Les rebondissements ont été nombreux depuis le mercredi 2 avril, le « jour de la libération », qui a fait l’objet de notre mise à jour précédente.
La plus grande nouvelle est sans doute la volte-face chaotique concernant les tarifs douaniers mondiaux qui a eu lieu une semaine plus tard, le mercredi 9 avril. En effet, le président Trump a instauré une pause de 90 jours pour les tarifs douaniers mondiaux du « jour de la libération » à peine quelques heures après leur entrée en vigueur. La pause de 90 jours a néanmoins concrétisé un tarif de base (quasiment) mondial de 10 % sur les marchandises importées. Les tarifs sectoriels ont été maintenus et les tarifs sur les importations chinoises ont été portés à 145 %.
Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a annoncé que le Mexique et le Canada seraient assujettis au seuil de 10 %, mais le statu quo a été rétabli dans l’heure qui a suivi cette annonce. Ainsi, le Canada et le Mexique continueront d’être assujettis à des droits de douane de seulement 25 % sur l’acier et l’aluminium, sur certaines pièces automobiles et sur les marchandises non conformes à l’ACEUM jusqu’à ce que l’administration Trump confirme les menaces tarifaires ciblant d’autres secteurs, y compris les produits pharmaceutiques et le bois d’œuvre.
Dans ce bulletin Canada–Administration Trump 2.0, Alex Steinhouse, de l’équipe Relations gouvernementales et droit politique de Fasken, examine de plus près ce qui s’est passé à Washington au cours de la dernière semaine.
L’art de faire marche arrière (ou presque)
Mercredi, le président Donald Trump a suspendu les nouveaux droits de douane (article en anglais) sur les importations en provenance de la plupart des partenaires commerciaux des États-Unis, les ramenant à 10 % pendant 90 jours afin de permettre la tenue des négociations commerciales (article en anglais) avec ces pays. Il a annoncé ce changement de politique sur Truth Social quelques heures après l’assujettissement des marchandises de près de 90 pays aux soi-disant tarifs douaniers réciproques.
Howard Lutnick, secrétaire au Commerce, et Scott Bessent, secrétaire au Trésor, se sont attribué le mérite de la pause partielle. Ils auraient coécrit cette publication sur Truth Social avec le président depuis la Maison-Blanche, à la suite de la semaine tumultueuse sur les marchés mondiaux et des efforts considérables de lobbyisme de la part de chefs d’entreprises et de grandes banques.
Le Wall Street Journal rapporte que M. Bessent a en fait persuadé le président, dimanche, de faire une pause pour négocier avec ses partenaires commerciaux. Pourquoi l’annonce n’a-t-elle été faite que mercredi? Difficile à savoir.
Le président a également déclaré qu’il augmentait les tarifs douaniers sur les produits chinois à 125 % « dès maintenant », après que la Chine eut annoncé qu’elle augmenterait ses tarifs douaniers sur les importations américaines à 84 % et qu’elle ne reculerait pas dans cette guerre commerciale. Puis, jeudi, la Maison-Blanche a précisé que le président avait en fait porté les droits de douane sur les produits chinois à un total de 145 % depuis son arrivée au pouvoir. La réaction (article en anglais) de M. Bessent a été « Et alors? » lorsqu’il a été informé de la riposte chinoise.
Vendredi, la Chine a annoncé qu’elle porterait ses droits de douane de rétorsion sur les produits américains à 125 % à compter de samedi, mais qu’elle « ne continuerait pas d’égaler les augmentations de tarifs des États-Unis, car les importations américaines ne sont déjà plus commercialisables aux niveaux actuels ». Pékin a déclaré que si les États-Unis continuaient d’imposer des tarifs douaniers supplémentaires sur les produits chinois, la Chine n’en tiendrait pas compte. « Même si les États-Unis continuent d’imposer des droits de douane plus élevés, ils seraient inutiles sur le plan économique et deviendraient une plaisanterie dans l’histoire de l’économie mondiale », a soutenu Pékin.
