Alors qu’on accorde davantage d’attention à l’écoblanchiment, les sociétés canadiennes du secteur public sont de plus en plus attentives dans leurs déclarations environnementales.
Plus particulièrement, les émetteurs se demandent si les mesures de protection actuelles offertes par ces lois relativement aux informations prospectives, ainsi qu’aux informations fournies (actuelles ou antérieures), devraient être réexaminées (et éventuellement élargies) à la lumière des développements importants récents en matière d’écoblanchiment.
Ces développements comprennent l’adoption de nouvelles dispositions contre l’écoblanchiment dans la Loi sur la concurrence, l’introduction prochaine de droits privés d’action élargis connexes pouvant être exercés devant le Tribunal de la concurrence et la possibilité que des exigences qui concernent les informations liées aux changements climatiques soient adoptées en vertu de la législation canadienne en valeurs mobilières.
Parmi les commentaires envoyés au Bureau de la concurrence à l’automne 2024 dans le cadre de la consultation sur les lignes directrices en matière d’écoblanchiment, au moins 32 des 211 observations demandaient l’ajout de mesures de protection semblables à celles offertes par les lois sur les valeurs mobilières, à la lumière des nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence. Certains demandeurs ont souligné les risques potentiels de litiges découlant des nouvelles exigences visant à dissuader les déclarations environnementales non fondées, qu’elles soient liées aux avantages d’un produit ou aux activités d’une entreprise.
Certains ont également fait valoir que les mesures de protection actuelles prévues par les lois sur les valeurs mobilières étaient insuffisantes. En 2021, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (« ACVM ») ont été invitées à envisager l’amélioration ou l’adoption de règles d’exonération supplémentaires à la suite de commentaires sur le projet de règlement concernant les exigences relatives au climat, le Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (« Règlement 51-107 »). À cet égard, les ACVM ont récemment indiqué qu’elles prévoyaient mener une consultation sur les questions de responsabilité dans le cadre d’un projet révisé du Règlement 51-107, avant de mettre sur pause ses travaux en lien avec l’élaboration d’une nouvelle règle de communication obligatoire de l’information liée aux changements climatiques le 23 avril 2025 pour permettre aux émetteurs canadiens de s’adapter aux événements récents survenus aux États-Unis et à l’échelle mondiale (voir « Nos conclusions » ci-dessous).
Les mesures actuelles prévues par les lois sur les valeurs mobilières protègent-elles suffisamment les émetteurs? Devrait-on étendre les règles d’exonération concernant les informations liées aux changements climatiques dans le cadre des lois sur les valeurs mobilières ou en prévoir de nouvelles dans les lois sur la concurrence? L’Australie, entre autres pays, a adopté des règles d’exonération pour certaines de ces informations. Les organismes de réglementation canadiens devraient-ils suivre leur exemple
La situation actuelle au Canada
Protection des déclarations d’intention
Lorsqu’ils font des déclarations d’intention sur leurs performances environnementales, les émetteurs s’appuient sur les mesures de protection actuellement prévues par les lois canadiennes sur les valeurs mobilières à l’égard de l’information prospective. Une cible de réduction des émissions de carbone, ou encore, une déclaration par l’émetteur concernant son évaluation, dans différents scénarios, des possibles retombées commerciales des risques et occasions associés aux changements climatiques, constituent des exemples d’informations prospectives liées à ceux-ci.
En principe, une société n’est pas responsable dans les cas suivants :
- il existe un fondement valable pour l’établissement de l’information prospective, c’est-à-dire le caractère raisonnable des hypothèses qui sous-tendent cette information ainsi que le processus suivi pour établir et réviser celle-ci (Companion Policy 51-102CP – Continuous Disclosure Obligations);
- certaines conditions de communication sont remplies, notamment, une mention indiquant qu’il s’agit d’une information prospective, que celle-ci contient une mise en garde ainsi que les hypothèses ou les facteurs importants utilisés dans l’établissement de l’information prospective (partie 4A, partie 4B et paragraphe 5.8 du Règlement 51-102 sur les obligations d’information continue).
Toutefois, lorsque les ACVM ont adopté ces dispositions en 2007, elles ne se préoccupaient pas spécialement de la communication d’informations sur l’environnement. Elles n’ont pas non plus pris en compte que l’information prospective pourrait s’étendre sur 25 ans, comme dans le cas d’engagements en matière d’émissions de carbone pris dans le cadre de l’Accord de Paris.
