Les employeurs canadiens sont nombreux à offrir aux étudiants un poste au sein de leur entreprise au cours de la période estivale. Si certains peuvent être portés à croire que l'embauche de ces jeunes candidats sur une base temporaire permet de combler, à moindres coûts, la surcharge causée par les vacances estivales, la jurisprudence récente démontre qu'il faut plutôt se garder d'établir des conditions de travail distinctes pour cette catégorie d'employés en l'absence d'une justification convaincante.
En effet, dans une décision rendue récemment[1], le Tribunal des droits de la personne du Québec (le « Tribunal ») est venu établir que le statut d'étudiant et le fait que ces derniers travaillent durant l'été pour payer leurs études devaient être assimilés à une « condition sociale » protégée par l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »). Par conséquent, et toujours selon le Tribunal, le fait qu'une clause de convention collective attribuent à ces étudiants un taux de salaire moindre qu'aux employés occasionnels ou réguliers pourra constituer un traitement discriminatoire prohibé par la Charte, tant en raison de la condition sociale qu'en raison de l'âge des étudiants concernés.
Contexte
Dans cette affaire, le Syndicat des Métallos a dénoncé à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (la « Commission ») que les conditions salariales prévues à la convention collective et applicables aux étudiants employés par l'Aluminerie de Bécancour étaient discriminatoires puisque moindres que celles applicables aux autres employés de l'entreprise qui effectuaient le même travail.
Au soutien du recours qu'elle porte devant le Tribunal, la Commission soutient plus particulièrement que la pratique de l'employeur est discriminatoire puisque motivée par l'âge et la condition sociale des étudiants.
De son côté, l'employeur soutient plutôt que le travail que ces étudiants effectuent diffère de celui des travailleurs qui ont un statut d'employé régulier ou d'employé occasionnel selon la convention collective en vigueur. Subsidiairement, il demande la condamnation solidaire du Syndicat au motif que ce dernier a accepté l'introduction d'un taux horaire moindre pour les étudiants lors des négociations de l'année 1994 et qu'il a permis que ce traitement différent soit reconduit dans les conventions collectives subséquentes.
La décision du Tribunal
Dans le cadre de sa décision, le Tribunal prend d'abord soin de rappeler qu'en matière salariale, le seul fait que le salaire payé à un groupe d'employés soit inférieur à celui versé à un autre groupe d'employé ne sera pas, en soi, suffisant pour être considéré comme discriminatoire. Pour qu'il y ait discrimination, il devra être démontré que cette distinction est fondée sur un motif interdit par la Charte.
Dans un deuxième temps, le Tribunal se dit d'avis que la preuve présentée devant lui permet de rejeter l'argument de l'employeur et de conclure que les étudiants visés dans cette affaire effectuaient un travail essentiellement équivalant à celui des salariés occasionnels et réguliers. En effet, la formation donnée est sensiblement la même, tout comme les tâches accomplies et les risques auxquels ils sont exposés. La rémunération moindre qui leur est versée ne peut non plus se justifier par leur manque d'expérience ou par l'ancienneté puisqu'il a été démontré que, dès sa première journée de travail, un salarié occasionnel gagne plus qu'un étudiant et ce, peu importe les périodes de temps travaillées par ce dernier.
En définitive, selon le Tribunal, ce qui distingue les étudiants des occasionnels et des réguliers est le fait qu'ils soient des étudiants à temps plein en dehors des périodes d'emploi prévues aux conventions collectives. Non seulement cette distinction heurte la condition sociale des étudiants en ce qu'elle vise leur niveau d'instruction, leur occupation, leur revenu et les perceptions et représentations qui se rattachent à ces données objectives, mais au surplus, les chiffres présentés devant le Tribunal révèlent que les étudiants sont plus jeunes que la majorité des occasionnels à l'embauche.
Considérant ces éléments, le Tribunal conclut que la condition sociale a été un facteur dans l'adoption de la distinction salariale contestée et cette distinction a un effet désavantageux sur les jeunes de 18 et 19 ans. Cette distinction porte également atteinte à la dignité des étudiants puisqu'elle entraine le non-respect de leur droit à un salaire équivalent pour un travail équivalent, tel que le prescrit par la Charte.
Quant à la responsabilité du Syndicat, le Tribunal rappelle notamment que le contexte dans lequel les négociations se sont déroulées doit être pris en compte pour déterminer si le syndicat a commis une faute dans l'exécution de son mandat de représentation des employés. À cet égard, il retient que l'employeur a unilatéralement introduit la réduction de la rémunération des étudiants par rapport à celle des réguliers et des occasionnels dans l'offre finale qu'elle a fait au Syndicat lors des négociations de 1994 et que ce dernier n'a pas eu le choix d'accepter l'offre finale qui lui a été présentée. Le Tribunal a également tenu compte des protestations du Syndicat lors des renouvellements subséquents de la convention collective et ce, bien que celui-ci ait ultimement accepté d'y maintenir la distinction salariale en question.
Conclusions
Cette décision unique en son genre devra amener les employeurs canadiens à réfléchir à l'existence de telles distinctions salariales dans leur entreprise et aux justifications de celles-ci. À ce sujet, nous rappelons que cette discrimination présumée aurait toutefois pu être écartée en présence d'une preuve justifiant l'existence d'une telle distinction entre les conditions de travail octroyées aux différentes catégories d'employés, preuve qui n'a malheureusement pas été retenue par le Tribunal dans cette affaire.
À titre illustratif, il y aura absence de discrimination si une différence de traitement ou de salaire est fondée sur l'expérience, l'ancienneté, la durée de service, l'évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire, si ces critères sont communs à tous les membres du personnel et si cette justification est démontrable.
Nous soulignons en terminant que cette décision fait présentement l'objet d'une demande pour permission d'appeler devant la Cour d'appel du Québec, laquelle devrait être entendue en octobre prochain.
[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc., 2018 QCTDP 12.