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Une récente décision albertaine en matière d’appels d’offres souligne l’importance d’une bonne planification dans l’évaluation des soumissions

Fasken
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Bulletin Infrastructures et partenariats public-privé

Dans une récente décision en matière d'appels d'offres, Elan Construction Limited v. South Fish Creek Recreational Association, 2015 ABQB 330 (PDF - disponible en anglais seulement), la Cour du banc de la Reine de l'Alberta a fourni des indications utiles, pour les entités qui lancent des appels d'offres, sur la façon dont les tribunaux analyseront la contestation judiciaire d'une évaluation de soumissions. En l'espèce, la Cour a conclu que le processus d'évaluation des soumissions était effectivement inéquitable. Toutefois, et il s'agit d'un aspect important à noter, même si le soumissionnaire non retenu a réussi à prouver qu'il aurait dû obtenir le contrat, et que la clause d'exclusion du propriétaire (soit l'autorité qui a lancé l'appel d'offres) a été écartée, la Cour n'a accordé que des dommages-intérêts minimes de 1 000 $, puisque des événements défavorables imprévus qui se sont produits sur le chantier auraient de toute façon privé le soumissionnaire des bénéfices anticipés du projet.

Puisqu'un appel et un appel incident ont été interjetés dans cette affaire, les conclusions analysées dans le présent bulletin pourraient être appelées à changer à l'avenir.

Voici quelques points d'importance qui ressortent de la décision de première instance.

  1. Il importe de planifier minutieusement le processus d'évaluation des soumissions pour s'assurer que la méthodologie ne devienne pas une évaluation arbitraire des soumissions qui ne serait pas conformes aux documents d'appels d'offres. Cette cause démontre d'ailleurs à quel point un système de notation ou de pointage établi après la réception des soumissions peut facilement entraîner un non-respect des critères d'évaluation.
  2. Les critères précis qui revêtent une importance particulière pour les évaluateurs doivent être énoncés dans les documents de l'appel d'offres. Dans le cas présent, les critères d'évaluation ultimement appliqués n'étaient pas conformes aux critères énoncés, et ont ainsi donné lieu à un processus d'évaluation inéquitable.
  3. La Cour a cité la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, qui établit les principes directeurs de bonne foi dans l'exécution des contrats, mais il reste à voir si cette cause ajoutera l'analyse de la bonne foi comme composante dans l'évaluation des obligations d'équité déjà comprises dans le droit des appels d'offres.
  4. La Cour a déterminé que la clause d'exclusion n'éliminait pas l'obligation du propriétaire de traiter tous les soumissionnaires de façon égale et équitable et de divulguer tous les critères servant à l'évaluation des soumissions. Toutefois, la décision en l'espèce ne contient pas une analyse approfondie de cette question ni des indications permettant de déterminer si une clause d'exclusion bien rédigée aurait pu avoir son utilité. Les propriétaires devraient donc continuer à présumer qu'ils doivent suivre rigoureusement le processus énoncé dans les documents d'appels d'offres.
  5. Même lorsqu'un tribunal conclut que l'évaluation des soumissions a été menée de façon inéquitable, en contravention au principe du « contrat A », la partie qui s'estime lésée n'aura pas nécessairement droit à d'importants dommages-intérêts pour perte de bénéfices.

Les documents d'appel d'offres

La South Fish Creek Recreational Association (la « SFCRA ») prévoyait agrandir ses installations récréatives existantes depuis quelques années déjà, par l'ajout de deux patinoires et de plusieurs salles multidisciplinaires. En 2010, après avoir retenu les services d'un consultant principal et d'un gestionnaire de projet, la SFCRA a affiché une trousse de documents d'appel d'offres sur le site Web d'approvisionnement COOLNet. L'invitation à présenter des soumissions stipulait que les soumissionnaires devaient être préqualifiés par le service de gestion des approvisionnements de la ville de Calgary. Les critères de préqualification portaient principalement sur la capacité financière et des exigences en matière de santé et de sécurité au travail.