Plus tard le mercredi de l’annonce sur Truth Social, de la Maison-Blanche, le président Trump a expliqué sa décision de prendre du recul : « Eh bien, je pense que les gens ont sauté au plafond un peu trop vite [...]. Ils commençaient à angoisser, à avoir un peu peur. » Le président a également exprimé son inquiétude face à la chute du marché des obligations du Trésor américain mardi soir : « J’ai vu hier soir que les gens commençaient à être un peu nerveux. » Il a poursuivi en disant qu’il avait laissé mijoter l’idée de suspendre les tarifs au cours des derniers jours, mais qu’il « s’était décidé tôt [mercredi] matin, assez tôt [ce matin-là] ». « Il faut être flexible », a-t-il ajouté.
Avant la publication sur Truth Social, des hauts placés de l’administration Trump avaient contesté les préoccupations relatives à la stratégie tarifaire, dont le représentant américain au Commerce Jamieson Greer, qui a eu la tâche ingrate de défendre la stratégie en direct (article en anglais) devant une commission de la Chambre des représentants. Puis, au bout de 20 minutes, la pause partielle a été portée à son attention. M. Greer a dit qu’il n’avait pas été informé du changement de stratégie avant l’annonce, mais qu’il savait que cette option était envisagée. Fait intéressant pour l’auditoire canadien, lors de son temps de parole, M. Greer a défendu l’ACEUM, affirmant que cet accord protège toujours les trois pays contre de nombreux tarifs.
Le président Trump a reconnu en privé (article en anglais) que son plan d’imposition de tarifs douaniers pourrait « pousser l’économie américaine en récession, mais [qu’il] voulait éviter une dépression ».
Mettons toutefois la pause en contexte : le taux effectif des droits de douane sur les importations mondiales aux États-Unis a néanmoins augmenté, selon une analyse, de 21 points de pourcentage depuis janvier (article en anglais) (les droits de douane sur les biens chinois étaient alors de 125 %). Selon Bloomberg, le taux tarifaire américain moyen est passé de 27 % à 24 % après l’annonce initiale de M. Trump mercredi. L’industrie continuera d’être confrontée à la même volatilité (article en anglais) qui a d’abord entraîné la déstabilisation du marché. Ces constats, et la part de plus en plus disproportionnée de la hausse qui pèse sur la Chine, ont une fois de plus affecté les marchés jeudi.
L’ancien vice-président de M. Trump, Mike Pence, s’est dit soulagé de la pause partielle, mais il s’inquiète (article en anglais) du sort des républicains aux élections de mi-mandat si les droits de douane mondiaux de 10 % et les droits de douane sectoriels demeurent inchangés. Selon le New York Times, l’annonce de mercredi a calmé les républicains, mais ceux-ci ont tout de même de sérieux doutes quant à la viabilité politique de l’approche commerciale de M. Trump.
Prochaines étapes
Au cours des 90 prochains jours, plusieurs pays tenteront de convaincre l’administration Trump d’abandonner les tarifs ou de les réduire le plus possible. Ce processus a déjà commencé sérieusement la semaine dernière; mardi soir, lors d’un discours devant les membres républicains du Congrès, le président Trump s’est vanté (article en anglais) : « Ces pays nous appellent, me lèchent les bottes. Ils meurent d’envie de conclure une entente. “S’il vous plaît, s’il vous plaît, monsieur, entendons-nous. Je ferais n’importe quoi. Je ferai n’importe quoi, monsieur.” » Le président Trump s’est encore vanté mercredi que plus de 75 pays ont communiqué avec son administration pour discuter de leurs nouveaux tarifs.
Kevin Hassett, directeur du Conseil économique national, en établissant une distinction entre les contacts et les négociations actives, a mentionné tôt jeudi matin que l’administration Trump « a déjà reçu des offres de la part de plus de 15 pays en vue d’accords commerciaux ». L’administration étudie ces offres et « décide de celles qui sont suffisamment bonnes pour être présentées au président », a-t-il lancé à l’émission Fox & Friends. Il a refusé de dire quels pays avaient fait des offres.
