Dans la décision Banque de Nouvelle-Écosse c. Davidovit[1], rendue le 6 avril 2021, la Cour d’appel du Québec (la « Cour ») a confirmé la validité, en principe, des clauses de remboursement des frais juridiques engagés par une partie dans le cadre d’une procédure de recouvrement ou de mise à exécution à l’égard d’une caution (la « clause de remboursement d’honoraires »), et ce, même lorsqu’une telle clause est prévue dans un contrat d’adhésion. Cette décision aura une incidence importante puisque ce type de clause est omniprésente dans un large éventail d’ententes commerciales, y compris dans les contrats de prêt, les contrats de cautionnement et les baux commerciaux.
Les faits et la décision de première instance
M. Davidovit (la « caution ») était à la tête d’une société qui a conclu avec la Banque de Nouvelle-Écosse (la « Banque ») un contrat de prêt à terme garanti par une hypothèque sur l’équipement de la société. La caution a garanti personnellement l’exécution des obligations de la société envers la Banque.
La société a déclaré faillite et la Banque s’est tournée vers M. Davidovit pour le paiement de la portion impayée du prêt après la liquidation des actifs de la société. En première instance, M. Davidovit a fait valoir que la Banque ne pouvait lui réclamer aucun montant puisqu’elle aurait agi de façon abusive. Le tribunal a rejeté cet argument et a conclu que l’intimé était personnellement responsable des sommes qui étaient dues à la Banque par la société.
La Banque a également tenté de recouvrer auprès de la caution les frais juridiques engagés dans le cadre des procédures judiciaires, en se fondant sur le contrat de cautionnement et bancaire qui comprenait une clause de remboursement d’honoraires rédigée comme suit :
[Traduction] La caution est tenue au paiement des intérêts impayés par l’entreprise
cliente, ainsi que des intérêts courus depuis la date de la demande de paiement. Les intérêts sont calculés au taux indiqué dans le contrat. La caution doit également acquitter tous frais engagés par nous pour obtenir de l’entreprise cliente le paiement de notre créance, y compris les frais et tous honoraires sur la base client-avocat qu’entraîne le recouvrement de la créance auprès de la caution.
[Nos soulignements]
Concernant cette partie de la demande, le juge de première instance a conclu que le contrat entre la caution et la Banque était un contrat d’adhésion et que la clause de remboursement d’honoraires était abusive au sens du deuxième alinéa de l’article 1437 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Ainsi, le tribunal a refusé d’accorder toute somme à la Banque aux termes de la clause de remboursement d’honoraires. L’appel déposé par la Banque ne concernait que cette partie de la décision.
La décision de la Cour d’appel
La Cour a accueilli l’appel en déclarant qu’une clause de remboursement d’honoraires n’est pas nécessairement abusive, même si elle est incluse dans un contrat d’adhésion. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour se rassure du fait que les juges de première instance conservent le pouvoir discrétionnaire d’ajuster les obligations du débiteur si la somme réclamée est excessive. De plus, bien qu’en obiter, la Cour a exprimé son désaccord avec la conclusion du juge de première instance selon laquelle le contrat en était un d’adhésion simplement parce qu’il figurait sur un formulaire préimprimé.
La validité de la clause de remboursement d’honoraires
Premièrement, la Cour a rejeté l’argument de la caution selon lequel la clause de remboursement d’honoraires était abusive simplement parce qu’elle était « unilatérale », puisque seule la Banque pouvait recouvrer ses frais. La Cour a statué que le simple fait [traduction] « que l’effet d’une telle clause soit négatif pour une partie n’est pas suffisant pour qualifier cette clause d’abusive[2] ».
La Cour a également rejeté l’argument de la caution selon lequel la clause de remboursement d’honoraires entravait en soi l’accès à la justice. En effet, d’après la caution, la validité de telles clauses pourrait avoir un effet dissuasif sur la volonté d’une caution de contester une réclamation pour ne pas avoir à payer les frais juridiques d’un créancier découlant d’un éventuel litige. Cependant, la Cour souligne que, bien que rarement utilisée au Québec, la possibilité d’accorder les frais sur une base procureur-client est bien établie dans la jurisprudence d’autres territoires, comme en Ontario. Ce concept n’est toutefois pas entièrement étranger au droit québécois : les tribunaux peuvent accorder de tels frais en vertu des articles 54 et 342 du Code de procédure civile, et la Cour supérieure peut faire de même en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[3] et de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[4]. À la lumière de ces pouvoirs, la Cour a estimé que cela ne représentait pas [traduction] « un énorme bond moral ou idéologique que d’en arriver à la conclusion qu’une entente préalable concernant ce type de remboursement (indépendamment de tout abus) n’est ni abusive ni illégale. Cela ne ressort pas comme étant moralement répréhensible[5] ». [Nos soulignements]
Enfin, la Cour a conclu que les clauses de remboursement d’honoraires étaient analogues aux clauses de dommages-intérêts contractuels qui sont déjà prévues et régies par l’article 1617 al. 3 C.c.Q. et peuvent être incluses dans un contrat d’adhésion ou de gré à gré, sans distinction. La Cour a précisé que si une clause de remboursement d’honoraires est incluse dans un contrat d’adhésion et qu’elle précise un montant payable qui est déraisonnable, la Cour peut réduire ce montant en vertu de l’article 1437 C.c.Q. Autrement, si la clause ne précise pas le montant, la Cour a néanmoins le pouvoir de déterminer le montant à accorder puisque (i) les dommages-intérêts doivent être justifiés, et (ii) le droit à l’exécution d’une créance doit être exercé de manière raisonnable et de bonne foi, en vertu des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. [6]
En conclusion, la Cour a adopté une approche sensible et pragmatique sur le plan commercial pour traiter des questions en litige en reconnaissant non seulement « l’omniprésence de telles clauses [de remboursement d’honoraires] dans différents types de contrats, comme en témoigne la jurisprudence », mais également la « difficulté de bannir complètement de telles clauses, considérant qu’il semble y avoir une certaine acceptabilité dans la société en général et dans la sphère commerciale en particulier[7] ».