Les documents de l'appel d'offres énonçaient les critères d'évaluation, lesquels étaient fondés sur une matrice et devaient faire l'objet d'une note sur 100. Une tranche de 35 points était accordée à la composante « Prix », une deuxième tranche de 35 points était accordée à la composante « Date d'achèvement », une troisième tranche de 20 points était accordée à la composante « Expérience antérieure dans la collectivité et dans le secteur des arénas », et une dernière tranche de 10 points était accordée à la composante « Références pour projets antérieurs ». Les problèmes de la SFCRA ont surgi non pas dans l'élaboration de ces critères, pourtant raisonnables, mais bien dans leur application.

La soumission d'Elan

Elan Construction Limited (« Elan ») a présenté une soumission, mais le contrat a été attribué à un autre soumissionnaire. Elan a intenté des procédures judiciaires contre la SFCRA, alléguant que cette dernière n'avait pas évalué les soumissions conformément à la matrice d'évaluation, et qu'elle avait plutôt appliqué des critères d'évaluation non divulgués. Elan a fait valoir que si les soumissions avaient été évaluées équitablement et conformément à la matrice, elle aurait remporté le contrat. En effet, Elan offrait le prix le plus bas et proposait une date d'achèvement provisoire qui correspondait à celle indiquée dans les documents de l'appel d'offres.

La décision

Cette affaire reposait principalement sur l'évaluation des composantes « Date d'achèvement » et « Expérience » de la matrice d'évaluation. Toutefois, avant d'analyser ces composantes, la Cour a établi le droit applicable aux processus d'appel d'offres et à l'évaluation des soumissions.

Le droit en matière d'appels d'offres

Tout d'abord, la Cour a déterminé que le cadre du contrat A/contrat B établi par la Cour suprême du Canada s'appliquait en l'espèce. Le contrat A, réputé conclu au moment du dépôt de la soumission, régit l'évaluation de la soumission et l'attribution du contrat, et le contrat B forme le contrat de construction en tant que tel. La Cour suprême du Canada a raffiné le droit applicable au fil de ses différentes décisions en la matière, concluant que les modalités du contrat A sont établies en fonction du contenu des documents d'appel d'offres, et que le contrat A prévoit implicitement que l'entité qui lance l'appel d'offres traitera tous les soumissionnaires équitablement.

La Cour a également cité la récente décision de la Cour suprême dans l'affaire Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, où le plus haut tribunal du pays a déterminé que l'exécution de bonne foi des contrats constitue un principe directeur de la common law en matière de contrats et conclu au devoir d'agir honnêtement dans l'exécution des obligations contractuelles. La décision Bhasin c. Hrynew renvoyait d'ailleurs au devoir de bonne foi dans le contexte des appels d'offres. Il reste à voir si cette cause influera sur le devoir d'équité que prévoit déjà le droit en matière d'appels d'offres, ou ajoutera de nouvelles obligations de bonne foi à ce devoir.

Évaluation des soumissions

Dans son évaluation des soumissions, l'équipe de la SFCRA a respecté l'idée générale du processus d'évaluation, et a attribué des points pour les quatre catégories prévues. La Cour a d'ailleurs confirmé que l'utilisation d'une matrice constitue une méthode non contestable. Cependant, la Cour a conclu que la SFCRA s'était écartée des critères d'évaluation à plusieurs égards importants, ce qui a entraîné un manquement au contrat A.