Plus tard, jeudi, sur les ondes de CNBC, M. Hassett a laissé entendre que l’administration était sur le point de conclure près de 20 accords potentiels. « Il y a un grand nombre d’offres qui sont près de la ligne d’arrivée [...]. Il y a un tas d’offres qui sont vraiment sensées, et elles proviennent de nos principaux partenaires commerciaux. Ce sont vraiment des progrès remarquables en matière de négociations commerciales, probablement les plus importants que nous n’ayons jamais vus [...]. Je pense que ce système mis en place par le président montre que nous prenons les négociations et la réciprocité au sérieux, a poursuivi l’économiste de la Maison-Blanche. Si vous descendez, nous descendrons aussi. »
L’Union européenne a d’ailleurs suspendu ses tarifs de rétorsion de 23 milliards de dollars sur les marchandises américaines pendant la pause de 90 jours, qui venaient juste d’être approuvés mercredi, pour « donner une chance aux négociations », comme l’a déclaré jeudi Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. « Si les négociations ne sont pas satisfaisantes, nos contre-mesures entreront en vigueur. Les travaux préparatoires sur de nouvelles contre-mesures se poursuivent. Comme je l’ai déjà dit, toutes les options restent sur la table. »
Maroš Šefčovič, commissaire au Commerce de l’Union européenne, rencontrera (article en anglais) des représentants américains à Washington lundi. L’UE « est prête à trouver des solutions qui plairont aux deux côtés et à conclure des accords mutuellement bénéfiques avec [ses] homologues américains pour éviter les droits de douane et toute escalade préjudiciable », a déclaré un porte-parole de l’UE vendredi.
D’autres pays, dont Taïwan, l’Inde, le Japon, le Royaume-Uni, l’Australie et le Vietnam, travailleraient (article en anglais) avec les États-Unis pour éviter ou réduire les tarifs douaniers. Certains auraient même proposé de laisser tomber tous les tarifs sur les produits américains. Israël (dans une tentative de dernière minute juste avant le « jour de la libération ») et le Zimbabwe ont déjà annoncé (article en anglais) la suspension de tous les droits de douane sur les produits américains.
Toutefois, Kevin Hassett a confirmé sur les ondes de CNBC que le tarif de base universel de 10 % devrait demeurer en place à long terme. « Il faudrait un accord particulièrement extraordinaire pour descendre plus bas que ça », a-t-il affirmé.
Deux justifications d’experts
Dans notre mise à jour de la semaine dernière, nous avons disséqué les raisons pour lesquelles, en dépit de ce que le président Trump avait soutenu le « jour de la libération » dans la roseraie, les tarifs douaniers mondiaux « réciproques » n’étaient pas réellement réciproques.
Dans le même ordre d’idées, le professeur Pau Pujolas de l’Université McMaster a fait les manchettes cette semaine après avoir été cité dans un discours prononcé lundi par Stephen Miran, un grand défenseur du plan commercial global de l’administration Trump, dans le but de justifier le « jour de la libération ».
M. Miran, qui préside le Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche, a mentionné (article en anglais) dans des remarques adressées à un groupe de réflexion conservateur que les États-Unis étaient « bien placés pour tirer profit de négociations ou de différends commerciaux » compte tenu de leur déséquilibre commercial avec la Chine. Pour étayer sa position, il a cité un article de 2024 corédigé par le professeur Pujolas et Jack Rossbach : « En présence d’importants déficits commerciaux, des tarifs optimaux sont plus élevés. »
Selon M. Pujolas, cette affirmation est « techniquement exacte », mais elle ne dit pas tout. « Oui, si les droits de douane sont soigneusement conçus et ciblés, les États-Unis peuvent, en théorie, améliorer leur position. Mais les types de droits de douane utilisés actuellement ne correspondent pas à ce que notre modèle décrit [...]. Nous n’avons pas rédigé cet article pour encourager un pays, surtout les États-Unis, à entamer une guerre commerciale. C’était loin d’être notre intention. »
M. Pujolas a soutenu que ses recherches avaient révélé que des tarifs appliqués différemment par les États-Unis en 2018 – c.-à-d. en ciblant les bons secteurs, dans de bonnes proportions – auraient pu contribuer un peu à leur bien-être économique. « Mais même dans ce cas, ces gains auraient été au détriment de la Chine, a-t-il continué. L’effet global aurait été négatif pour le monde. »
La conclusion de l’article était que les deux pays s’en tireraient mieux avec le libre-échange. « Nous constatons que la meilleure solution consiste à abaisser complètement les droits de douane, a confirmé M. Pujolas. Le monde entier y gagne. »
En outre, Rachel Maddow, animatrice à MSNBC, a avancé que le président Trump « a eu l’idée » de son plan de droits de douane internationaux lors de sa campagne présidentielle de 2016, après la diffusion d’une « note de service forgée de toutes pièces, rédigée par une personne fictive et envoyée à l’aide d’une fausse adresse électronique » qui affirmait que le président pourrait « utiliser les droits de douane pour gagner ».
