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La Cour suprême du Canada conclut que le recours à l’autoredressement constitue un abus de procédure

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Affaires autochtones

Le 9 mai 2013, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Behn c. Moulton Contracting Ltd., 2013 CSC 26, où elle conclut que le recours à des mesures d’autoredressement comme des barrages constitue un abus de procédure. La Cour a également déterminé que l’obligation de consultation est due aux groupes autochtones, mais qu’elle ne peut être invoquée que par des individus ayant l’autorisation de la collectivité.

Contexte

En 2006, Moulton Contracting Ltd. (« Moulton »), une petite société forestière, s’est vu accorder par la province deux permis de vente de bois (des « PVB ») et un permis autorisant la construction d’une route au sein d’un territoire visé par le Traité no 8. Moulton allègue que lorsqu’elle a tenté de déployer son équipement pour récolter du bois en vertu des PVB, son accès au territoire était bloqué par les défendeurs individuels (les « défendeurs Behn »). Les défendeurs Behn sont des membres de la famille Behn et, à une exception près, sont également membres de la Première Nation de Fort Nelson (la « PNFN »), un signataire du Traité no 8.

Puisque Moulton ne pouvait pas récolter du bois en vertu de ses PVB, elle a poursuivi les défendeurs Behn en dommages-intérêts pour entrave volontaire à des relations contractuelles et complot pour entrave volontaire à des relations contractuelles. Moulton réclamait également des dommages-intérêts à la PNFN, à son chef et à la province. Les défendeurs Behn ont fait valoir qu’ils ne pouvaient être tenus responsables d’avoir empêché Moulton de récolter du bois puisque le gouvernement provincial avait omis de les consulter avant d’accorder les PVB et le permis routier et que les PVB portaient atteinte à leurs droits en vertu du Traité no 8. Les défendeurs Behn alléguaient ainsi qu’en raison du défaut de consultation adéquate et de l’atteinte aux droits issus du traité, les autorisations provinciales étaient invalides.

Décisions des instances inférieures

Moulton a demandé la radiation des moyens de défense des défendeurs Behn portant sur le défaut de consultation adéquate et l’atteinte aux droits issus des traités, en invoquant que les moyens de défense soulevés constituaient une attaque indirecte contre les autorisations. Ces doléances auraient dû être traitées par les moyens juridiques appropriés, comme une demande de contrôle judiciaire, au moment où les autorisations ont été accordées. La province a appuyé la requête de Moulton en faisant valoir que le droit à la consultation et les droits issus des traités constituent des droits collectifs, et que les défendeurs Behn n’avaient pas la qualité pour les faire valoir, surtout étant donné que la PNFN n’était que partie aux procédures et n’avait pas elle-même soulevé ces défenses.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique (2010 BCSC 506, en anglais seulement) et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (2011 BCCA 311, en anglais seulement) ont toutes deux donné raison à Moulton et radié ces moyens de défense, concluant que la validité des autorisations aurait dû être contestée par les moyens juridiques appropriés plutôt que par le « recours à l’autoredressement ». Autant la Cour suprême de la Colombie-Britannique que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont conclu que les défendeurs Behn n’avaient pas la qualité pour soulever les défenses fondées sur les droits issus des traités et le droit à la consultation, puisqu’il s’agit de droits collectifs qui ne peuvent être invoqués que par un représentant dûment autorisé de la nation. Rien ne prouvait que la PNFN avait conféré aux défendeurs Behn l’autorité de soulever ces réclamations collectives.

Décision de la Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada s’est ralliée aux décisions des instances inférieures et a rejeté l’appel. La Cour a conclu que les défendeurs Behn n’avaient pas la qualité pour soulever les moyens de défense et qu’en plus, le fait de permettre aux défendeurs Behn de les soulever revenait à un abus de procédure.

Qualité pour agir

La Cour a divisé cette question en deux aspects : à qui la Couronne doit-elle l’obligation de consultation, et les droits issus des traités peuvent-ils être invoqués à titre individuel par des membres du groupe autochtone?

La Cour a souligné que l’obligation de consultation existe pour la protection des droits collectifs des peuples autochtones et qu’elle est donc due au groupe autochtone titulaire des droits prévus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Cependant, un groupe autochtone peut autoriser un individu ou un organisme à le représenter en vue de faire valoir ces droits, mais en l’espèce, il n’y avait aucune allégation d’une autorisation de la PNFN, qui était plutôt une partie aux procédures et un intervenant devant la Cour suprême du Canada.

La Cour a refusé de se prononcer sur le second aspect lié aux droits issus des traités. Certains droits, bien qu’une collectivité autochtone en soit titulaire, sont néanmoins exercés par des membres à titre individuel. Ils possèdent donc des attributs à la fois collectifs et individuels, et il se peut fort bien que, lorsque les circonstances s’y prêtent, des membres d’une collectivité puissent invoquer à titre individuel des droits ancestraux ou issus de traités. La Cour a cependant refusé de se pencher davantage sur la question, étant donné sa décision sur l’abus de procédure.

Abus de procédure

La Cour a qualifié cette question de « question clé » dans le cadre de l’appel, et a conclu que le fait de soulever, comme moyens de défense aux termes de l’action délictuelle, un manquement à l’obligation de consultation et l’atteinte aux droits issus des traités constituait un abus de procédure. Ni la PNFN ni les défendeurs Benh n’ont tenté de quelque manière que ce soit, de contester en justice les autorisations au moment où la Couronne les a accordées. Les défendeurs Behn ont plutôt, sans aucun avertissement, érigé un camp qui bloquait l’accès de Moulton à ses sites d’exploitation forestière, ne laissant d’autre choix à cette dernière que de s’adresser aux tribunaux ou de renoncer à la possibilité de couper du bois, après avoir engagé des frais considérables pour entreprendre ses travaux. La Cour a déclaré :

[42] … Permettre aux Behn, à ce stade, de soulever une défense fondée sur leurs droits issus d’un traité et sur un manquement à l’obligation de consultation équivaudrait à tolérer le recours à l’autoredressement et déconsidérerait l’administration de la justice. En outre, on ferait ainsi fi de l’obligation mutuelle de bonne foi qui sous-tend l’obligation constitutionnelle de la Couronne de consulter les Premières Nations. La doctrine de l’abus de procédure s’applique, et les appelants ne peuvent invoquer en défense l’atteinte aux droits issus de traités et le manquement à l’obligation de consultation.

Chuck Willms et Bridget Gilbride ont représenté Moulton Contracting Ltd. dans le cadre de cette affaire.

Vous pouvez lire notre bulletin sur la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique rendue en avril 2010 et notre bulletin sur la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rendue en juillet 2011.

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Auteurs

  • Bridget Gilbride, Associée | Affaires juridiques relatives aux Autochtones, Vancouver, BC, +1 604 631 4891, bgilbride@fasken.com
  • Charles F. Willms, Avocat-conseil | Affaires juridiques relatives aux Autochtones, Vancouver, BC, +1 604 631 4789, cwillms@fasken.com

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