Tout d'abord, dans l'évaluation des dates d'achèvement, les évaluateurs ont pris la moyenne des dates d'achèvement proposées par les soumissionnaires (en excluant une valeur aberrante) pour établir une date de référence, puis ont attribué des points en fonction de la proximité de chaque soumission à cette date de référence. Or, les documents de l'appel d'offres prévoyaient plutôt que la date d'achèvement demandée était le 1er août. Cette méthode a fait en sorte qu'Elan, dont la date d'achèvement correspondait pourtant au 1er août, a obtenu un pointage inférieur à celui attribué au soumissionnaire sélectionné, dont la date d'achèvement était plus près de la moyenne, soit le 5 septembre. Il est pourtant impensable qu'un propriétaire emploie une méthodologie qui attribue plus de points pour une date d'achèvement ultérieure que pour une date d'achèvement antérieure. De plus, les 35 points attribués pour la date d'achèvement ont été répartis en 30 points pour l'achèvement provisoire et 5 points pour l'achèvement des réserves. Or, aucune mention de cette ventilation de points ne figurait dans les documents de l'appel d'offres, et cette méthodologie modifiée n'a été établie qu'après la réception des soumissions.

Selon la Cour, cette façon de faire s'est traduite par une norme arbitraire dont les soumissionnaires n'auraient pu se douter à la lecture des documents de l'appel d'offres, et a créé le type de critère d'évaluation non divulgué qui, selon la Cour suprême du Canada, constitue un manquement au contrat A.

Ensuite, la Cour a décelé des problèmes dans l'évaluation de la composante Expérience. L'un de ces problèmes était le fait que les soumissionnaires se voyaient attribuer des points pour leur certification LEED. Une telle composante, bien qu'elle puisse raisonnablement faire partie de l'expérience du soumissionnaire, n'était pas expressément mentionnée ni exigée dans les documents de l'appel d'offres. Un autre des problèmes était que certains soumissionnaires, mais non la totalité d'entre eux, ont passé une entrevue après la présentation des soumissions, et ont obtenu des points en fonction de leur entrevue. Or, bien que les documents de l'appel d'offres mentionnaient le droit de la SFCRA de demander des renseignements supplémentaires auprès des soumissionnaires, aucune indication de ces entrevues ne figurait dans les documents.

La personne-ressource d'Elan n'étant pas disponible pour une telle entrevue, son pointage en a pâti. De plus, le système de pointage favorisait les entités possédant une expérience récente dans le secteur des arénas. La Cour a souligné que bien qu'un tel critère n'était pas déraisonnable, l'importance qui y a été accordée aurait dû être divulguée dans les documents d'appel d'offres.

Enfin, le soumissionnaire sélectionné a fourni, pour l'entrevue postérieure à la présentation des soumissions, un candidat différent de la personne dont le nom figurait dans la soumission. La SFCRA a fait valoir, sans succès, que le nom du candidat n'était qu'une formalité, et qu'elle pouvait renoncer à l'application de cette formalité. La Cour a toutefois déterminé qu'une telle renonciation ne pouvait se limiter qu'aux cas de non-respect mineurs des exigences strictes des documents de l'appel d'offres.

Exclusion de responsabilité

La Cour a ensuite conclu que la SFCRA n'était pas libérée de sa responsabilité par des clauses d'exclusion et de privilège. En termes simples, la Cour a déclaré que la jurisprudence citée démontrait que ces clauses n'éliminent pas l'obligation du propriétaire de traiter tous les soumissionnaires de façon égale et équitable et de divulguer tous les critères qui serviront à l'évaluation des soumissions. Fait à noter, la Cour a confirmé qu'il n'est pas nécessaire d'en venir à conclusion de malhonnêteté ou de malice pour qu'une clause d'exclusion soit rendue inopérable, et que l'obligation de bonne foi exige davantage que la simple honnêteté.

La clause d'exclusion prévoyait ce qui suit :

[Traduction]

5.3 En présentant une soumission, chaque soumissionnaire reconnaît et convient qu'il renonce à tout droit de contester toute procédure judiciaire quant à la décision du propriétaire d'attribuer des points aux termes des critères indiqués ci‑dessous.

