Le 8 mai dernier, la Cour d'appel du Québec a rendu un important jugement en matière d'obligation de renseignement des fabricants pharmaceutiques [1].
Les faits
Les appelants ont entrepris une action collective contre Abbott Laboratories Limited (« Abbott ») relativement à son antibiotique sous ordonnance Biaxin®, cherchant à faire sanctionner un manquement à l'obligation de renseignement d'Abbott à titre de fabricant pharmaceutique relativement aux effets secondaires de nature neuropsychiatrique du Biaxin®.
Les fondements juridiques du recours
Les appelants ont fondé l'action collective sur deux assises juridiques, la responsabilité contractuelle pour les vices cachés en application de l'article 53 de la Loi sur la protection du consommateur (la « Lpc ») ainsi que sur la responsabilité extracontractuelle du fabricant en matière de défaut de sécurité d'un bien en application des articles 1468, 1469 et 1473 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).
Les motifs
Dans un premier temps, la Cour analyse et rejette le recours entrepris sous l'article 53 Lpc. La Cour considère que, dépendamment du contexte, un pharmacien peut agir comme un commerçant au sens de la Lpc, mais que, dans le contexte précis de la vente de médicaments sur ordonnance, la Lpc ne trouve pas application. Ceci est parce que la vente de médicaments sous ordonnance fait intervenir, d'une part, le jugement professionnel du médecin, lequel prescrit un médicament qu'il juge requis pour la santé de son patient et, d'autre part, le jugement professionnel d'un pharmacien, lequel évalue et assure l'usage approprié du médicament. Ainsi, la Cour considère que le pharmacien qui vend des médicaments sous ordonnance à un patient n'entre pas dans la définition de commerçant au sens de la Lpc.
Dans un second temps, la Cour rejette l'argument soulevé par les appelants sous le régime extracontractuel des articles 1468, 1469 et 1473 C.c.Q voulant qu'Abbott n'ait pas informé adéquatement les usagers du Biaxin® des risques d'effets secondaires de nature neuropsychiatrique.
Pour obtenir gain de cause sous le régime extracontractuel portant sur le défaut de sécurité des biens, les appelants devaient démontrer par une preuve prépondérante :
- que le bien comporte un risque,
- qu'il ont subi un préjudice, et
- qu'il existe un lien de causalité entre les points 1 et 2, c'est-à-dire que le préjudice constitue la matérialisation concrète du risque.
Si les appelants réussissent à faire cette démonstration, il y a présomption de responsabilité du fabricant. Le fabricant peut toutefois s'exonérer en démontrant avoir satisfait à son obligation d'information en transmettant des informations adéquates sur les risques du Biaxin®.
D'entrée de jeu, le juge statue que l'analyse de la causalité doit se faire de façon individuelle et non collective. En effet, dans un dossier portant sur l'utilisation d'un médicament, la causalité se qualifie comme étant la preuve prépondérante de la matérialisation du risque d'un effet secondaire particulier du médicament. En l'espèce, puisqu'il y avait absence de preuve de capacité du médicament de causer les effets neuropsychiatriques, seule une étude individuelle des dossiers médicaux des membres aurait permis d'écarter d'autres causes possibles des effets neuropsychiatriques subis.
Après avoir statué que, selon la preuve, Abbott se devait d'informer les usagers du Biaxin® des effets secondaires graves de nature neuropsychiatrique, la Cour reconnait que le fabricant s'est déchargé de son fardeau d'information. En effet, par ce jugement la Cour reconnait, au sujet de l'obligation de renseignement, que la règle de l'intermédiaire compétent trouve application au Québec dans le contexte particulier de l'acquisition de médicaments sur ordonnance, puisque l'intervention d'intermédiaires compétents, soit le médecin ou le pharmacien, est incontournable. Cette règle veut que le fabricant d'un médicament sur ordonnance se décharge de son obligation d'information envers les usagers s'il met en garde adéquatement les intermédiaires compétents, lesquels doivent ensuite transmettre l'information jugée pertinente à l'usager. En l'espèce, les effets secondaires de nature neuropsychiatrique étaient inclus dans la section « Effets secondaires » de la Partie I de la monographie.
Dans une monographie, la Partie I est destinée aux professionnels de la santé et la Partie III aux consommateurs. La section « Mises en garde et précautions » de la Partie I doit indiquer « des renseignements sur tous les effets graves pouvant mettre en péril la santé du patient »[2]. L'information sera incluse dans cette section lorsqu'il existe un consensus scientifique quant à la probabilité que le médicament puisse provoquer l'effet secondaire. La décision d'inclure l'information est prise par le fabricant en conjonction et avec l'approbation de Santé Canada. Seules des informations de la section « Mises en garde et précautions » se retrouveront dans la Partie III.
En l'espèce, la capacité du médicament de causer des effets secondaires de nature neuropsychiatrique n'a pu être établie malgré de rigoureuses évaluations pendant presque trente ans. De plus, la prévalence de tels effets est très faible. Abbott était donc justifiée d'inclure ces effets secondaires dans la section « Effets secondaires » de la Partie I des monographies successives du Biaxin®, au lieu de la section « Mises en garde et précautions » de la même partie. En effet, le seuil à atteindre pour l'inclusion dans la section « Effets secondaires » est moins élevé, puisqu'on y retrouve les effets qui se sont produits seulement en concomitance avec la prise du médicament. Le but de cette section est principalement d'informer les médecins qu'il pourrait possiblement y avoir une certaine relation entre ces effets et le médicament.
Ainsi, la Cour conclut qu'en incluant les effets secondaires de nature neuropsychiatrique dans la section « Effets secondaires » de la partie I des monographies successives du Biaxin® qu'Abbott s'est convenablement acquittée de son obligation d'information.
Conclusion
Cet arrêt fournit un exemple concret des règles de droit québécois appliquées au devoir d'information incombant aux fabricants pharmaceutiques. Notamment cette décision statute que la Lpc ne trouve pas application dans le contexte de la vente de médicaments sous ordonnance par un pharmacien, elle explique la répartition des informations devant se retrouver dans les différentes sections de la Partie I de la monographie d'un médicament et
elle incorpore formellement la doctrine de l'intermédiaire compétent en droit québécois.
[1] Brousseau c. Abbott Laboratories Limited, 2019 QCCA 801.
[2] Ministre des Travaux publics et services gouvernementaux Canada, « Ligne directrice à l'intention de l'industrie – Monographies de produit », document approuvé par le ministre de la Santé (22 septembre 2003), en ligne : Gouvernement du Canada .