeur si l'employé était demeuré à l'emploi pendant le déroulement de son procès. Le nom de l'employeur n'a jamais paru dans les journaux et l'employé aurait pu continuer à travailler auprès de son employeur si ce dernier avait simplement modifié certaines de ses tâches. Par conséquent, l'arbitre a conclu que l'employeur avait injustement suspendu l'employé.

Leçons à retenir

Cette décision est intéressante parce qu'elle aborde la question de savoir si un employeur peut suspendre un employé faisant l'objet d'accusations criminelles. La plupart des décisions à cet égard sont axées sur la question de savoir si la suspension devrait être rémunérée. La présente décision nous rappelle que les employeurs doivent évaluer dans un premier temps si la suspension est en soi une mesure appropriée. Avant de suspendre un employé, que ce soit avec ou sans solde, l'employeur devra donc démontrer qu'il a considéré d'autres mesures qui permettraient de maintenir la personne à l'emploi pendant son procès tout en évitant de compromettre les intérêts commerciaux légitimes de l'entreprise.


 

[1] Syndicat des employés et employées de soutien de l'Université de Sherbrooke (SEESUS), SCPF Local 7498 et Université de Sherbrooke (grief syndical), 2018 QCTA 374.

[2] Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la Vie, [2004] 3 RCS 195.