Passer au contenu principal
Article

Une action collective pour agression sexuelle ou harcèlement sexuel autorisée contre un individu : Les Courageuses c. Gilbert Rozon

Fasken
Temps de lecture 9 minutes
S'inscrire
Partager

Aperçu

Le juge Donald Bisson a autorisé l’exercice d’une action collective contre Gilbert Rozon au nom d’un groupe décrit comme « [t]outes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon. »[1]

Dans leur demande, Les Courageuses allèguent que Gilbert Rozon, le fondateur du Festival Juste pour rire, a agressé ou harcelé sexuellement des femmes et des jeunes filles au cours des dernières décennies.

Les avocats de Rozon ont plaidé que les faits allégués par Les Courageuses ne paraissaient pas justifier les conclusions recherchées, qu’il n’y a pas de questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes entre les réclamations des membres du groupe et que le groupe, tel que décrit, était inacceptable parce qu’il était « circulaire. » Autrement dit, les personnes potentiellement membres du groupe devaient attendre l’issue du procès au fond avant de savoir si elles en faisaient partie ou non.

La demanderesse était une association appelée « Les Courageuses » et la personne désignée était Patricia Tulasne, une actrice, qui a fait la connaissance de Rozon en 1994 et qui allègue avoir été victime d’une agression sexuelle de sa part.

La demanderesse allègue également que Rozon a plaidé coupable en 1998 à une accusation d’agression sexuelle. La demanderesse plaide enfin que la situation de madame Tulasne n’est pas unique et qu’il y a d’autres cas de ce genre.

Les faits allégués par Les Courageuses dans leur demande d’autorisation d’exercer une action collective paraissent-ils justifier les conclusions qu’elles recherchent?

Gilbert Rozon n'a pas formellement tenté de nier ces évènements et ne les a pas formellement niés non plus, comme le souligne le juge Bisson. Ce que Rozon a fait, c’est de remettre en cause l’interprétation des évènements proposée par les Courageuses et par madame Tulasne. Les avocats de Rozon plaident que les réclamations sont prescrites et que la demande d’autorisation d’exercer une action collective n’explique pas en quoi la personne désignée ou les autres membres du groupe étaient dans l’impossibilité d’agir, l’une des exceptions à la règle de la prescription.

Sur ce point, le juge Bisson décide que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées.

Les réclamations des membres du groupe soulèvent-elles des questions de droits ou de fait identiques, similaires ou connexes?

Les Courageuses allèguent que Gilbert Rozon était un homme riche et puissant et qu’il a utilisé son pouvoir et son influence dans les milieux artistique, politique et social pour agresser ou harceler des femmes en toute impunité. Neuf femmes ont été interviewées par un journal québécois à ce propos et elles ont toutes raconté une histoire semblable.

Les avocats de Rozon ont plaidé que des réclamations de cette nature soulèvent des questions intrinsèquement individuelles et qu’il n’y avait pas de lien commun entre les réclamations des membres du groupe. Ils ont aussi plaidé qu’il n’y avait pas une seule question de fait ou de droit identique, similaire ou connexe qui susceptible de faire avancer le dossier. Ils plaident que le consentement à une relation sexuelle est une affaire individuelle et que l’on peut dire la même chose à propos du contexte de l’agression sexuelle présumée, de la nature de la relation entre Rozon et chacun des membres du groupe de même que des circonstances qui justifieraient le fait que les réclamations soient faites après la prescription.

Le juge Bisson n’accepte pas ces arguments et il accepte les questions principales soumises à l’adjudication collective proposées par les Courageuses:

[131] (…)

1) Le défendeur Rozon a-t-il systématiquement commis des agressions sexuelles et/ou du harcèlement sexuel à l’endroit de filles et de femmes?

2) Le défendeur Rozon a-t-il abusé de son pouvoir et de sa position d'influence afin de commettre des agressions sexuelles et/ou du harcèlement sexuel?

3) Est-ce que le défendeur Rozon s'est comporté d'une manière abusive similaire à l’endroit des filles et des femmes?

4) Quels sont les types de dommages, préjudices et séquelles communs aux victimes d'agressions sexuelles et/ou de harcèlement sexuel?

5) Est-ce que le fait d’être victime d'agressions sexuelles et/ou de harcèlement sexuel occasionne des dommages en soi?

6) Quels sont les facteurs communs aux membres du groupe relativement à l'impossibilité en fait d'agir?

7) Le défendeur Rozon a-t-il intentionnellement porté atteinte au droit à la sûreté, l'intégrité et à la dignité des membres du groupe?

8) Le défendeur Rozon doit-il payer des dommages punitifs?

9) Quel est le montant de dommages punitifs auquel Rozon devrait être condamné, collectivement, le tout afin de punir et dissuader son comportement?

Le juge Bisson est d’avis que les faits allégés révèlent l’existence d'un modus operandi de la part de Rozon, que celui-ci choisissait ses victimes dans son entourage, dans le milieu dans lequel il évoluait et où il jouissait d'un statut élevé. Le juge Bisson décide donc que les membres du groupe bénéficieraient d’une détermination commune des faits sur ce sujet. Cela dit, il ajoute qu’il faudra que plusieurs victimes viennent témoigner pour établir ces faits.

Le juge Bisson décide également que la question de l’impossibilité d’agir est commune dans la mesure où cette question est basée sur le statut de Rozon dans les sphères artistique, sociale et politique. Il décide que la preuve des dommages moraux et des dommages pécuniaires sera commune aux membres du groupe. Il ajoute que la preuve des répercussions ou des séquelles des agressions sexuelles sur les victimes sera également utile.

Enfin, à propos de la demande de dommages punitifs, le juge Bisson décide que la preuve devra aussi être commune parce qu’elle est reliée au caractère intentionnel des agressions ou du harcèlement.

Un mandat ou une réunion d’actions auraient-ils été des procédures préférables?

Selon le Code de procédure civile, la partie qui demande l’autorisation d’exercer un recours collectif doit établir que la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’action représentative ou la réunion d’action.

En l’espèce, il semble qu’il y a 20 membres du groupe, mais la demanderesse plaide qu’il pourrait y en avoir d’autres. Rozon plaide que le nombre de 20 n’est pas assez élevé dans les circonstances.

Le juge Bisson n’accepte pas cet argument et il décide que cette exigence du Code de procédure civile est satisfaite.

Le représentant proposé est-il en mesure de représenter adéquatement les intérêts des membres du groupe?

Rozon n’a pas contesté cette exigence du Code et a reconnu que Les Courageuses pouvaient représenter adéquatement les intérêts des membres du groupe. Le juge Bisson a également reconnu que cette condition était remplie.

Au moment d’écrire ces lignes, nous ne savons pas si Rozon va présenter une demande de permission d’appeler à la Cour d’appel.



[1]       2018 QCCS 2089

Contactez les auteurs

Pour plus d'informations ou pour discuter d'un sujet, veuillez nous contacter.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • André Durocher, Avocat-conseil | Actions Collectives, Montréal, QC, +1 514 397 7495, adurocher@fasken.com
  • Noah Boudreau, Associé | Litiges et résolution de conflits, Montréal, QC, +1 514 394 4521, nboudreau@fasken.com

    Abonnement

    Recevez des mises à jour de notre équipe

    S'inscrire