Constatant une hausse des déclarations environnementales, les ACVM ont fourni davantage d’exemples d’écoblanchiment dans leur plus récent avis du personnel, publié le 7 novembre 2024, dans le cadre de leur programme d’examen de l’information continue. Elles ont ainsi mentionné qu’une situation où « l’émetteur fournit de l’information concernant une cible de transition vers la carboneutralité, ce qui peut induire le lecteur en erreur s’il n’indique pas ce que comprend cette cible et s’il n’a aucun plan crédible pour y arriver ». Les ACVM ont également mentionné que les déclarations visant « la réduction des gaz à effet de serre ou l’atteinte de la carboneutralité » peuvent constituer de l’information prospective (Avis 51-365 du personnel des ACVM, Activités du programme d’examen de l’information continue pour les exercices terminés les 31 mars 2024 et 31 mars 2023).
Au fil des ans, les ACVM ont proposé diverses orientations sur l’information prospective concernant les déclarations environnementales et elles ont mis en évidence certaines lacunes dans le système actuel.
Elles ont notamment rappelé que pour communiquer des perspectives financières ou de l’information financière prospective, les émetteurs doivent fonder ces sous-catégories d’information prospective sur des hypothèses raisonnables et les limiter à la période pour laquelle elles peuvent faire l’objet d’estimations raisonnables. En 2018, plusieurs émetteurs ont mentionné aux ACVM la difficulté de suivre cette norme lorsqu’ils communiquent des informations sur les occasions et les risques associés aux changements climatiques (p. ex. les effets de ceux-ci sur la valeur des actifs), en raison du niveau d’incertitude et de subjectivité lié aux changements climatiques et de l’horizon temporel important au cours duquel certains de ces effets peuvent se produire (Avis 51-354 du personnel des ACVM : Rapport relatif au projet concernant l’information fournie sur le changement climatique).
L’incertitude entourant la communication des risques et occasions associés aux changements climatiques pourrait s’accroître si les ACVM publient cette année de nouvelles exigences relatives aux changements climatiques qui seraient probablement fondées sur le cadre volontaire du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (l’« ISSB »). Les émetteurs consultés par les ACVM « ont fait valoir que [...] la nature et l’étendue de cette information [prospective exigée par divers cadres volontaires] la rendaient difficilement compatible avec la législation en valeurs mobilières en vigueur au Canada » (Avis 51-354 du personnel des ACVM – Rapport relatif au projet concernant l’information fournie sur le changement climatique).
Données antérieures et actuelles : une tout autre histoire
L’incertitude complexifie également les choses lorsqu’il s’agit de données antérieures et actuelles.
Les lois sur les valeurs mobilières de diverses provinces canadiennes (notamment le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique) prévoient une défense fondée sur la diligence raisonnable contre la responsabilité civile pour les émetteurs, les administrateurs et les dirigeants dans le cas où une information fausse ou trompeuse figurerait dans les documents d’information continue d’une société.
De manière générale (le libellé peut varier d’une province à l’autre), les règles suivantes s’appliquent :
- Lorsqu’une information fausse ou trompeuse figure dans un document déposé en vertu des lois sur les valeurs mobilières (souvent un « document essentiel », comme un prospectus, une circulaire, une notice annuelle ou un rapport de gestion), il incombe au défendeur de démontrer que des mesures suffisantes ont été prises pour établir une défense fondée sur la diligence raisonnable.
- Lorsqu’un document d’information volontaire (c.-à-d. un document qui n’est pas essentiel) contient une information fausse ou trompeuse, le fardeau de la preuve est renversé et incombe au demandeur. Celui-ci doit prouver l’un des faits suivants à l’égard de l’émetteur ou des administrateurs ou dirigeants de ce dernier :
- au moment de la publication, ils savaient que la déclaration contenait une telle information;
- lors de la publication ou avant celle-ci, ils ont évité délibérément de prendre connaissance de ce fait;
- par leur action ou leur inaction, ils se sont rendus coupables d’une faute lourde ou d’une inconduite grave en rapport avec la publication de cette déclaration.
Ceci dit, la complexité des déclarations environnementales, en particulier concernant les émissions de carbone, pourrait compliquer davantage la défense de diligence raisonnable. L’exactitude des données fournies par les émetteurs sur les émissions de carbone est cruciale pour les investisseurs qui accordent de plus en plus d’importance à l’environnement dans leur prise de décision.