La Cour n'a pas analysé en détail la clause d'exclusion ni la jurisprudence applicable. Il y a lieu de noter ici que la clause d'exclusion a été rédigée de façon restrictive afin d'exclure le « droit de contester toute procédure judiciaire quant à la décision du propriétaire d'attribuer des points aux termes des critères indiqués ci‑dessous ». Peut-être semblait-il évident à la Cour que la clause ne s'appliquait plus une fois qu'il était établi que le propriétaire avait procédé à son évaluation en fonction de critères non divulgués et non en fonction « des critères indiqués ci‑dessous ».

Les dommages-intérêts

Une fois établie sa conclusion que la SFCRA avait contrevenu à ses obligations aux termes du contrat A, la Cour s'est penchée sur la question des dommages-intérêts à accorder. Lorsque l'autorité qui lance un appel d'offres a manqué aux obligations du contrat A, le soumissionnaire qui aurait autrement obtenu le contrat B n'eût été ce manquement a droit soit à des dommages-intérêts pour perte de bénéfices, soit à des dommages-intérêts pour les coûts qu'il a engagés dans la préparation de la soumission. Cependant, le soumissionnaire lésé ne peut récupérer des montants aux deux titres.

Elan a présenté sa réclamation pour perte de bénéfices en fonction d'une marge de bénéfices de 5 %, même si elle a démontré que la moyenne établie aux termes de sa fourchette historique était de 13 %. La Cour a reconnu qu'il s'agissait d'un point de départ raisonnable, mais l'a écouté en fonction de facteurs précis.

La Cour s'est penchée sur le déroulement réel du projet de construction pour déterminer la mesure des pertes de bénéfices d'Elan. Malheureusement pour l'entrepreneur ayant remporté le contrat, le projet s'est révélé déficitaire. Deux sous-traitants ont dû être remplacés à des coûts importants, un hiver particulièrement rigoureux a entraîné des délais dans les travaux de génie civil, qui ont par la suite retardé l'ensemble du projet, et des problèmes de conception et de génie ont également entraîné d'importants retards. La Cour a conclu que ces trois problèmes auraient eu la même incidence sur Elan si elle avait remporté le processus de soumission (en effet, Elan avait choisi les mêmes sous-traitants). De plus, la SFCRA a détecté une erreur dans la soumission d'Elan : l'un de ses sous-traitants avait présenté par erreur une soumission trop faible, un coût qu'Elan aurait dû ultimement absorber.

La Cour a confirmé que des conditions inattendues sur un chantier peuvent justifer une réduction substantielle des dommages-intérêts accordés au titre de la perte de bénéfices. Par conséquent, elle a calculé que cette perte correspondait à zéro. Elan a par la suite tenté de faire valoir que d'autres dommages-intérêts de 25 000 $ devaient lui être attribués pour les coûts de préparation de la soumission. La Cour a finalement attribué des dommages minimes de 1 000 $ pour tenir compte du manquement par la SFCRA aux modalités du contrat A.

La Cour n'a pas indiqué quelle aurait été l'analyse de la perte de bénéfices si le projet avait été plus fructueux que prévu et qu'Elan avait raisonnablement gagné plus que le bénéfice anticipé de 5 %.

Conclusion

Pour tout intervenant participant à un processus d'appels d'offres, cette décision confirme l'état actuel du droit et introduit la possibilité que le principe directeur de la bonne foi s'applique aux processus d'appel d'offres. L'inefficacité de la clause d'exclusion renforce l'importance pour le propriétaire d'établir clairement ses critères et sa méthodologie d'évaluation et de les respecter à lettre.

Autres sources

Pour consulter d'autres sources d'information sur les documents d'appels d'offres, veuillez vous reporter à ce qui suit : Dix éléments clés et plus, pour la rédaction des documents de passation de marchés

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Auteur

  • Fergus McDonnell, Associé | Droit des sociétés et droit commercial, Vancouver, BC, +1 604 631 3220, fmcdonnell@fasken.com

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