Plus tôt ce mois-ci, la Cour suprême du Canada a décidé d’entendre l’appel du jugement rendu en 2024 par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Démocratie en surveillance c. Procureur général du Canada (2024 CAF 158) (ci-après « Démocratie en surveillance »).
Cette décision est loin d’être sans importance, car la Cour suprême abordera une question fondamentale que les tribunaux n’ont toujours pas tranchée de façon définitive (ce que reconnaît d’ailleurs la Cour d’appel fédérale dans les motifs du jugement[1]) : la question de savoir si le Parlement (ou une législature provinciale) peut limiter la capacité des demandeurs de présenter des demandes de contrôle judiciaire par voie législative, c’est-à-dire déterminer si certaines des restrictions qu’imposent les dispositions législatives applicables en matière de contrôle judiciaire sont valides ou contraires au principe de la primauté du droit.
Dans l’affaire Vavilov, la Cour suprême précise clairement que le respect de l’intention du législateur « doit nous guider » en matière de contrôle judiciaire, et que « [c]omme les décideurs administratifs tiennent leurs pouvoirs d’une loi, le régime législatif applicable est probablement l’aspect le plus important du contexte juridique d’une décision donnée ».
L’affaire Démocratie en surveillance met toutefois en lumière le conflit entre la déférence accordée à la volonté du législateur de déléguer des pouvoirs aux décideurs administratifs et la primauté du droit, soit l’un des principes sous-jacents sur lesquels repose l’ordre constitutionnel canadien.
En l’espèce, la demanderesse a demandé le contrôle judiciaire d’un rapport du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique du Canada dans lequel le Commissariat aurait supposément commis deux erreurs de droit et une erreur de fait. Le rapport a conclu que l’ancien premier ministre Justin Trudeau n’avait pas enfreint la Loi sur les conflits d’intérêts (la « Loi ») lorsqu’il a participé à deux décisions concernant l’Organisme UNIS.
Pourtant, selon l’article 66 de la Loi, le Parlement a essentiellement interdit les demandes de contrôle judiciaire pour les motifs invoqués par Démocratie en surveillance et a limité les demandes de contrôle judiciaire relatives aux décisions du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique aux seuls motifs suivants :
- Le Commissariat a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;
- Le Commissariat n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;
- Le Commissariat a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages.
En fin de compte, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Démocratie en surveillance au motif que le régime législatif de la Loi sur les conflits d’intérêts prévoit « une surveillance à la fois parlementaire et judiciaire ainsi qu’une procédure élaborée pour réglementer le comportement éthique au moyen de conséquences politiques ».
Comme la Loi exige que les rapports du Commissariat soient rendus publics et remis au premier ministre, au titulaire de charge publique qui a déposé la demande ainsi qu’au titulaire de charge publique visé par la demande, la Cour d’appel a conclu que dans les cas où « les questions de responsabilité relèvent principalement de l’organe législatif, les cours de justice devraient clairement faire preuve de retenue et respecter les limites prévues à l’article 66 [de la Loi] dans l’exercice de leur fonction de contrôle judiciaire ».
En outre, le jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Démocratie en surveillance reconnaît que la tension entre la souveraineté législative et la primauté du droit constitue une « question des plus complexes et épineuses » qui, en l’absence de directives supplémentaires de la Cour suprême, amènera les tribunaux à devoir « s’efforcer de trouver la position à adopter lorsqu’elles sont en présence de clauses privatives ».
Il va sans dire que l’arrêt de la Cour suprême dans cette affaire pourrait avoir des conséquences considérables sur la capacité des citoyens de demander des comptes aux administrations publiques au moyen de contrôles judiciaires concernant les prises de décisions déléguées. Cela dit, il pourrait aussi apporter, espérons-le, des précisions sur cette question dans les cas où il y a présence de clauses partiellement privatives.
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