Néanmoins, ces données posent des difficultés de mesure. Les informations sur la mesure des émissions de carbone peuvent comprendre des estimations et pourraient ne pas être fiables, en particulier lorsqu’elles concernent les émissions indirectes (champ d’application 3). Par exemple, selon une enquête mondiale que le Boston Consulting Group (« BCG ») a menée auprès des émetteurs et a publiée en octobre 2022, 81 % des répondants mesurent partiellement leurs émissions internes (champs d’application 1 et 2) et externes (champ d’application 3), seulement 19 % mesurent la totalité de leurs émissions internes et environ la moitié d’entre eux mesurent la totalité de leurs émissions externes. Selon les émetteurs, le taux d’erreur moyen de leur mesure des émissions était supérieur à 25 %. En outre, il est courant que les sociétés mesurent uniquement leurs émissions directes, et sous-estiment ainsi fortement leurs émissions totales, car elles ne tiennent pas compte des émissions produites en amont et en aval de leurs produits.
Les taux d’erreur estimés dans le cadre de l’enquête de BCG mettent en évidence l’importance de corriger les écarts entre les normes actuelles d’enquête suffisante et la réalité pratique des déclarations environnementales. Les résultats de l’enquête de BCG soulignent également la nécessité pour les émetteurs d’améliorer la précision et la fiabilité de leurs déclarations environnementales et de s’assurer que leurs processus d’enquête sont rigoureux, même lorsqu’ils traitent de données erronées ou imprécises.
Pour atténuer ces risques, les émetteurs, les administrateurs et les dirigeants peuvent tenter d’optimiser les mesures de protection des règles d’exonération, notamment par la mise en place de processus rigoureux pour la collecte et la vérification des données, par le recours éventuel à des fournisseurs tiers en assurance et par la communication suffisamment détaillée des limites et incertitudes de leurs mesures.
Les Règles (suspendues) de la SEC concernant les informations liées aux changements climatiques
En mars 2024, la Securities and Exchange Commission (la « SEC ») des États-Unis a dévoilé ses règles définitives concernant les informations liées aux changements climatiques (les « Règles »). Celles-ci visent à fournir des informations plus cohérentes, comparables et fiables pour permettre aux investisseurs d’évaluer en connaissance de cause l’effet des risques liés aux changements climatiques sur les placements actuels et potentiels. En avril 2024, la SEC a décidé de suspendre temporairement les Règles en attendant l’issue d’un contrôle judiciaire et, le 27 mars 2025, la SEC a retiré sa défense judiciaire des Règles qui avaient été contestées devant les tribunaux. De plus, avec le nouveau président des États-Unis et le nouveau président de la SEC, il est possible que les Règles soient annulées ou modifiées de façon importante.
Ces Règles prévoient notamment une exonération pour l’information prospective liée aux changements climatiques, comme les plans de transition, l’analyse de scénarios, la tarification interne du carbone, ainsi que les cibles et objectifs fournis en vertu de certains articles du Règlement S-K. Cette exonération prévoit que toutes ces informations, à l’exception des faits historiques, constituent des déclarations prospectives au sens de la Private Securities Litigation Reform Act (la « Loi sur les litiges en valeurs mobilières »). Elle s’harmonise ainsi avec les mesures de protection actuellement offerte par la législation américaine au regard de telles déclarations.
En vertu de cette loi, la SEC est habilitée à adopter des exemptions de responsabilité concernant d’autres déclarations fondées sur des projections ou d’autres informations prospectives, si elle estime qu’une telle exemption concerne l’intérêt public et la protection des investisseurs. Toutefois, bien que la Loi sur les litiges en valeurs mobilières prévoit certaines mesures de protection pour les déclarations prospectives, cela n’empêche pas la SEC de prendre des mesures coercitives advenant des informations trompeuses, incomplètes ou autrement contraires à la législation américaine sur les valeurs mobilières.
Les Règles n’exigent pas d’un émetteur qu’il communique ses émissions indirectes (champ d’application 3) puisque, contrairement aux émissions directes (champs d’application 1 et 2), les premières proviennent généralement des activités de tiers dans sa chaîne de valeur, ce qui pourrait compliquer la collecte des données appropriées et la mesure de ces émissions.
