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La cible mouvante de la divulgation des informations relatives à la diversité et aux facteurs ESG – Quand un consensus pourrait-il émerger, et qui devrait mener l’initiative?

Fasken
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Bulletin facteurs ESG et développement durable

L’une des principales considérations du volet « S » des facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) est la diversité, c’est-à-dire la volonté des entreprises d’assurer la représentation des groupes historiquement sous-représentés (tels que les femmes et les minorités visibles) au sein de leur conseil d’administration et de leurs équipes dirigeantes. Un outil important utilisé à cette fin a été la publication de données sur la diversité en réponse aux autorités de réglementation qui encouragent, voire obligent les sociétés ouvertes à publier leurs statistiques sur la diversité ou à fixer des objectifs en matière de diversité (ou encore, à expliquer pourquoi elles ne le font pas).

Bien que ces dernières années aient vu un nombre croissant d’autorités de réglementation et d’acteurs du marché adopter certaines exigences en matière de divulgation d’informations sur la diversité, notamment aux États-Unis, au Canada, en Europe et au Royaume-Uni, les approches adoptées ne permettent pas encore d’établir une ligne directrice. En d’autres termes, s’il existe bel et bien un consensus croissant en faveur de la divulgation d’informations sur la diversité des genres, la cartographie en termes de divulgations relatives aux minorités visibles et aux autres groupes sous-représentés ne fait que commencer et l’horizon réglementaire demeure flou. En effet, le Canada n’est pas le seul pays à connaître des divisions internes dans le domaine des facteurs ESG.

Dans ce contexte, nous nous penchons sur ces pratiques réglementaires divergentes et examinons les réponses du marché dans leur ensemble afin d’identifier quelques-unes des diverses influences en jeu et d’envisager la manière dont les choses pourraient évoluer à l’avenir. Nous nous demandons quand et comment un consensus sur la divulgation d’informations relatives à la diversité pourrait émerger, et qui serait raisonnablement le plus susceptible de mener cette initiative.

États-Unis

Aux États-Unis, les différentes conceptions réglementaires concernant l’approche appropriée à utiliser pour la divulgation d’informations sur la diversité sont peut-être le mieux représentées par les différentes positions du NASDAQ et du NYSE.

Le NASDAQ exige de ses sociétés cotées à la bourse qu’elles publient chaque année des statistiques sur la diversité au sein de leur conseil d’administration, à l’aide d’un modèle normalisé de matrice de la diversité du conseil d’administration. En outre, elles doivent avoir au moins deux membres de leur conseil d’administration qui soient issus de la diversité (ou expliquer pourquoi ce n’est pas le cas), ce qui, pour les sociétés américaines dont le conseil d’administration compte plus de cinq membres, signifie : i) au moins une femme et ii) au moins un administrateur issu de la diversité qui s’identifie comme membre de la communauté LGBTQ+ ou comme appartenant à une ou plusieurs communautés ethniques ou culturelles non caucasiennes.

En revanche, la NYSE a jusqu’à présent adopté une approche de la diversité des conseils d’administration axée sur le marché, comme en témoigne l’absence de règles prescrivant la divulgation d’informations relatives à la diversité. En lieu et place d’une obligation de divulgation, la NYSE a choisi d’adopter une approche orientée vers la collectivité. En 2019, elle a lancé un conseil consultatif de conseils d’administration, composé des directeurs de certaines des plus grandes entreprises du monde, qui vise à éduquer les candidats issus de groupes sous-représentés et à leur donner l’occasion de réseauter avec des personnes issues de sociétés cotées en bourse lors d’événements, dans le but d’accroître la diversité des conseils d’administration.

Les États-Unis ont également connu récemment une augmentation de la politisation des facteurs ESG et l’émergence d’un mouvement anti-ESG. Une conséquence pratique pour les entreprises et les gestionnaires d’actifs américains a été une augmentation de la promulgation de propositions d’actionnaires anti-ESG, ainsi que l’annonce ou la promulgation par divers États de lois interdisant à leurs fonds de retraite publics l’investissement dans des fonds axés sur l’ESG. Les conseillers en procuration ont également été mis à contribution. Par exemple, en ce qui concerne la divulgation d’informations sur la diversité au sein des conseils d’administration, en janvier 2023, 21 procureurs généraux d’États républicains ont envoyé à ISS et Glass Lewis une lettre soutenant que leurs politiques en matière de diversité enfreignaient possiblement les lois antidiscrimination des États, de même que les exigences fiduciaires et contractuelles. Dans leurs réponses respectives, ISS et Glass Lewis ont nié tout acte répréhensible.

