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L’Organe d’appel de l’OMC déboute le Canada dans une cause en matière d’énergie renouvelable

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Bulletin Commerce international et droit douanier

Le 6 mai 2012, l’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (l’« OMC ») a confirmé une décision rendue antérieurement par un groupe spécial, selon laquelle le Canada avait violé ses obligations relatives au traitement national en offrant des incitatifs en matière d’énergie verte qui comprenaient des prescriptions relatives au contenu local en Ontario, favorisant les fournisseurs locaux. Cette décision vient à un moment où la politique d’énergie verte de l’Ontario fait l’objet d’une attention accrue du public et de nombreuses critiques dans cette province. Du fait que la politique énergétique pourrait devenir l’un des principaux enjeux d’une élection qui pourrait être déclenchée à n’importe quel moment en Ontario, la décision de l’Organe d’appel constitue une mauvaise nouvelle pour le gouvernement libéral. Ce bulletin fournit un aperçu de cette décision ainsi qu’une analyse préliminaire de ses conséquences sur les politiques et les lois relatives à l’énergie renouvelable en Ontario et au Canada.

Mesures contestées – Programme TRG de l’Ontario

En mai 2009, aux termes de la loi intitulée Green Energy and Green Economy Act of 2009 (la « Loi »), l’Ontario a mis en place un programme de tarifs de rachat garantis (le « programme TRG ») afin de promouvoir la production d’énergie à partir de sources d’énergie renouvelables. Le programme TRG accorde aux promoteurs de projets de production d’énergie éolienne et solaire des prix fixes pour leur approvisionnement du réseau d’électricité de l’Ontario, pourvu que certains niveaux minimaux requis de teneur en contenu local soient respectés. En vertu des règles relatives au programme TRG, un certain pourcentage de l’équipement utilisé dans le cadre de projets de parcs éoliens et par des installateurs de panneaux solaires en Ontario doit provenir de fournisseurs locaux.

Le différend – Le Japon et l’UE déposent des plaintes devant l’OMC

Les consultations menées au sein de l’OMC n’ayant pas débouché sur une solution acceptable pour toutes les parties, en 2001, le Japon[1] et l’Union européenne[2] (l’« UE ») ont chacun déposé une plainte devant l’OMC et ont fait valoir que les niveaux minimaux requis de teneur en contenu local prévus par le programme TRG sont incompatibles avec les règles en matière de traitement national prévues par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le « GATT ») et par les mesures concernant les investissements liées au commerce (les « MIC »). Les règles relatives au traitement national interdisent aux membres de privilégier des biens et des fournisseurs locaux au détriment de biens étrangers. Le Japon et l’UE ont également fait valoir que le programme TRG accordait des subventions interdites en vertu de l’Accord relatif aux subventions et aux mesures compensatoires (l’« Accord SMC »). Le Canada a soutenu que les incitatifs accordés aux producteurs d’énergie éolienne et solaire qui alimentent le réseau n’étaient pas assujettis aux règles du GATT en matière de traitement national, car ils se rapportent à des achats par des pouvoirs publics.

Les groupes spéciaux constitués par l’OMC afin de régler le différend ont accepté les arguments présentés par le Japon et l’UE, respectivement, selon lesquels le Canada avait fait preuve de discrimination contre des producteurs étrangers dans son application de la Loi et du programme TRG, et contrevenu ainsi au GATT et à l’Accord SMC. Cependant, les groupes spéciaux ont rejeté l’argument voulant que les règles relatives aux niveaux minimaux requis de teneur en contenu local constituent une subvention illégale. Puisque les achats d’électricité effectués par les pouvoirs publics de l’Ontario aux termes du programme TRG étaient effectués « pour une revente dans le commerce », les groupes spéciaux ont également statué que le Canada n’avait pas établi qu’il pouvait se prévaloir d’une dispense d’application des règles du GATT en matière de traitement national.

L’Organe d’appel a rejeté l’argument du Canada voulant que le programme TRG soit dispensé de l’application des règles du GATT en matière de traitement national, mais pour des motifs différents. Cette dispense ne s’applique que si le produit acheté par un organisme gouvernemental, en l’occurrence l’électricité, est le même produit qui fait l’objet de discrimination. Le Canada ne peut donc pas invoquer une dispense qui justifierait un traitement discriminatoire relativement à de l’équipement de production d’électricité alors que le produit acheté est de l’électricité.

