Passer au contenu principal
Bulletin

La Cour d’appel renforce l’autonomie du droit québécois et priorise la stabilité et l’efficacité des processus de restructuration sous la LACC à l’arbitrage

Fasken
Temps de lecture 12 minutes
S'inscrire
Partager

Aperçu

Bulletin Insolvabilité et restructuration

Dans un arrêt rendu le 11 avril 2025, la Cour d'appel du Québec a confirmé le jugement de la Cour supérieure concernant la suspension des recours d’anciens actionnaires des débitrices dans le cadre des procédures de restructuration entreprises sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »). L’affaire oppose les anciens actionnaires minoritaires de la débitrice Laboratoires C.O.P. inc. (« COP ») à la débitrice elle-même et à ses créanciers, les premiers cherchant à faire reconnaître leurs droits sur des remboursements fiscaux par l’intermédiaire d’un Constructive Trust qu’ils invoquent en vertu du droit de l'État de New York afin d’appliquer la convention d'arbitrage et faire reconnaître leur droit de propriété sur certains remboursements fiscaux. Dans cet arrêt, la Cour réitère plusieurs enjeux fondamentaux concernant l’application de la LACC, le droit québécois des fiducies, la transposition de concepts juridiques étrangers au droit québécois, et le traitement accordé aux procédures d’arbitrage dans un contexte d’insolvabilité.

Le jugement de la Cour supérieure

Appelé à trancher une demande de levée partielle de la suspension des recours des créanciers imposée en vertu de la LACC, l’Honorable Jean-François Émond, j.c.s. rejette la demande des anciens actionnaires minoritaires (les « Requérants ») de la débitrice COP.

Selon les Requérants, une clause de la convention d’achat d’actions conclue en 2015 avec l’acquéreuse de leurs actions, une société québécoise, et régie par le droit de l’État de New York, leur conférerait un droit de propriété sur certains remboursements ou crédits d’impôt payés et à recevoir par l’Agence du revenu du Canada avant la date de clôture, en vertu d’un constructive trust. Ils soutiennent que ces sommes ne font pas partie du patrimoine de COP et demandent donc à pouvoir faire reconnaître leurs droits dans le cadre d’un arbitrage international CCI à New York[].

Pour justifier sa conclusion, le juge de première instance explique que la LACC, en tant que loi fédérale d’application générale, renvoie au droit privé provincial pour déterminer les droits de propriété ou encore la validité et le rang des sûretés des créanciers, sauf disposition contraire[]. Il rappelle à cet égard que les tribunaux canadiens ont assimilé la LACC, tout comme la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI »), à des lois de nature procédurale[]. En contexte québécois, cela signifie donc que le Code civil du Québec complète la LACC, et qu’un concept étranger au droit civil, tel que le constructive trust reconnu par le droit de l’État de New York, ne peut être invoqué pour établir un droit de propriété d’un créancier sur des biens situés au Québec ou sur une créance qui y a été acquise[].

Le juge Émond ajoute qu’au Québec, un créancier ne peut se constituer ou perdre une sûreté en raison d’une règle de droit étrangère non reconnue par la lex fori[]. Si cela était possible, il deviendrait quasi impossible de liquider les actifs d’une débitrice en raison de la difficulté à maximiser le recouvrement des créances de manière ordonnée en l’absence de règles définies, ce qui compromettrait les objectifs réparateurs de la LFI et de la LACC[].

Le juge Émond conclut qu’il n’était ni opportun ni utile de lever la suspension des recours des créanciers en l’espèce. En effet, même si les Requérants avaient été autorisés à soumettre leur différend au tribunal d’arbitrage new-yorkais et que celui-ci leur rendait une décision favorable en reconnaissant l’existence d’un constructive trust, cela n’aurait eu aucun impact sur le processus de liquidation entrepris en vertu de la LACC, puisque la sentence ne pourrait être reconnue au Québec[]. Au contraire, cette démarche n’aurait, selon lui, rien apporté aux Requérants et aurait causé préjudice aux créanciers garantis en retardant le recouvrement de leurs créances et en générant des dépenses inutiles[].

Ultimement, les Requérants ne s’étant pas acquittés du lourd fardeau de démonstration[] requis à l’égard de conditions reconnues par la jurisprudence aux fins de levée de la suspension des procédures[], la demande est rejetée.

Les enseignements de la Cour d'appel

Dans son arrêt rendu le 11 avril 2025[], et dont les motifs ont été rendus le 17 avril 2025[], la Cour d'appel a confirmé le jugement de la Cour supérieure, soulignant que la suspension des procédures imposée par la LACC vise à permettre une restructuration ordonnée et efficace des entreprises en difficulté, en centralisant les procédures et en évitant les actions dispersées des créanciers.

De ce fait, la Cour a de nouveau rejeté les arguments des Requérants invoquant le Constructive Trust reconnu par le droit de l'État de New York, en rappelant que ce concept n'est pas applicable en droit québécois.

