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Quand la vidéo dévoile tout : l'importance cruciale de l'intégrité et l'authenticité des éléments de preuves

Fasken
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Espace RH

Dans une décision récente[], le Tribunal d’arbitrage a conclu que des enregistrements de vidéosurveillance et des rapports informatiques étaient recevables en preuve. Ces éléments de preuve démontraient le vol de temps d’un salarié justifiant un congédiement.

Le contexte

En novembre 2018, un salarié syndiqué, qui avait occupé divers postes au sein de l’entreprise exploitée par l’employeur (ci-après l'« Employeur ») depuis 2005, était en poste en tant que concierge de résidence sur le quart de soir. Afin de garantir la sécurité des lieux et des résidents, une caméra de surveillance avait été installée, couvrant le hall d'entrée et la réception de la résidence. Cette caméra s'activait automatiquement en cas de mouvement et s'arrêtait après trois (3) minutes d'inactivité. Par ailleurs, la réception était équipée d'un ordinateur dont l'écran, situé derrière le comptoir, échappait au champ de vision de la caméra.

Le 27 novembre 2018, le salarié fut convoqué par l'Employeur et confronté à certaines situations jugées préoccupantes concernant la gestion de son temps de travail, dont plusieurs avaient été captées par la caméra. Essentiellement, les images montraient le salarié passer une quantité substantielle de temps à l’ordinateur de la réception. En réponse, le salarié tenta de minimiser les faits et de se justifier en affirmant qu'il s'occupait alors de ses « tâches liées à la sécurité » de la résidence.

Face à cette attitude de déni, l'Employeur prit la décision, le 29 novembre 2018, de congédier le salarié pour vols de temps.

La décision

En pareilles circonstances, le fardeau de l’Employeur se décline en deux (2) étapes :

  1. Prouver les faits qui ont été invoqués au soutien de la mesure disciplinaire contestée;
  2. Convaincre le Tribunal d’arbitrage que la mesure disciplinaire est raisonnable dans les circonstances.

En conséquence, les enregistrements vidéo et les rapports informatiques concernant l'utilisation de l'ordinateur de la réception constituaient des éléments de preuve déterminants dans la preuve de l’Employeur. Le Syndicat s’opposait donc à l’admissibilité de cette preuve.

L’admissibilité en preuve des vidéos et des rapports informatiques

Malgré l’opposition syndicale, l’arbitre tranche en faveur de leur admissibilité et fonde sa décision sur les éléments suivants.

Tout d’abord, le Tribunal d’arbitrage estime que les vidéos et les rapports informatiques ne portaient pas atteinte aux droits fondamentaux du salarié, notamment en ce qui concerne le respect de sa vie privée et des conditions de travail justes et raisonnables. En effet, les vidéos montraient le salarié à la réception des résidences pendant ses heures de travail, tandis que les rapports informatiques indiquaient le temps qu'il passait à naviguer sur Internet à des fins personnelles, sans pour autant recueillir des informations de nature confidentielle à partir des sites internet ou outils de recherche consultés par celui-ci.

Par ailleurs, le Tribunal d’arbitrage souligne que ce n'est pas l’admission des vidéos et des rapports informatiques en preuve qui pourrait porter atteinte à l’administration de la justice, mais plutôt leur rejet.

Le Syndicat contestait également l’authenticité et l’intégrité des vidéos présentés à l’audience, faisant valoir que celles-ci n’étaient pas directement captées par la caméra, mais provenaient d’un téléphone cellulaire filmant un écran d’ordinateur sur lequel les vidéos captées étaient projetées. Le Tribunal d’arbitrage, en conformité avec les principes applicables[], rappelle que les documents technologiques doivent être accompagnés de métadonnées permettant de vérifier que l’information n’a pas été altérée et qu’elle est maintenue dans son intégralité. Une preuve traditionnelle de leur authenticité est nécessaire.

En l'espèce, l’arbitre a conclu que l'authenticité des vidéos avait été établie par le témoignage de la personne ayant filmé l’ordinateur. Ce témoignage a permis de confirmer les modalités de confection des vidéos, et l'arbitre a jugé que ces vidéos étaient claires et non altérées. Par conséquent, les vidéos et le rapport informatique ont été déclarés admissibles en preuve.

Démonstration des fautes et raisonnabilité de la mesure

Le croisement des images des vidéos démontrant les longues périodes passées par le salarié à l’ordinateur de la réception et des rapports informatiques présentés pour les mêmes journées révèlent que le salarié a passé de nombreuses heures à naviguer sur Internet depuis l’ordinateur de la réception alors qu’il devait normalement offrir sa prestation de travail.

Ultimement, conformément aux enseignements de la Cour suprême[] en matière de comportement malhonnête, l'arbitre a examiné le contexte des inconduites et a constaté que le salarié, qui jouissait d'une grande autonomie, avait abusé de cette confiance en travaillant moins d'heures que prévu. Ainsi, malgré que le principe de la progression des sanctions n’ait pas été suivi, comme le salarié n’a montré aucun regret ni la volonté d'amender sa conduite, l'arbitre a conclu que la mesure disciplinaire imposée par le Collège, bien que sévère, n'était pas déraisonnable compte tenu des circonstances.

Ce qu’il faut retenir

Outre le rappel que, dans certaines circonstances, le vol de temps peut constituer un motif légitime de congédiement en raison de la rupture du lien de confiance entre l'employeur et le salarié fautif, cette affaire rappelle qu’un employeur peut, selon les circonstances, être habilité à utiliser des enregistrements vidéos et des rapports informatiques en preuve et souligne l'importance cruciale de maintenir et d'assurer l'intégrité et l'authenticité d'un document technologique, tel qu'une preuve vidéo.

Dans la présente affaire, l’arbitre a jugé que la preuve d'authenticité des vidéos, établie par le témoignage de la personne ayant confectionné ces vidéos, était suffisamment convaincante. Les vidéos, étant claires et permettant d’identifier le salarié, n’avaient pas été altérées de manière significative, justifiant ainsi leur admission en preuve.

Ceci dit, il est important de rappeler qu’un certain courant jurisprudentiel du Tribunal d’arbitrage tend à accueillir les objections syndicales sur l’admissibilité d’une preuve vidéo lorsque l'employeur ne peut produire une d’éléments convaincants permettant de corroborer l'intégrité des preuves.

En conséquence, bien qu'une preuve vidéo puisse être extrêmement pertinente et probante, notamment pour démontrer la faute imputée à un salarié, il est impératif que les employeurs veillent à maintenir et garantir l'intégrité ainsi que l'authenticité de tels documents technologiques. Ceci est essentiel non seulement pour maximiser les chances d'admissibilité de ces éléments de preuve, mais aussi pour qu'ils aient une valeur probante adéquate.

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Auteur

  • Janouk Charbonneau, Avocat | Travail, emploi et droits de la personne, Montréal, QC, +1 514 397 7514, [email protected]

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