Les modifications à un régime de retraite ou d’avantages sociaux par un employeur pourraient être retardées ou interdites, même si le libellé de la convention collective permet de telles modifications. Voilà ce qu’on retient de l’affaire Nova Chemicals (Canada) Limited v Unifor Local 914 – Nova Corunna Unit.
Le régime de retraite et la convention collective
L’employeur et le syndicat ont négocié la première convention collective entre les parties le 22 juillet 1999. Elle comprenait la clause suivante [traduction] :
27.01 Les parties conviennent que l’adhésion des employés de l’unité de négociation aux régimes de retraite, d’épargne et d’avantages sociaux actuels, y compris dans leur version modifiée ultérieurement, se poursuivra pendant la durée de la convention collective.
Les conventions collectives qui ont été conclues par la suite, y compris la convention collective actuelle, contenaient ce même article 27.01.
Avant 2000, les employés syndiqués étaient admissibles à participer au régime de retraite à prestations déterminées (PD) de l’employeur, auquel participaient les employés syndiqués et non syndiqués. En 2000, l’employeur a mis fin au régime à PD et ajouté un régime de retraite à cotisations déterminées (CD) pour les nouveaux employés. Les régimes à PD et à CD constituaient deux volets d’un même régime de retraite. L’employeur avait également offert aux employés qui participaient alors au régime à PD l’option de choisir entre continuer à participer au régime à PD ou adhérer au régime à CD. En 1999, l’employeur a tenu des réunions d’information pour les employés au sujet des changements à venir.
Le 2 juillet 2020, l’employeur a informé les employés que le régime à PD prendrait fin après le 31 décembre 2021. Dorénavant, les employés qui y participaient contribueraient à un régime à CD. À leur retraite, ces employés recevraient tout de même leurs prestations de retraite déterminées accumulées jusqu’au 31 décembre 2021.
Le grief
Le syndicat a déposé un grief contestant la décision de l’employeur d’arrêter l’accumulation du régime à PD en se fondant sur deux arguments alternatifs :
- La convention collective empêchait l’employeur de geler le régime à PD.
- Sinon, il faudrait empêcher l’employeur de mettre en œuvre les changements, ou avoir recours à l’estoppel pour y parvenir, car il serait injuste de les permettre avant l’expiration de la convention collective.
La décision de l’arbitre
L’arbitre Wilson n’a pas accepté le premier argument du syndicat. Il a examiné la clause 27.01 en fonction des circonstances au moment où la disposition a été négociée. Il a conclu que la disposition [traduction] « permet de modifier le régime, la seule restriction étant que le régime de retraite doit être maintenu ». La modification visant à geler le volet de PD était permise, car le régime de retraite serait maintenu.
Mais l’arbitre Wilson a accepté le deuxième argument du syndicat fondé sur le principe d’estoppel. Ce concept juridique vise à prévenir l’injustice lorsqu’une partie se fie à son détriment aux représentations d’une autre partie. En l’espèce, le syndicat a soutenu qu’il s’était fié aux déclarations de l’employeur de 1999 selon lesquelles le régime à PD serait maintenu après l’introduction du régime à CD. Par conséquent, le syndicat [traduction] « pouvait raisonnablement croire que le régime PD ne serait pas gelé » et n’avait pas tenté de négocier des protections liées aux régimes de retraite pour ses membres au fil des ans ou dans la convention collective actuelle.
Il y avait très peu d’éléments de preuve concernant les déclarations que l’employeur a faites aux employés en 1999. L’arbitre Wilson s’est fondé sur le témoignage de deux employés qui ont par la suite participé aux négociations de la convention collective. Selon les employés, on leur avait dit lors des séances d’information en 1999 que, comme ils participaient au régime à PD, ils continueraient d’accumuler des prestations déterminées jusqu’à leur retraite. L’arbitre Wilson n’était pas d’accord avec la position de l’employeur selon laquelle la preuve était [traduction] « minée par le souvenir flou des témoins » et que la présentation PowerPoint de 1999 (la seule preuve documentaire) ne promettait pas expressément le maintien du régime à PD. Il a plutôt conclu que la présentation PowerPoint de 1999 présentait les changements de 1999 comme un [traduction] « choix ponctuel » et n’indiquait pas que le régime à PD pourrait être éventuellement gelé. Il n’était pas suffisant que l’employeur ait déclaré à plusieurs reprises qu’il se réservait le droit de modifier le régime de retraite.
L’arbitre Wilson a déterminé que le résultat équitable était d’empêcher le gel du régime à PD jusqu’à l’expiration de la convention collective afin de donner au syndicat la possibilité de négocier la question des régimes de retraite s’il le souhaitait dans le cadre des négociations de la convention collective.
Leçons pour les employeurs
Les déclarations antérieures d’un employeur peuvent retarder ou empêcher des modifications à un régime de retraite, comme le gel d’un volet de PD. Afin de réduire le risque de faire des déclarations qu’un syndicat pourrait invoquer dans le cadre d’une demande fondée sur l’estoppel, l’employeur doit s’assurer que :
- la prudence est de mise dans les communications, écrites ou verbales, avec les employés au sujet des régimes de retraite et des avantages sociaux;
- un transfert de connaissances se fait entre ses représentants à la table de négociation collective afin de parer au roulement du personnel du côté des employés;
l’un de ses représentants à la table de négociation collective est chargé de prendre des notes, notamment une liste des déclarations faites au nom de l’employeur.