Cette réaction des procureurs généraux d’États intervient dans un contexte où les propositions des actionnaires relatives à la diversité se multiplient. Par exemple, le Conference Board a indiqué que les propositions relatives à l’équité raciale et aux audits sur les droits civils ont gagné du terrain en 2022 par rapport à 2021. Tout d’abord, 43 propositions de ce type ont été déposées en 2022, contre seulement 9 en 2021. Deuxièmement, 31 de ces propositions ont été votées en 2022, contre seulement 9 en 2021. Enfin, les propositions d’audit sur l’équité raciale de 2022 « étaient susceptibles de faire l’objet d’un vote (72 %) et ont reçu un soutien significatif de la part des actionnaires (33 %) ». En comparaison, les propositions anti-ESG « ont obtenu un soutien moyen de seulement 3,5 % » en 2022, selon le Proxy Preview 2023 publié par As You Sow, Sustainable Investments Institute et Proxy Impact.

Le mouvement américain anti-ESG se heurte également à une résistance directe des pro-ESG, y compris dans le milieu universitaire. Tout récemment, par exemple, 130 professeurs et chercheurs de plus de 60 établissements situés dans 24 États ont signé une lettre adressée aux décideurs politiques fédéraux et étatiques des États-Unis, dans laquelle ils expriment leur vive inquiétude face aux efforts visant à limiter la prise en compte des considérations ESG dans la gestion des investissements.

Canada, Europe et Royaume-Uni

Au Canada, une approche fragmentée pour la divulgation d’informations sur la diversité est actuellement en place. Depuis 2014, la plupart des organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières (mais pas tous) ont adopté une forme d’obligation de divulgation des informations concernant les femmes siégeant dans les conseils d’administration et occupant des postes de direction. Deux provinces sont restées silencieuses sur la question, ce qui a entraîné des exigences de divulgations inégales à travers le pays.

Plus récemment (et de manière quelque peu inhabituelle), soit en avril 2023, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont soumis pour consultation publique deux propositions relativement à la divulgation d’informations sur la diversité. La proposition A est moins prescriptive et laisse aux sociétés ouvertes le soin de décider les données de quelles catégories de « groupes identifiés » (en plus des femmes) seront divulguées dans le cadre de la stratégie de diversité de l’émetteur. En revanche, la proposition B suggère une approche beaucoup plus large en imposant la divulgation d’informations concernant les « groupes désignés » historiquement sous-représentés. Outre les femmes, les données sur les personnes issues de la communauté LGBTQ2SI+, les personnes racisées, les personnes handicapées et les Autochtones devront être divulguées.

Cette situation incohérente reflète l’absence (regrettable) d’un organisme national de contrôle du marché des valeurs mobilières au Canada. Toutefois, elle reflète également la nature complexe de la question de la divulgation en matière de diversité. En effet, les propositions des ACVM semblent avoir (au moins dans un premier temps) divisé davantage les autorités provinciales et territoriales de réglementation des valeurs mobilières du pays, quatre provinces et territoires (la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan et les Territoires du Nord-Ouest) ayant confirmé leur appui à la proposition A, la plus grande province du pays (l’Ontario) ayant indiqué qu’elle appuyait la proposition B, et les autres provinces n’ayant pas encore indiqué leur préférence.

Au Canada, les exigences en matière de divulgation d’informations sur la diversité varient également selon le statut d’une entreprise. Depuis 2020, les entreprises constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont tenues de publier des données sur la diversité relativement à la composition du conseil d’administration et de la direction en ce qui concerne les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles. Toutefois, aucune loi provinciale ou territoriale n’a encore emboîté le pas. Pour en savoir plus sur la situation au Canada en matière de divulgation d’informations sur la diversité, voyez nos commentaires plus détaillés ici (Regard sur les nouveaux projets de modification des ACVM relatifs aux obligations d’information sur la diversité et aux pratiques en matière de gouvernance) et ici (Mise à jour 2023 sur l’ESG : Alors que la diversité et la sensibilisation sociale ont le vent dans les voiles, les autorités de réglementation canadiennes demeurent divisées quant à l’approche relative à la divulgation de la diversité).

L’Union européenne (UE) offre une autre perspective. Les directives européennes ont imposé des quotas obligatoires (mais tournés vers l’avenir) concernant la participation des femmes à la gestion des sociétés cotées en bourse, en établissant une distinction entre les postes d’administrateurs dirigeants et d’administrateurs non dirigeants (des quotas différents s’appliquant à chacun d’entre eux). En revanche, les lois de l’UE n’ont généralement pas imposé d’exigences concernant la divulgation des informations sur la diversité raciale ou ethnique dans les sociétés ouvertes, cette question étant particulièrement sensible dans de nombreux États membres de l’UE, notamment pour des raisons historiques. La loi britannique, quant à elle, impose un système dit « comply or explain » (se conformer ou s’expliquer) similaire à celui du Canada, mais avec un peu plus de mordant.