Dans son examen de la décision rendue par le groupe spécial relativement à l’application de l’Accord SMC, l’Organe d’appel a jugé que le groupe spécial avait erré dans son analyse de la question de savoir si un « avantage » avait été conféré en vertu du programme TRG. Pour déterminer si un « avantage » a été conféré, il faut déterminer si le bénéficiaire reçoit une « contribution financière » à des conditions plus favorables que celles auxquelles il a accès sur le marché. La question de savoir si une contribution financière confère un avantage au bénéficiaire ne peut pas recevoir de réponse absolue, et il faut établir une comparaison avec un point de repère qui, dans le cas de subventions, provient du marché. L’Organe d’appel a déterminé qu’en raison de l’absence de preuves suffisantes quant à ce qui pouvait servir de point de repère approprié, il était impossible de déterminer si le programme TRG constituait une subvention illégale.

Que se passe-t-il maintenant?

C’est la première fois qu’une décision rendue par l’OMC à l’égard du Canada concerne des mesures qui relèvent de la compétence exclusive d’une province. Le Canada, et non l’Ontario, est partie à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, mais les mesures en question relèvent de la compétence exclusive de l’Ontario. En conséquence, le gouvernement fédéral ne peut pas obliger l’Ontario à modifier sa politique. Par suite de la décision de l’Organe d’appel de l’OMC, le ministre de l’Énergie de l’Ontario, Bob Chiarelli, a confirmé l’importance des politiques de l’Ontario en matière d’énergie verte et a fait savoir que le gouvernement provincial analysait cette décision conjointement avec le gouvernement fédéral, et qu’il déciderait de la suite des choses à la lumière de cette analyse.

Dès que le rapport de l’Organe d’appel aura été adopté, le Canada se verra accorder une période de temps raisonnable pour se conformer à la décision (dans la mesure où il ne peut pas s’y conformer immédiatement). Si l’Ontario ne prend pas les mesures requises pour se conformer à la décision, l’OMC ou l’une des parties plaignantes pourrait demander au Canada de participer à des négociations afin de s’entendre sur un dédommagement acceptable pour toutes les parties. En l’absence d’une telle entente, les parties plaignantes pourraient demander à l’OMC l’autorisation de prendre des mesures de représailles en imposant des sanctions sur les exportations canadiennes. Il faudra peut-être attendre des années l’aboutissement de cette procédure internationale, et les parties devront composer avec l’incertitude quant à l’issue et aux conséquences de cette procédure.

La décision de l’Organe d’appel, la première qui porte sur un programme TRG, remet en cause la validité des règles similaires concernant la teneur en contenu local qui ont été mises en œuvre dans un certain nombre d’autres pays pour encourager le développement du secteur de l’énergie renouvelable. Plus tôt cette année, les États-Unis ont contesté devant l’OMC les exigences en matière de teneur en contenu local établies en Inde relativement au programme national d’énergie solaire. De la même façon, la Chine conteste les exigences en matière de teneur en contenu local établies pour le secteur de l’énergie renouvelable en Italie et en Grèce.

La décision de l’Organe d’appel est rendue à un moment où les politiques de l’Ontario en matière d’énergie verte font l’objet de nombreuses critiques dans cette province. Les Libéraux forment un gouvernement minoritaire et les partis d’opposition qui détiennent la balance du pouvoir ont contesté les politiques énergétiques du Parti libéral. Les progressistes-conservateurs se sont engagés à abroger la Loi et à abolir le programme TRG. Du fait que la politique énergétique pourrait être le principal enjeu des prochaines élections en Ontario, lesquelles peuvent être déclenchées n’importe quand, la décision de l’Organe d’appel vient à un bien mauvais moment pour le gouvernement libéral de l’Ontario.

Les entreprises qui exercent des activités dans le secteur de l’énergie renouvelable en Ontario doivent composer avec un environnement réglementaire et tarifaire de plus en plus incertain, et la décision de l’Organe d’appel ne fait qu’empirer les choses. Les manœuvres juridiques entreprises devant l’OMC ne feront qu’accroître l’incertitude dans l’environnement politique et réglementaire déjà très instable du secteur de l’énergie renouvelable en Ontario.

Cliquez ici pour le texte intégral de la décision.


[1] Canada — Certaines mesures affectant le secteur de la production d’énergie renouvelable, dossier DS412.

[2] Canada — Mesures relatives au programme de tarifs de rachat garantis, dossier DS426.

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Auteurs

  • Claudia Feldkamp, Avocate-conseil | Responsabilité sociale d’entreprise, Toronto, ON, +1 416 868 3435, cfeldkamp@fasken.com
  • Peter E. Kirby, Consultant | Lutte à la corruption et aux pots-de-vin, Montréal, QC, +1 514 397 4385, pkirby@fasken.com

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