Pour ce faire, une formation de trois juges de la Cour d’appel a fourni les arguments suivants au soutien de son raisonnement :

  1. Application de la LACC et la suspension des procédures dans l’intérêt public : La LACC permet de suspendre les procédures des créanciers pour faciliter la restructuration ordonnée des entreprises en difficulté[]. Réitérant les principes de l’arrêt Peace River, la Cour rappelle que les procédures de faillite, de restructuration et de réalisation des actifs d'une personne insolvable sont centralisées dans l'intérêt public[].
  2. Tentative de transposition d'un concept de common law pour exécuter la convention d’arbitrage : Malgré les efforts des Requérants pour faire appliquer la convention d'arbitrage en invoquant un « Constructive Trust » fondé sur le droit de l'État de New York, la Cour d'appel a rejeté leur demande, soulignant que ce concept de la common law n’est pas transposable au droit québécois. En effet, le juge Émond, confirmé par la Cour d'appel, a rappelé que la LACC, en tant que loi d’application fédérale, renvoie au droit privé provincial pour déterminer les droits de propriété et la validité des sûretés des créanciers. Le Constructive Trust étant un concept de common law propre au droit anglo-saxon, il ne peut être reconnu en droit civil québécois, ce qui exclut son application dans le cadre des procédures d’insolvabilité régies par la LACC[]. Cet arrêt réaffirme l'autonomie du régime juridique québécois et l'importance de la stabilité des procédures locales dans le traitement des réclamations des créanciers.
  3. Interprétation de l'article 622 C.p.c. : La Cour d’appel s’est également intéressée à l’article 622 C.p.c. en nuançant le sens de cette disposition. S’appuyant sur un ouvrage de Frédéric Bachand (avant sa nomination à la Cour d'appel), la Cour a conclu que l’expression « nullité » prévu à 622 C.p.c. devait être interprété de façon large et de manière à inclure d’autres cas où le juge pouvait refuser de renvoyer l’affaire à l’arbitrage, dont notamment l’existence de procédures d’insolvabilité. À cet égard, la Cour s’exprime comme suit :

    [29] L'application du second volet commande une analyse plus détaillée. En effet, contrairement à la disposition législative en cause dans Peace River, l'article 622 C.p.c. ne prévoit qu'un motif permettant d'écarter une convention d'arbitrage, soit la nullité de la convention. Une interprétation littérale de cette disposition n'est toutefois pas indiquée, d'autant plus que celle-ci« fait partie de la mise en œuvre de la Convention de New York (dont les termes utilisés à l'art. 11(3) sont "caduque, inopérante ou non susceptible d'être appliquée") » . Dans son ouvrage L'intervention du juge canadien avant et durant un arbitrage commercial international, le juge Bachand, alors qu'il était professeur, abondait dans ce sens :

    L'article 940.1 du C.p.c. québécois [maintenant l'art. 622 C.p.c.] s'écarte quelque peu de la formule employée à l'article 11(3) de la Convention de New York et à l'article 8 de la Loi type [ ... ]. Les travaux préparatoires pertinents ne contiennent aucune indication laissant croire que le Législateur ait réellement voulu s'écarter - d'un point de vue substantiel - de la Loi type et de la Convention de New York. La modification semble plutôt avoir été motivée par le désir du Législateur québécois d'adopter un style correspondant mieux à la tradition civiliste [ ... ], le terme « nullité » étant celui qu'a retenu le Législateur français à l'article 1458 du N. C.P. C.

  4. Le pouvoir « hautement » discrétionnaire du tribunal : Le juge de première instance dispose d'un pouvoir « hautement » discrétionnaire qu’il tire de l’article 11 de la LACC pour décider de lever ou non la suspension des procédures en fonction des objectifs de la LACC[]. Comme l’a rappelé la Cour suprême dans l’arrêt Peace River, une convention d’arbitrage par ailleurs valide peut être inopérante ou non susceptible d’être exécutée car la procédure arbitrale compromettrait la procédure déjà bien avancée permettant le règlement ordonné et efficace de la liquidation de la débitrice[].
  5. La résolution rapide des réclamations dans le cadre de la LACC : La LACC vise à permettre une restructuration efficace de l’entreprise, en assurant la résolution rapide et définitive des réclamations des créanciers. Dans cet arrêt, la Cour d'appel rappelle que la procédure de restructuration doit se dérouler sans retard indu afin de maximiser le recouvrement des créances. Le juge de première instance a souligné que la levée de la suspension des procédures risquait de retarder le recouvrement des créances des créanciers garantis, ce qui allait à l'encontre des objectifs réparateurs de la LACC, notamment la stabilité financière et le respect des priorités dans le cadre de la liquidation de la débitrice[].

Conclusion

En réaffirmant la nécessité de respecter les principes de la LACC, la Cour d'appel insiste sur l'importance d’une restructuration ordonnée et d’une résolution rapide des réclamations afin de garantir le recouvrement des créances de manière efficace. De plus, en rejetant l’application d’un Constructive Trust en droit québécois, l’arrêt clarifie également les limites de l’influence des concepts juridiques étrangers dans le régime civil québécois et au surplus dans le contexte des procédures d’insolvabilité. Enfin, l’arrêt réitère le pouvoir « hautement » discrétionnaire du tribunal de suspendre ou lever cette suspension, soulignant que tout retard inutile pourrait compromettre les objectifs réparateurs de la LACC. Cette clarification est cruciale pour la gestion future des restructurations d'entreprises en difficulté au Québec.

Fasken a représenté le contrôleur Ernst & Young inc. dans ce dossier, avec une équipe composée de Luc Béliveau, Nicolas Mancini et Virginie Lavigne.

Contactez les auteurs

Pour plus d'informations ou pour discuter d'un sujet, veuillez nous contacter.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • Luc Béliveau, Associé | Insolvabilité et restructuration, Montréal, QC | Londres, +1 514 397 4336, lbeliveau@fasken.com
  • Nicolas Mancini, Avocat | Litiges et résolution de conflits, Montréal, QC, +1 514 397 5293, nmancini@fasken.com
  • Virginie Lavigne, Avocate | Litiges et résolution de conflits, Montréal, QC, +1 514 657 2420, vlavigne@fasken.com
  • Lucas Métral, Avocat | Litiges et résolution de conflits, Montréal, QC, +1 514 397 7588, lmetral@fasken.com

    Abonnement

    Recevez des mises à jour de notre équipe

    S'inscrire