En ce qui concerne les propositions d’actionnaires liées à la diversité au Canada, les questions sociales ont continué à gagner du terrain en 2023. Fasken a recensé plus de 40 propositions à caractère social formulées par les actionnaires au 19 avril 2023, et la saison des procurations se poursuit. Les audits d’équité raciale par des tiers, l’opérationnalisation du consentement éclairé des Autochtones, les femmes dans des postes de direction, le bilinguisme, l’intelligence artificielle, les droits de la personne et les questions relatives à la chaîne d’approvisionnement figurent parmi les sujets abordés. Il semble qu’il s’agisse d’un prolongement de l’élan observé pour l’année 2022, puisque les questions sociales représentaient déjà alors une part importante des propositions d’actionnaires.

En Europe, les activistes sont restés déterminés à demander des comptes aux sociétés inscrites relativement à leurs engagements ESG en 2022, avec 90 demandes liées aux facteurs ESG, dont 42 au Royaume-Uni et 32 en Allemagne, selon The Shareholder Activism Annual Review 2023 d’Insightia. Toutefois, l’étude indique que « dans l’ensemble, en 2022, 60 % des campagnes activistes mondiales comportant des demandes à la fois liées à la représentation au conseil d’administration et aux facteurs ESG ont été couronnées de succès, contre une moyenne de 67 % pour l’ensemble de la période 2018-2021 ».

Quand un consensus sur la divulgation des informations relatives à la diversité pourrait-il émerger, et qui devrait mener l’initiative?

Dans l’ensemble, les exemples ci-dessus illustrent que les divergences de points de vue sur l’approche appropriée à adopter pour la divulgation d’informations sur la diversité surviennent non seulement entre les autorités territoriales à l’échelle internationale (p. ex., Royaume-Uni contre Europe), mais aussi au sein d’un même pays (Canada). Dans ce contexte, quand peut-on raisonnablement s’attendre à ce qu’un consensus sur la divulgation d’informations relatives à la diversité émerge, et qui peut-on raisonnablement anticiper être le plus susceptible de mener l’initiative?

Au Canada, par exemple, il peut être judicieux de prévoir certaines différences entre les provinces. Au Québec, majoritairement francophone, nous avons constaté que les émetteurs québécois ont de plus en plus tendance à divulguer volontairement les compétences linguistiques de leurs administrateurs. Cette démarche est aussi partiellement dictée par le marché, les actionnaires activistes de la province ayant régulièrement exigé la divulgation de ces informations au cours des dernières années. Toutefois, le Canada compte une importante population autochtone. Historiquement, le pays s’est construit grâce à l’immigration en provenance de différentes régions d’Europe et accueille aujourd’hui de plus en plus de personnes d’origines ethniques diverses venues du monde entier. Ainsi, on peut raisonnablement se demander pourquoi il reste difficile pour les autorités provinciales de se mettre d’accord sur une approche unique à adopter pour la divulgation d’informations sur la diversité et de demander à divers acteurs du monde des affaires de prendre position (ou de choisir un camp) sur une question aussi délicate, comme l’ont récemment fait les ACVM (voir ci-dessus). Les autorités de réglementation ou les législateurs ne devraient-ils pas être ceux qui mènent les réformes?

D’autres facteurs connexes peuvent également varier d’une autorité territoriale à l’autre. L’étendue et le contenu des obligations fiduciaires des administrateurs en vertu de la législation en vigueur en sont un exemple. Aux États-Unis, la politisation des questions ESG a suscité un débat animé sur la question de savoir si les considérations ESG et les obligations fiduciaires vont dans le même sens, les défenseurs des questions ESG soutenant que c’est le cas et le mouvement anti-ESG soutenant le contraire. Au Canada, en revanche, la relation entre les deux camps est moins controversée. Le droit canadien considère depuis longtemps que les obligations fiduciaires des administrateurs sont dues à la société, et non pas directement aux actionnaires. En outre, en 2008, le plus haut tribunal du Canada a précisé que, pour prendre des décisions en fonction de l’intérêt supérieur de la société, outre les intérêts des actionnaires, ses administrateurs peuvent également considérer les intérêts d’autres parties prenantes telles que « les employés, les créanciers, les consommateurs, les gouvernements et l’environnement... ». Une disposition à cet effet a par ailleurs été codifiée dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Par conséquent, au Canada du moins, l’interaction entre les obligations fiduciaires et les questions ESG ne devrait pas constituer une complication majeure sur la voie d’un consensus en matière de divulgation d’informations sur la diversité.

