Le 24 novembre dernier, la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (la « Commission Charbonneau ») publiait son rapport final[1] (le « Rapport ») (PDF). Il contient 60 recommandations dans le but d'assainir l'octroi des contrats dans le secteur public. Parmi ces recommandations, certaines visent les règles applicables en matière de lobbyisme et pourraient avoir des répercussions sur la manière dont sont encadrées les activités de lobbyisme, ainsi que sur le projet de loi 56 : Loi sur la transparence en matière de lobbyisme[2] (« PL 56 »). Nous vous invitons à consulter notre bulletin « Le Projet de loi 56 ‑ La Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme devient la Loi sur la transparence en matière de lobbyisme » pour un résumé des principales dispositions du PL 56.
Ainsi, en matière de lobbyisme, la Commission Charbonneau propose principalement de :
- prolonger les délais de prescription applicables;
- fusionner les fonctions de Commissaire au lobbyisme du Québec (le « Commissaire au lobbyisme ») et de Commissaire à l'éthique et à la déontologie de l'Assemblée nationale (le « Commissaire à l'éthique »);
- rendre obligatoire pour certains titulaires d'une charge publique la communication de leurs activités au Commissaire au lobbyisme; et
- resserrer les règles relatives à l'après-mandat pour les titulaires d'une charge publique.
Prolonger les délais de prescription applicables
Le Commissaire au lobbyisme a régulièrement déploré le fait que le court délai de prescription qui lui est accordé par la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme[3] (la « Loi actuelle ») ne lui permet pas de mener ses enquêtes à terme à l'intérieur des délais impartis. Pour cette raison, un grand nombre d'infractions ou de manquements ne sont jamais sanctionnés. Dans son témoignage devant la Commission Charbonneau, le Commissaire au lobbyisme a affirmé : « Ce court délai explique que seuls 41 % des manquements constatés par le [Commissaire au lobbyisme] peuvent faire l'objet d'un droit de poursuite qui n'est pas prescrit »[4]. Le PL 56 et la Commission Charbonneau proposent donc de prolonger les délais de prescription applicables, de façon à permettre au Commissaire au lobbyisme de déposer un plus grand nombre de constats d'infraction. La Commission Charbonneau propose cependant des délais supérieurs à ce qui est prévu dans le PL 56.
Loi actuelle |
PL 56 |
Recommandations de la Commission Charbonneau |
1 an à partir de la date de l'infraction[5] |
3 ans à compter de la date de la perpétration de l'infraction[6] |
3 ans après la connaissance de l'infraction par le poursuivant, sans excéder 7 ans depuis sa perpétration[7] |
Fusionner les fonctions de Commissaire au lobbyisme et de Commissaire à l'éthique
La Commission Charbonneau déplore la fragmentation des différents organismes responsables de la surveillance et de l'application des règles en matière d'éthique et de lobbyisme. Selon elle, cette situation ne permettrait pas aux acteurs clés d'avoir une vue d'ensemble sur le respect de ces règles au sein des différentes institutions et de coordonner leur intervention :
Le [Commissaire à l'éthique] et le [Commissaire au lobbyisme] ont chacun le pouvoir de déclencher des enquêtes de leur propre initiative. En matière d'éthique municipale, toutefois, la [Commission municipale du Québec] ne peut agir que dans les cas où une plainte a été déposée au [ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire], puis lui a été transférée. Ainsi, même si elle peut être mise au courant de manquements potentiels aux obligations en matière d'éthique et de déontologie dans une municipalité, elle ne peut pas agir. La Commission constate que cette situation est insatisfaisante. Le respect des obligations en matière d'éthique et de déontologie dans les municipalités québécoises ne devrait pas dépendre de la réception d'une plainte officielle par le [ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire]. En outre, le processus de plainte ne permet pas l'anonymat ou la confidentialité. La plainte doit être « écrite, assermentée, motivée et accompagnée, s'il y a lieu, de tout document justificatif ». De plus, lorsqu'elle reçoit la plainte, la [Commission municipale du Québec] transmet l'identité du plaignant à la personne visée par sa plainte, ce qui peut décourager plusieurs dénonciateurs potentiels[8].
Pour faciliter la communication de l'information et permettre une vue d'ensemble des activités, la Commission Charbonneau recommande donc ce qui suit :
Recommandation 54 ‑ Fusionner les fonctions de Commissaire au lobbyisme et de Commissaire à l'éthique et en faire une instance qui disposerait de l'ensemble des pouvoirs actuellement confiés au Commissaire au lobbyisme et au Commissaire à l'éthique ainsi qu'à la [Commission municipale du Québec] et au [ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire] (en ce qui a trait à la réception des plaintes, à l'enquête et à la sanction)[9]. |
Rendre obligatoire pour les titulaires d'une charge publique la communication de leurs activités au Commissaire au lobbyisme
La Loi actuelle impose aux lobbyistes l'obligation d'inscrire leurs activités au registre des lobbyistes du Québec (le « Registre »). De leur côté, les titulaires d'une charge publique n'ont pas l'obligation de s'assurer de l'inscription des lobbyistes au Registre. Le PL 56 propose d'imposer de nouvelles obligations aux titulaires d'une charge publique, notamment celle de s'assurer que les lobbyistes qui les approchent soient dûment inscrits au Registre[10].