Malgré les commentaires selon lesquels l’exonération devrait s’appliquer également aux informations liées aux émissions des champs d’application 1 et 2, la SEC a décidé de ne pas y donner suite. Elle a fait valoir que les méthodes visant à mesurer ces émissions sont assez bien établies et qu’elles rendent inutiles les mesures de protection contre les litiges privés portant sur ces informations.
Les règles de l’Australie
Le gouvernement fédéral de l’Australie a récemment introduit une disposition d’exonération dans le cadre de l’adoption de normes de divulgation obligatoires liées aux changements climatiques, lesquelles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2025.
Les normes nouvellement adoptées exigent des sociétés du secteur public et des grandes entreprises privées qu’elles communiquent les occasions et les risques financiers liés aux changements climatiques, conformément aux normes de l’ISSB, afin d’assurer une cohérence et une comparabilité partout dans le monde.
La nouvelle loi australienne introduit des règles d’exonération qui s’appliquent pendant trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur des nouvelles règles. Elle vise à protéger les entités contre les litiges qui pourraient survenir à la suite de leurs déclarations concernant les émissions du champ d’application 3, l’analyse des scénarios et les plans de transition. On considère ces « déclarations protégées » (protected statements) comme des sujets de grande incertitude des informations liées aux changements climatiques. Cette exonération pourrait donc préserver les entités contre les comportements trompeurs présumés en violation des dispositions pertinentes d’autres lois relatives aux entreprises, aux consommateurs et aux valeurs mobilières.
En outre, les déclarations qui figurent dans les rapports sur le développement durable ou d’audit pour un exercice commençant au cours de la première année suivant la date d’entrée en vigueur sont protégées si elles traitent des changements climatiques et impliquent des projections.
Bien que les règles d’exonération tendent à trouver un équilibre entre la nécessité d’une communication rigoureuse et les difficultés à prévoir avec précision les effets liés aux changements climats, on les a critiquées pour avoir potentiellement favorisé l’écoblanchiment.
Les organismes non gouvernementaux (les « ONG ») et d’autres parties prenantes ont notamment exprimé leur inquiétude quant à ces règles, estimant qu’elles pourraient nuire à la rigueur des informations à fournir et retarder l’adoption de mesures concrètes contre les changements climatiques. Ces parties prenantes ont insisté sur la nécessité d’avoir des moyens juridiques rigoureux en place pour tenir les entreprises responsables de leurs engagements en matière de changements climatiques et de l’exactitude de leurs déclarations. Certaines ont également souligné l’urgence de mettre en œuvre des mesures efficaces et un cadre réglementaire concret pour faire face rapidement aux changements climatiques. Elles ont ainsi fait valoir que, dans ce contexte, la nouvelle législation supprimait d’importants mécanismes de responsabilité.
Les autorités australiennes auront l’occasion d’examiner ces préoccupations, puisque la loi prévoit des dispositions permettant une revue du nouveau cadre de déclaration dès que possible après le 14 juillet 2028.
Nos conclusions
Même si les ACVM ont indiqué qu’elles avaient suspendu leurs travaux sur l’élaboration d’une nouvelle règle sur l’information liée aux changements climatiques afin d’aider les marchés et les émetteurs canadiens à s’adapter aux récents développements aux États-Unis et dans le monde, les questions entourant les règles d’exonération demeurent d’une grande importance pour les sociétés qui continueront de communiquer des informations à cet égard, soit volontairement, soit parce que ces informations représentent des risques importants dont la divulgation est obligatoire en vertu de la loi.
Le 23 avril 2025, les ACVM ont déclaré qu’elles prévoyaient réexaminer la règlementation entourant la communication d’informations sur les changements climatiques dans les années à venir afin de définir les obligations visant les émetteurs. Que cette étape soit franchie ou non, le Canada aurait tout intérêt à adopter des règles d’exonération similaires à celles mises en place aux États-Unis et en Australie, ce qui apporterait plus de certitude à l’avenir en plus de favoriser la communication d’informations complètes liées aux changements climatiques. Toutefois, si les ACVM décident d’adopter des règles d’exonération particulières pour l’information liée aux changements climatiques ou d’améliorer les règles d’exonération générales actuelles, elles pourraient se heurter à la résistance des parties prenantes, notamment les investisseurs institutionnels et les ONG, comme cela s’est produit aux États-Unis et en Australie.