La note en question aurait été rédigée par Ron Vara, qui n’est pas une vraie personne. Peter Navarro, le principal conseiller commercial de la Maison-Blanche, a en fait inventé l’économiste « Ron Vara » et l’a régulièrement cité dans six de ses livres, dont Death by China. Mme Maddow a fait remarquer que Ron Vara est une anagramme du nom Navarro.
Cette nouvelle intervient au cours d’une semaine où Elon Musk a lancé une campagne sur les réseaux sociaux contre M. Navarro, le traitant de « véritable crétin » et du « crayon le moins aiguisé de la boîte » à la suite des commentaires de M. Navarro sur les pratiques de fabrication de Tesla. M. Musk a assené un coup fatal en déclarant ceci : « Navarro devrait demander au faux expert qu’il a inventé, Ron Vara ». La réponse de la Maison-Blanche dans tout ça? L’attachée de presse Karoline Leavitt a reconnu que MM. Musk et Navarro sont « deux personnes qui ont des points de vue très différents sur le commerce et les droits de douane », mais que « les garçons sont comme ça, on ne les changera pas, nous les laisserons poursuivre leur duel publiquement ».
L’ambassadeur des États-Unis à Ottawa est confirmé par le Sénat
Peter Hoekstra a été confirmé en tant qu’ambassadeur au Canada par le Sénat, par 60 voix contre 37. On ne sait pas encore quand il prendra ses nouvelles fonctions. M. Hoekstra, qui a représenté le Michigan pendant longtemps au Congrès et a été l’ambassadeur aux Pays-Bas durant l’administration Trump 1.0, remplace l’ambassadeur de M. Biden, David Cohen. Lors d’une audience de confirmation du Sénat le mois dernier, M. Hoekstra a reconnu que « le Canada est un État souverain », en réponse à des questions sur la menace de Trump d’en faire un 51ᵉ État.
Réponse du Canada
Dans l’état actuel des choses, le Canada et la Chine semblent être les seuls à riposter aux tarifs douaniers américains.
C’est pourquoi Steve Verheul, ancien négociateur commercial en chef du Canada pour l’ACEUM et membre actuel du Conseil du premier ministre sur les relations canado-américaines, a fait remarquer (article en anglais) dans son allocution au Sommet sur le progrès de l’Institut Broadbent, qu’Ottawa pourrait être seul dans sa lutte contre les droits de douane de M. Trump. « Les représailles peuvent être un outil utile, et il est malheureux que la plupart des autres pays n’aient pas vu les choses de cette façon. » Il a ajouté : « S’il y avait eu une réponse plus coordonnée de la part de pays du monde entier, nous aurions pu voir cette situation disparaître encore plus rapidement. » Il a toutefois précisé que si, à l’issue de la pause de 90 jours, les droits de douane « réciproques » étaient réimposés, d’autres pays pourraient alors décider de prendre des mesures de rétorsion.
Dans ce contexte, le premier ministre Mark Carney a interrompu sa campagne pour la troisième fois ce vendredi, afin de convoquer une nouvelle réunion du Comité du Cabinet chargé des relations canado-américaines et de la sécurité nationale.
La veille, le premier ministre avait déclaré, en campagne électorale, que la pause du président Trump était « un répit bienvenu pour l’économie mondiale », mais que « les répercussions d’autres tarifs et la menace de futurs tarifs se font déjà sentir partout dans le monde et ici, au pays [...]. Les enjeux pour notre économie n’ont donc jamais été aussi importants ».
M. Carney a réitéré, en anglais, que, lors de sa conversation avec le président, ils avaient convenu d’entamer des négociations sur un nouvel accord commercial et de sécurité « immédiatement après les élections » si les libéraux restaient au pouvoir : « Nous veillerons à ce que ces négociations soient constructives pendant que nous nous tenons debout avec nos travailleurs, protégeons nos travailleurs et bâtissons notre économie. »
Ce jeudi-là, le premier ministre s’était également entretenu avec la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, pour discuter des droits de douane et souligner « l’importance de la collaboration pour resserrer les liens commerciaux et promouvoir la sécurité économique des populations des deux côtés de l’Atlantique ».