Est-ce qu'en vertu de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers (la « LCAPE »), le Canada a compétence pour inculper un ressortissant étranger pour une infraction à la LCAPE? Dans l'affaire Chowdhury v. H.M.Q. 2014 ONSC 2635, la Cour supérieure de justice de l'Ontario (la « Cour ») a conclu que le Canada n'avait pas compétence à l'égard d'un ressortissant étranger accusé d'avoir enfreint la LCAPE. Cette décision apporte des précisions importantes sur la compétence juridictionnelle accordée en vertu de la LCAPE, en particulier en ce qui concerne les sociétés multinationales et les personnes qu'elles emploient.
Faits saillants
Cette affaire met en cause l'ancien ministre de l'Intérieur et ministre d'État du Bangladesh, Abul Hasan Chowdhury, qui est accusé d'avoir exercé une influence sur le comité de sélection constitué relativement à un projet de pont, de façon à favoriser une entreprise canadienne, SNC Lavalin. M. Chowdhury est un citoyen et un résident du Bangladesh. ll n'est pas, et n'a jamais été, un citoyen ou un résident du Canada et rien n'indique qu'il ait déjà séjourné au Canada. M. Chowdhury n'est accusé d'aucun acte répréhensible commis au Canada.
De plus, la Couronne n'a toujours pas demandé de mandat d'arrêt contre M. Chowdhury, et aucun traité d'extradition n'a été signé entre le Bangladesh et le Canada. Rien ne laisse croire que le Canada ait demandé au Bangladesh que M. Chowdhury soit extradé afin de faire face à la justice au Canada.
Analyse de la compétence juridictionnelle
Le juge Nordheimer de la Cour supérieure de justice de l'Ontario a présenté une longue analyse des compétences juridictionnelles sur laquelle est fondée la conclusion de la Cour selon laquelle le Canada n'a pas actuellement compétence à l'égard de M.Chowdhury. La Cour a souligné qu'il y avait une distinction à faire entre le fait que le Canada étende sa compétence à une infraction (parce que les infractions ont un aspect extraterritorial) et le fait que le Canada étende sa compétence à une personne qui est à l'extérieur du territoire de compétence du Canada. Dans le contexte, la compétence en ce qui concerne l'infraction est régie par le critère bien connu du « lien réel et important » que la Cour suprême du Canada avait établi dans la décision qu'elle avait rendue dans l'affaire R. v. Libman [1985] 2 R.C.S. 178, alors que la compétence à l'égard d'une personne est régie par la loi en vertu de laquelle l'infraction est commise.
Dans la présente affaire, le fait que le Canada ait compétence à l'égard d'une infraction à la LCAPE n'est pas contesté. Une grande partie des actes qui constituent l'infraction alléguée ont eu lieu au Canada, l'enquête s'est déroulée au Canada et la plus grande partie des éléments de preuve ont été recueillis au Canada. De plus, la Cour a souligné qu'en vertu de la LCAPE, le Canada a un intérêt légitime à avoir compétence afin de poursuivre des personnes ayant participé à un stratagème international de versements de pots-de-vin qui a pris naissance au Canada.
La Couronne a fait valoir que dès que le Canada a compétence à l'égard de l'infraction, il a compétence relativement à toutes les parties à l'infraction. Le juge Nordheimer a indiqué son désaccord et a indiqué que la position de la Couronne confond la compétence à l'égard de l'infraction et la compétence à l'égard de la personne.
Par conséquent, la question sur laquelle le juge Nordheimer s'est penché était de savoir si la LCAPE étend expressément ou par déduction nécessaire la compétence du Canada aux ressortissants étrangers dont les agissements ont eu lieu à l'extérieur du Canada relativement à une infraction à l'égard de laquelle le Canada a dûment assumé la compétence.
En répondant à cette question par la négative, le juge Nordheimer a jugé que rien dans les dispositions de l'article 3 de la LCAPE n'assujetti expressément les ressortissants étrangers à la LCAPE, même si l'article 3 de la LCAPE interdit à quiconque de donner ou d'offrir, directement ou indirectement, à un agent public étranger un avantage de quelque nature que ce soit dans le but d'obtenir ou de conserver un avantage quelconque. Selon le juge Nordheimer, les ressortissants étrangers ne sont pas visés par le terme « quiconque ».
Principales leçons à retenir
L'analyse et la décision du juge Nordheimer est un rappel bienvenu que lorsque la compétence juridictionnelle est revendiquée à l'égard d'une infraction alléguée, un tribunal doit avoir compétence à l'égard de l'infraction et à l'égard de la personne accusée de l'infraction. En conséquence, les tribunaux canadiens n'ont pas automatiquement compétence à l'égard d'un ressortissant étranger du simple fait que le Canada a compétence à l'égard de l'infraction commise aux termes de la LCAPE. En d'autres termes, le simple fait que M. Chowdhury était partie à une infraction en vertu de la LCAPE ne suffisait pas pour que le Canada ait compétence à son égard tant que ce dernier n'est pas présent physiquement au Canada ou tant que le Bangladesh n'offre pas de l'extrader au Canada. Il faut souligner que le juge Nordheimer n'a pas exclu la possibilité que le Canada ait compétence ultérieurement s'il était en mesure de « mettre la main » sur M. Chowdhury.
Cette décision peut être rassurante pour les ressortissants étrangers du fait qu'elle établit que la compétence du Canada à l'égard d'une infraction à la LCAPE ne suffit pas à établir sa compétence juridictionnelle à l'égard de ces ressortissants. Toutefois, nous sommes d'avis que la question est loin d'être tranchée pour de bon. On s'attend à ce que le gouvernement du Canada fasse appel de cette décision ou qu'il tente de modifier à nouveau la LCAPE pour que sa portée juridique très large trouve des applications concrètes. Dans un cas comme dans l'autre, rien ne garantit que les tentatives du gouvernement du Canada seront fructueuses.