La Commission Charbonneau va plus loin :
Les ministres et les députés, ainsi que les membres de leur personnel, les personnes nommées à des organismes du gouvernement au sens de la Loi sur le vérificateur général devraient être tenus de déposer au Commissaire à l'éthique et au lobbyisme, trimestriellement, l'intégralité des informations relatives à leurs activités professionnelles se trouvant à leurs agendas[11].
La Commission Charbonneau recommande donc ce qui suit :
Recommandation 54.2 ‑ Modifier la Loi actuelle afin d'obliger les ministres et les députés, les membres de leur personnel, ainsi que les personnes nommées à des organismes nommés au sens de la Loi sur le vérificateur général à déposer l'intégralité des informations relatives à leurs activités professionnelles auprès du Commissaire à l'éthique et au lobbyisme[12]. |
À cet égard, la Commission Charbonneau s'inspire de l'initiative Pour un gouvernement transparent adoptée par le gouvernement du Québec, un portail Web sur lequel peuvent être consultés les agendas des membres du Conseil des ministres. Ainsi, depuis janvier dernier, les activités publiques des ministres ainsi que leurs rencontres avec des acteurs non gouvernementaux sont publiées dans les trois mois suivant la rencontre. Nous vous invitons à consulter notre bulletin « Diffusion des agendas des membres du Conseil des ministres » pour en savoir plus sur l'initiative Pour un gouvernement transparent. Cette mesure permet à la fois une plus grande transparence des activités des membres du Conseil des ministres et constitue une source d'information pertinente pour le Commissaire au lobbyisme qui peut ainsi valider l'inscription au Registre des lobbyistes rencontrés. Rappelons toutefois qu'il ne s'agit pas d'une mesure législative ou réglementaire; elle n'est donc pas contraignante. De plus, comme l'initiative Pour un gouvernement transparent ne vise que les membres du Conseil des ministres, la recommandation de la Commission Charbonneau élargirait considérablement la portée de cette initiative.
Resserrer les règles relatives à l'après-mandat pour les titulaires d'une charge publique
La Commission Charbonneau s'inquiète du passage des employés entre le secteur public et le secteur privé. Très souvent, l'ancien titulaire d'une charge publique détient des informations privilégiées et a développé des relations privilégiées avec d'anciens collègues. Pour cette raison, il se trouve dans une situation privilégiée lorsque vient le temps d'influencer la prise de décision d'anciens collègues fonctionnaires.
La Commission Charbonneau recommande donc ce qui suit :
Recommandation 55 ‑ Modifier les lois et les règlements pertinents afin d'interdire à tout employé qui est impliqué dans la gestion contractuelle d'un donneur d'ouvrage public d'accepter, dans l'année qui suit la cessation de ses fonctions, d'exercer une fonction ou un emploi au sein d'une entité du secteur privé avec laquelle il a eu des rapports officiels, directs et importants au cours de l'année qui a précédé la cessation de ses fonctions, sauf avec l'accord écrit du donneur d'ouvrage public; d'obliger un fonctionnaire, associé à la gestion contractuelle d'un donneur d'ouvrage public, d'informer par écrit son employeur des pourparlers qu'il entretient avec un fournisseur quant à son embauche possible par celui-ci[13]. |
État de situation sur le PL 56
Le Rapport tombe à point dans le contexte de la révision du cadre juridique applicable aux activités de lobbyisme. Rappelons que la Loi actuelle a été adoptée en 2003, et que le PL 56 a été déposé à l'Assemblée nationale en juin dernier afin de revoir en profondeur le cadre juridique actuel. Des audiences publiques en commission parlementaire sont d'ailleurs attendues au cours de la prochaine session parlementaire. Certaines des recommandations du Rapport pourraient avoir des répercussions sur le texte de la nouvelle mouture du cadre juridique québécois en matière de lobbyisme.
Par ailleurs, le ministre responsable de l'Accès à l'information et de la Réforme des institutions démocratiques, Jean-Marc Fournier, a demandé au commissaire par intérim, Jean Dussault, de réaliser une étude exhaustive sur l'assujettissement des organismes à but non lucratif au PL 56. Le ministre a indiqué qu'il attendrait ce rapport avant d'entamer les consultations publiques. L'étude du PL 56 devra donc attendre quelque temps.
[1] France Charbonneau, Renaud Lachance, Rapport final de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, novembre 2015.
[2] PL 56, Loi sur la transparence en matière de lobbyisme, 1re sess., 41e lég., 2015 (présenté le 12 juin 2015) (« PL 56 »).
[3] Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme, RLRQ c T-11.011.
[4] Rapport, supra note 1, Tome 1 à la p. 151.
[5] Code de procédure pénale, RLRQ c C-25.1, art. 14.
[6] PL 56, supra note 2, art. 116.
[7] Rapport, supra note 1, Tome 3 à la p. 150.
[8] Rapport, supra note 1, Tome 3 à la p. 178.
[9] Rapport, supra note 1, Tome 3 à la p. 180 (extrait de la recommandation 54).
[10] PL 56, supra note 2, art. 37.
[11] Rapport, supra note 1, Tome 3 à la p. 182.
[12] Rapport, supra note 1,Tome 3 à la p. 182 (extrait de la recommandation 54.2).
[13] Rapport, supra note 1, Tome 3 à la p. 185 (extrait de la recommandation 55).