Le 20 septembre 2012, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « Cour ») a accueilli une demande d’un actionnaire visant à faire nommer un président indépendant de l’assemblée annuelle des actionnaires de Western Wind (la « Société »). La demande en question avait été déposée dans le cadre d’une course aux procurations hautement contestée qui avait pour but de remplacer le conseil d’administration de la Société. Dans le cadre de sa défense, la Société avait intenté des procédures judiciaires contre l’actionnaire dissident, lesquelles ont été éventuellement abandonnées ou rejetées. La situation était rendue encore plus complexe par le fait que le président du conseil d’administration, qui aurait eu droit de présider l’assemblée en vertu des statuts de la Société, était également un membre de la haute direction qui relevait du président-directeur général de la Société. Compte tenu de ces circonstances, la Cour a déterminé que le fait de permettre au président du conseil d’administration de présider l’assemblée suscitait une « [TRADUCTION] crainte raisonnable relativement au bon déroulement de l’assemblée ».
Les faits
En juillet 2012, Western Wind a annoncé que son conseil d’administration avait décidé de vendre la Société. À la suite de cette annonce, Savitr Capital (« Savitr »), en tant qu’actionnaire dissident, a annoncé qu’il soumettait la candidature de cinq personnes pour remplacer les membres existants du conseil d’administration et superviser le processus de vente de la Société. C’est ainsi qu’une course aux procurations fut lancée pour prendre le contrôle du conseil d’administration.
Dans le cadre des procédures, l’actionnaire dissident a allégué que la Société, dirigée par son président-directeur général, avait mené une campagne acharnée et hostile. Cette campagne comprenait notamment le dépôt de requêtes aux États-Unis et au Canada ayant pour but de faire disqualifier les procurations de l’actionnaire dissident en raison de l’utilisation par ce dernier du logo de la Société dans des documents visant à solliciter des procurations en sa faveur (une telle utilisation constituerait une violation présumée des droits de propriété industrielle et commerciale de la Société).
La requête de Savitr visant la nomination d’un président indépendant avait été déposée en réponse à la requête de Western Wind. Savitr a signalé que l’impartialité du président de l’assemblée annuelle des actionnaires était mise en cause en raison de certains éléments de la structure organisationnelle de la Société. L’actionnaire dissident a notamment souligné que le président de l’assemblée était également le premier vice-président du développement des affaires de la Société, lequel relevait du président-directeur général.
L’arrêt de la Cour suprême
En citant l’arrêt qu’elle avait rendu dans l’affaire Re MTC Electronic Technologies Co., la Cour a affirmé qu’il n’est pas suffisant de suggérer que le président de l’assemblée agit par intérêt personnel en raison du fait que le conseil d’administration peut être remplacé par suite d’élections, et que le président peut ainsi perdre sa place au conseil. La Cour a souligné que si c’était le cas, aucun membre d’un conseil d’administration ne pourrait présider une assemblée annuelle des actionnaires, puisqu’il existe toujours la possibilité que, durant de telles assemblées, de nouveaux membres soient élus au conseil et viennent remplacer les membres existants de ce dernier.
Cependant, la Cour a également cité l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Blair c. Consolidated Enfield Corp., en soulignant que le président d’une assemblée a certaines obligations d'équité sur le plan administratif et doit donc agir dans les meilleurs intérêts de la société. La Cour a établi que dans les cas où une société est avisée d’avance du déroulement controversé d’une assemblée, ou si elle a raison d’anticiper un tel déroulement, il serait bien fondé d’envisager la nomination d’un président indépendant.
Finalement, la Cour a déterminé que les événements ayant précédé l’assemblée et la relation entre le président-directeur général de la Société et le président de l’assemblée faisaient en sorte qu’il aurait été inapproprié pour ce dernier de présider l’assemblée annuelle des actionnaires.
Conclusion
Bien que la Cour ait tranché en faveur de l’actionnaire dissident, l’arrêt rendu dans l’affaire Western Wind concorde avec bon nombre de jugements où les tribunaux se montrent peu enclin à ordonner la nomination d’un président indépendant sur fondement de conflit d’intérêts découlant du fait que le président de l’assemblée se porterait également candidat à la réélection du conseil d’administration. Pratiquement toutes les assemblées annuelles peuvent présenter un tel conflit et, selon les tribunaux, ce dernier n’est pas suffisamment important pour empêcher le président d’exercer ses fonctions de manière objective. De façon générale, les tribunaux ont ordonné la nomination d’un président indépendant dans les situations présentant un conflit d’intérêts considérable, et celles où les preuves de partialité faisaient en sorte qu’une telle nomination était nécessaire pour préserver l’image d’équité.
Malgré la réticence des tribunaux à intervenir, il arrive souvent qu’un actionnaire dissident demande qu’une société nomme un président indépendant dans le cadre d’une course aux procurations. Bien que la société ne soit pas obligée de le faire, celle-ci peut donner suite à une telle demande (si ses statuts le permettent), bien souvent en établissant avec l’actionnaire dissident un protocole régissant le déroulement de l’assemblée.
Dans les dernières années, Fasken Martineau a joué un rôle clé dans bon nombre de courses aux procurations et de situations d’actionnaires activistes hautement médiatisées, y compris la course aux procurations contre Chemin de fer Canadien Pacifique.