Les acteurs du marché peuvent également jouer un rôle important dans l’élaboration des processus de divulgation d’informations sur la diversité. Toutefois, comme l’illustrent les récents développements aux États-Unis (voir ci-dessus), on ne peut plus s’attendre à ce que les investisseurs (notamment les investisseurs institutionnels) aient nécessairement des croyances ou des préférences homogènes. Plus spécifiquement, si les propositions anti-ESG n’ont à ce jour pas eu de succès réel au Canada, on peut affirmer qu’il n’en va pas de même aux États-Unis.

Le 20 avril 2023, Axios a rapporté que 68 propositions anti-ESG ont été déposées aux États-Unis jusqu’à présent en 2023, contre 45 pour toute l’année 2022. Directement en lien avec cette question, environ le tiers de ces 68 propositions anti-ESG portent sur la diversité et exigent des entreprises comme Apple et Coca-Cola de « rendre compte des “risques” que leurs efforts en matière de lutte contre la discrimination ou de justice raciale font peser sur leurs activités ».

Enfin, même si la plupart de ces propositions n’aboutissent pas (comme cela a généralement été le cas jusqu’à présent), cela ne signifie pas que le mouvement anti-ESG n’a pas d’incidence sur les pratiques en matière de divulgation d’informations sur les questions ESG. D’une part, le Financial Times a récemment rapporté qu’une douzaine de sociétés financières, dont BlackRock, Blackstone et KKR, mentionnent désormais les efforts de lutte anti-ESG comme constituant un risque dans leurs rapports annuels. D’autre part, Axios résume que si « la promotion des politiques en matière de facteurs ESG était autrefois un moyen facile de faire bonne presse », elle est aujourd’hui de plus en plus considérée comme « un moyen de susciter la controverse, l’ire des politiciens et l’attention de groupes anti-ESG bien financés ». Par conséquent, Axios prévoit, dans un avenir proche, « moins de communiqués de presse et d’articles de fond sur la question ». En d’autres termes, nous assistons aujourd’hui à l’émergence de la pratique du « greenhushing » (c’est-à-dire le fait pour les entreprises de ne pas rendre publiques leurs activités ESG, afin d’éviter un examen minutieux ou des réactions négatives). Dans l’ensemble, la leçon à tirer est peut-être que le marché est incapable de dégager un consensus raisonnable sur les meilleures pratiques en matière de divulgation d’informations sur la diversité, du moins aux États-Unis.

Cela nous ramène donc à la consultation publique lancée par les ACVM sur ses deux propositions concernant la divulgation d’informations sur la diversité. Il est possible que les commentaires reçus de la part des investisseurs et des autres parties prenantes commencent à engendrer une forme de consensus quant à la voie à suivre. Toutefois, étant donné la nature délicate et complexe de la divulgation d’informations sur la diversité, il est tout aussi possible, voire plus probable, que cela ne se produise pas. Si tel est le cas, il incombera aux autorités de réglementation de montrer la voie, un résultat qui semble inévitable et approprié. Un consensus généralisé entre les différentes autorités territoriales peut être difficile à atteindre, et il est même quelque peu déraisonnable d’y croire. Cependant, nous croyons raisonnablement que l’adoption d’une approche équitable, éclairée, cohérente et défendable au sein des différents territoires est réalisable et généralement souhaitable. Il peut s’agir de l’approche moins prescriptive et plus prudente de la « proposition A », ou de l’approche plus large et contraignante de la « proposition B », ou il peut s’agir d’un mélange des deux. Ce que nous souhaitons éviter au Canada, c’est une incertitude prolongée, une division accrue ou une politisation malheureuse.

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Auteurs

  • Marie-Christine Valois, Associée | Fusions et acquisitions, Facteurs ESG et développement durable, Montréal, QC, +1 514 397 7413, mvalois@fasken.com
  • Stephen Erlichman, Associé | Gouvernance d'entreprise, Toronto, ON, +1 416 865 4552, serlichman@fasken.com
  • Dyna Zekaoui, Avocate | Consultante en administration des affaires, Ottawa, ON, +1 416 865 4400, dzekaoui@fasken.com
  • Paul Blyschak, Avocat-conseil | Droit des sociétés et droit commercial, Calgary, AB, +1 403 261 9465, pblyschak@fasken.com

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