Les honoraires réclamés doivent être proportionnels aux montants réclamés sur le fond
Pour conclure que la clause de remboursement d’honoraires n’est pas abusive en soi, la Cour a jugé rassurant le pouvoir discrétionnaire conféré aux juges de première instance d’atténuer les effets d’une application déraisonnable d’une telle clause dans les cas où le montant demandé est excessif ou disproportionné :
[15] Il n’a pas été démontré que l’accès à la justice était entravé de manière déraisonnable par la possibilité que les frais soient accordés sur la base procureur-client […] C’est particulièrement le cas lorsque les tribunaux conservent un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’atténuer les effets de toute application déraisonnable d’une telle clause ou d’une demande de remboursement d’honoraires exorbitants[8]. [Traduction]
La Cour a statué que le montant des honoraires réclamés doit être proportionnel au montant principal réclamé sur le fond. Elle a également rappelé aux parties qui pourraient vouloir invoquer des clauses de remboursement d’honoraires qu’il incombe à la partie qui réclame les honoraires de les établir et de démontrer qu’ils sont raisonnables, puis elle a ajouté que [traduction] « le seul dépôt d’une facture d’avocat à titre de preuve n’est pas suffisant[9] ».
En prenant en compte les faits de l’espèce, la Cour a accordé la somme de 12 000 $ (du montant de 31 000 $ réclamé), alors que la réclamation sur le fond était de 35 000 $.
Une partie doit démontrer que le contrat est un contrat d’adhésion
Le juge de première instance a présumé qu’il s’agissait d’un contrat d’adhésion sans toutefois analyser cette question. Il s’est vraisemblablement fondé sur le fait que le contrat figurait sur un formulaire préimprimé fourni par la Banque. La Cour a rejeté ce raisonnement et, ce faisant, elle a fourni des indications utiles aux parties à un litige qui tentent de déterminer si un contrat en est un d’adhésion :
- La Cour a souligné que le seul fait que le contrat apparaisse sur un formulaire préimprimé ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion, même si un tel formulaire peut représenter une indication que les modalités du contrat ne sont pas négociables;
- Par exemple, le fait que le formulaire contienne des conditions pouvant être incluses en cochant une case (p. ex., garanti ou non garanti, avec ou sans cautionnement personnel) peut indiquer que les modalités du formulaire préimprimé sont en fait négociables;
- En outre, le fait qu’il existe sur le marché une forte concurrence visant les biens ou services négociés peut aussi signifier qu’il est possible de dire « non » et de s’adresser à un autre fournisseur. Dans un tel cas, même si le contrat est imprimé sur un formulaire, les conditions de service peuvent être négociables[10].
Conclusion
Cette décision devrait être chaleureusement accueillie par plusieurs institutions qui utilisent les clauses de remboursement d’honoraires comme un outil visant à dissuader les parties contractantes de présenter des défenses frivoles ou abusives dans le cadre de procédures judiciaires. Bien que cette décision offre à ces institutions un degré de sécurité plus élevé, il convient de veiller, dès la rédaction, à ce que le contenu de ces clauses soit raisonnable et pas trop onéreux pour la partie contractante, en particulier si le contrat figure sur un formulaire préimprimé.
De plus, afin de bénéficier pleinement de la protection d’une telle clause, les parties doivent agir de bonne foi et de manière juste et raisonnable tout au long des procédures judiciaires. En effet, les parties doivent garder à l’esprit que même si la Cour a conclu que ces types de clauses sont valides en principe, une partie qui souhaite s’en prévaloir devra démontrer que les frais réclamés sont raisonnables et justifiés dans les circonstances de l’espèce.
[1] 2021 QCCA 551.
[2] Ibid., para. 22.
[3] Art. 197(2) de Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3.
[4] Art. 242(4) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C‑44.
[5] Banque de Nouvelle-Écosse c. Davidovit, 2021 QCCA 551, para. 23.
[6] Ibid., para. 36.
[7] Ibid., para. 37.
[8] Ibid., para. 15.
[9] Ibid., para. 42.
[10] Ibid., para. 27.